Pourquoi Ryanair réussit-elle si bien?

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Rarement une compagnie aérienne aura autant été critiquée par ses clients et rarement un transporteur aura annoncé des résultats financiers aussi bons. Ryanair est une société qui n’a pas peur des paradoxes et qui, malgré les provocations de son dirigeant Michael O’Leary, sait tirer les enseignements de ses erreurs. Avec plus de 900 millions d’euros de bénéfices au premier semestre 2014 et une hausse annoncée de ses revenus annuels, Ryanair défie tous les spécialistes du domaine et donne des sueurs froides à ses concurrentes.

La longue litanie des bons chiffres marque les premiers résultats d’une stratégie qui n’en est qu’à ses débuts. Un CA en hausse de 9%, un bénéfice prévisionnel estimé à plus de 750 millions d’euros pour l’année fiscale 2014/2015 sans oublier une hausse prévisionnelle des liaisons entre 2015 et 2017. Michael O’Leary ne cache pas que pour avancer, il faut « éviter de renouveler les mêmes erreurs » même s’il admet qu’il est nécessaire d’en faire. Un mea culpa ? Certainement pas. Aucun regret sur le passé, l’homme regarde droit devant, parfois un peu trop loin. Mais c’est toute la frontière entre le visionnaire et le provocateur. Mais au-delà d’un trait d’humour, le patron de Ryanair possède une qualité enviable : l’adaptation. Ce caméléon du transport aérien est prêt à tout pour réussir.

Pendant des années, il a nargué ses concurrents en s’imposant sur des aéroports avec qui il négocie des "fonds marketing" pour développer la communication de la compagnie. Puis, persuadé qu’il est nécessaire et indispensable au transport aérien européen, il bouscule ses clients en imposant des règles complexes et des surcoûts tarifaires extravagants (valises, impression de la carte d’embarquement…) sans douter un seul instant de la capacité des voyageurs à ne pas changer de compagnie. Il ira même jusqu’à déclarer que « vu le prix des billets, les clients n’ont pas d’autre choix que de choisir Ryanair ». Face à la bronca que suscite au bout de quelques années une telle position, il change son fusil d'épaule en peu de mois et transforme le loup en un mouton docile capable de plaire à toutes les clientèles, y compris celles du business Travel. Et là encore pour la séduire, il s’appuie sur un prix presque rond : 69,99 € par vol pour l’offre Ryanair Business Plus. En Angleterre sur des lignes très fréquentées comme Londres Édimbourg ou Londres Glasgow, les résultats sont immédiats au point de contraindre British Airways à revoir sa politique tarifaire.

En quelques semaines, Ryanair a gommé la quasi-totalité des points négatifs soulignés par ses clients. En moins de quatre semaines, la low cost a modifié le contenu de ses sites Internet pour les rendre plus « customer fiendly ». Quelques scories demeurent (cartes de crédit, assusrances difficiles à annuler…) mais promis, elles seront gommées rapidement.
Si Michael O’leary prend soin de sa clientèle, il n’en demeure pas moins un patron redoutable pour son personnel. Les pilotes poursuivent leur action discrète pour souligner les mauvaises conditions de travail et les condamnations pour travail déguisé pleuvent. Elles ne l’impressionnent pas. Même les accusations portées par les pilotes autour des contraintes carburant qui leur seraient imposées sont balayées d’un revers de main : de simples affabulations pour O’Leary.

Mais ce changement n’est pas le fruit d’une empathie nouvellement découverte pour les clients. Ryanair sait que désormais, il faut segmenter la clientèle pour la séduire. Une vision assez proche de celle défendue par Lionel Guérin dans son plan « point à point ». Avec un volume annuel de l’ordre de 85 millions de passagers aujourd’hui, 90 en juin 2015, la compagnie irlandaise laisse loin derrière easyJet et s’attaque lentement mais sûrement à la clientèle d’affaires. En France, cette vision fait sourire les travel manager pour qui les départs de Beauvais sont impensables. Une analyse que ne partagent pas certaines PME/PMI pour qui les billets vers l’Europe du Sud sont les moins chers. En tout, bien géré, un départ de Beauvais ne fait perdre qu’une 1h30 pour un tarif affiché à moitié prix.

O’Leary manie la contradiction comme un seigneur. D’un côté il se refuse à venir sur les aéroports parisiens, « les plus chers d’Europe » précise-t-il et qui pénaliseraient fortement la rentabilité de l’entreprise. De l’autre, il ne dément pas regarder les disponibilités sur Orly et Roissy mais se dit très intéressé par les régions françaises, selon lui porteuse d’un marché encore peu exploité. De fait, en arrivant sur des aéroports européens de premier ordre comme Bruxelles, Rome ou Lisbonne, il teste sa capacité à mettre en place un système basé sur des coûts d’exploitation toujours aussi bas, des prix des billets qui restent attractifs et la gestion de passagers habitués à être chouchoutés : les businessmen.

Mieux, alors qu’il s’est toujours refusé à ouvrir ses ventes aux agences de voyage, voilà qu’en septembre il annonce être présent dans le GDS Amadeus. Une révolution. On pourra désormais trouver Ryanair dans les SBT. Une nouvelle offre low cost qui pourrait séduire en province, à terme à Paris.

Et pour conforter cette image de proximité avec ses clients, il n’hésite pas à annoncer une baisse sensible des tarifs pour l’hiver 2014 2015 estimée entre 5 et 10%selon les destinations. Et il enfonce le clou : pas moins de 100 nouveaux B737 MAX commandés à Boeing. On ne prête qu’aux riches. Ryanair devrait annoncer à la fin du premier semestre 2015 une hausse de son chiffre d’affaires de l’ordre de 9 %. Et pour aller plus loin, le patron de Ryanair a commencé à retravailler totalement son approche des frais ancillaires. Il y a peu de temps, dans le quotidien irlandais l’Independent.ie, il précisait même que le choix d’un siège payant compensait très largement la gratuité du bagage. Y compris en intégrant les coûts de manutention au sol. Et des idées, loufoques ou pas, Michael O’Leary en a quelques-unes dans son sac. N’en doutons pas, il n’a pas finir de nous agacer, nous amuser, nous surprendre. Mais surtout, réussir.

Pierre Barre