Parole de vieux con, le voyage d’affaires aime la chair fraîche!

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J'ai un cheval de bataille que je ressasse fréquemment. C'est parait-il très classique lorsque l'on prend de l'âge. J'aime à répéter à qui veut l'entendre, et l'écrire à qui veut le lire, que le bon sens est une composante essentielle du voyage d'affaires. Et que sans une réflexion poussée et enrichie d'une veille technologique permanente, il n'y a pas d'évolution professionnelle. Je m'en explique.

À l'époque d'Internet et de l'instantanéité de l'information, j'ai constaté que, comme dans bien d'autres domaines, le voyage d'affaires aime la chair fraîche. Il se régale d'open booking, se gargarise de Blurring et va se délecter demain avec les moyens de paiement numériques ou la dématérialisation qui vont signer la gestion financière de nos dépenses. C'est vrai, je suis le premier à me pencher à longueur de colonnes sur ces sujets dont on me dit parfois qu'ils n'intéressent pas grand monde et que leur développement, s'il doit voir le jour, me trouvera à la retraite depuis bien longtemps, à sucrer quelques fraises ou à regarder pousser mes radis. Peut-être!

L'innovation, est loin d'être un gros mot lorsque l'on associe sa finalité avec le bon sens qui nous caractérise, nous les Gaulois. Là encore, bon sens ne veut pas dire frilosité. La peur ne permet jamais d'avancer, tout au plus cloue t-elle sur place ceux qui voient en leur ombre un adversaire coriace. C'est d'ailleurs toute la différence avec le métier d'acheteur où la prise de risque est souvent essentielle à l'obtention d'un bon marché. Mais le risque, c'est aussi l'erreur qui peut l'accompagner. Personne ne se trompe en permanence sans en payer les conséquences. Au sein d'une entreprise, la durée de vie d'un tel professionnel serait particulièrement limitée.

Mais revenons sur l'innovation, et surtout sur le bon sens. La finalité de la nouveauté est a priori de faciliter le travail au quotidien. D'en assurer une gestion plus fluide et de répondre aux attentes des utilisateurs, qu'ils soient internes ou externes. Le presse-purée qui, tous les ans, permet à la télévision de nous rappeler les bienfaits du concours Lépine est un exemple précis de la bonne idée. Dans l'univers du voyage d'affaires, on a vu arriver les SBT qui ont révolutionné le quotidien de l'entreprise. On peut aussi évoquer les solutions de gestion des dépenses… Mais où est la nouveauté ? Tout au plus une déclinaison pour le travel de ce qui existe depuis des années dans d'autres industries. Où est la complexité technologique ? Restons modestes, nous ne sommes pas un domaine de pionniers! Tout nous surprend et nous effraie.

Il en sera sans doute de même demain avec ces fameuses API qui vont permettre à tous les programmes de communiquer entre eux, et d'échanger les datas essentielles à la connaissance du produit acheté ou du déplacement engagé. On sait aujourd'hui connecter le GPS d'un iPhone à un dossier de voyage avec une géolocalisation au mètre près. Alors quand on entend les professionnels dire que l'open booking correspond à lâcher les salariés dans la nature, je me marre. D'autant que ces mêmes salariés - qui expliquent qu'ils ne veulent pas être pistés - accordent aux applications installées sur leur smartphone des pouvoirs exorbitants, comme lire la liste de leurs amis ou prendre la main sur leur position géographique. Pire, un simple "Gmail" suffit à remonter la vie privée de chacun d'entre nous. Arrêtons donc cet angélisme qui veut que la liberté soit menacée par les contrôles technologiques. C'est déjà fait depuis longtemps.

Bien sûr, la création ne se fait pas sans tâtonnement, sans hésitation voir même sans marche arrière pour revenir, de façon plus lucide, aux attentes des clients, les utilisateurs. Mais l'innovation est nécessaire à toutes celles et ceux qui, faute de temps, comptent sur elle pour en grappiller. Et c'est là que le bon sens prend le relais. Comme le dit avec humour Bill Gates, le bon sens c'est une équation mathématique : "1 million de chose à faire avec deux mains et une tête. Il faut donc trouver dans les 330 000 priorités que doit régler chaque organe celles indispensables que l'on peut faire assurer par des outils numériques". Toujours le bon sens quand on explique que demain, l'intelligence artificielle sera naturellement associée aux décisions du voyageur…et de son acheteur. Bon sens enfin, quand on sait se concentrer sur l'essentiel et non le superflu.

Globalement, ce sont donc les technologies naissantes qui vont bousculer notre vision du voyage d'affaires. Première d'entre elle, la reconnaissance vocale. On parle plus vite que l'on ne tape sur un clavier de la taille d'un post 'It. Seconde vision, la dématérialisation totale des achats via les cartes logées et les cartes virtuelles intégrées au smartphone. Payer un restaurant ou un taxi se fera d'une pression de l'index. Le montant de l'achat, géolocalisé, entrainera  une transmission de la dépense en temps réel sur les serveurs de l'entreprise. Ne souriez pas, cela arrive et plus vite que prévu. C'est pour 2020 si l'on en croit les spécialistes. La téléconférence 3D s'annonce. On se croirait dans le bureau de son interlocuteur et sans les lunettes qui transforment les participants en D2R2. Encore un peu de patience, elle est dans les cartons… Il y en a d'autres, nous en reparlerons.

Bien évidemment, on peut toujours se battre sur l'open booking dont beaucoup pensent qu'il empêche totalement le contrôle des dépenses. Erreur grossière. Au début du XXe siècle, bon nombre de commentateurs et de scientifiques affirmaient que les téléphones n'avaient aucune chance de se développer et que l'électricité, alors naissante, n'était qu'un gadget pour industriels fortunés. Rappelez-vous ce que Louis Renault lui-même écrivait sur l'aviation : «l'activité d'une jeunesse riche, et désœuvrée, qui ne connaîtra jamais le succès de masse». La liste des "on pourrait" et "il y aura" est sans fin. Je suis persuadé que nous irons demain nous promener aux limites de l'espace comme l'envisage Richard Bronson. Sans doute nos enfants ou petits-enfants verront l'avion sans pilote, ou la voiture volante. Peut-être ne les croiseront ils jamais car la puissance de l'innovation, c'est le mariage du rêve et des besoins. Très exactement la définition à trouver entre le voyageur et son acheteur.

Marcel Lévy