Privatisation d’ADP : pour quoi faire ?

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Avant même que les Assises du Transport Aérien ne soient lancées, et bien avant qu’elles aient pu rendre des conclusions, voilà qu’on ne parle que de la privatisation d’ADP (Aéroports De Paris). On peut tout de même s’interroger légitimement sur le bien-fondé d’une telle opération et sur son périmètre.

Il est vrai qu’ADP constitue une très grosse pépite dans les participations de l’Etat. Les chiffres sont impressionnants. Le dernier exercice s’est soldé par un résultat net de 614 millions d’€ et le résultat opérationnel s’est élevé à plus d’un milliard (1,052 Md €). Le tout pour un chiffre d’affaires de 3,617 milliards d’€ ce qui fait une marge opérationnelle proche de 30% (29,08% exactement). Nombre de grandes et même de petites entreprises seraient fières d’afficher de telles performances financières, lesquelles d’ailleurs durent depuis des années.

Mais ce n’est pas tout, l’action d’ADP cote 182,60 € au moment où j’écris ces lignes et les capitaux propres sont de 5,434 Md d’€ soit une fois et demi le chiffre d’affaires. Au total, la valeur boursière d’ADP se monte à plus de 18 milliards d’€. Alors l’Etat qui possède 50,60 % du capital est bien tenté de ramasser sa mise qui, en l’occurrence, se monterait à plus de 8 milliards d’€. Rappelons pour la petite histoire que le groupe a été privatisé le 27 juillet 2005 et que son entrée en bourse a été faite à un cours de 48,22 € par action. En 12 ans, les heureux actionnaires ont vu leur patrimoine multiplié par 3,8. Et l’Etat veut maintenant ramasser ses gains. Il y est d’autant plus enclin qu’un acheteur frappe à la porte et il a les moyens de ses ambitions : c’est le groupe Vinci.

Alors on peut comprendre cette volonté de "faire moderne" en engrangeant une grosse plus-value, mais est-ce une bonne stratégie en regardant à long terme ? Avec plus de 100 millions de passagers traités en 2017 et de très significatives participations en Turquie et en Asie, ADP se positionne au tout premier rang des grands ensembles aéroportuaires mondiaux. La société est assise sur une manne récurrente car il y a peu de chances pour que le trafic aérien diminue. Par conséquent, le niveau de résultat ne devrait pas baisser dans le futur et il est déjà de 614 millions d’€. Avec ses 50% de participation au capital, l’Etat reçoit potentiellement 300 millions d’€ par an. Reste que financièrement parlant, il lui faudrait à ce rythme 22 ans pour atteindre les quelques 6,6 Md € de plus-value qu’il peut ramasser dans cette opération.

Sauf que la privatisation se heurte tout de même à quelques écueils. Le premier est la perte de souveraineté sur un outil stratégique pour le pays. L’exemple toulousain est là pour nous rappeler que les intérêts d’un investisseur privé et ceux de l’Etat peuvent être très divergents. De leur côté, les compagnies aériennes qui hurlent à la mort chaque fois qu’ADP augmente ses redevances, sont très inquiètes de passer dans les mains d’un opérateur privé dont l’objectif avéré est d’améliorer son profit.

Mais il y a probablement des alternatives. Si on parle de privatisation, pourquoi englober toute la société ADP et ne pas seulement privatiser l’une des deux grandes plateformes parisiennes, en l’occurrence Orly ? Cela aurait de multiples avantages, au premier rang desquels créer une véritable concurrence dans ce secteur d’activité, laquelle est toujours à l’origine d’une amélioration de la qualité de services et de la baisse des prix. Après tout, il serait intéressant de voir face à face deux groupes puissants : ADP à Charles de Gaulle et Vinci à Orly. Les compagnies aériennes et les passagers clients de ces aéroports auraient certainement à y gagner.

Et puis tant qu’à vendre des participations, l’Etat pourrait aussi liquider ses positions à l’intérieur du groupe Air France/KLM. C’est en effet le seul exemple dans les grands groupes aériens de lien organique avec la puissance publique. Après tout, le contrôle indirect de la compagnie « nationale » peut toujours se faire par le moyen des droits de trafic. Et il n’est pas sûr que l’abandon par l’Etat de sa participation ne soit pas bénéfique, ne serait-ce que par le signal donné aux syndicats. Ces derniers profitent en effet de la participation de la puissance publique et du parapluie qu’elle constitue pour éviter toute réforme pourtant évidente, si on en croit les résultats des groupes européens concurrents.

La privatisation partielle d’ADP et la vente des 14 % détenus dans Air France/KLM, voilà qui constituerait un signal fort de la libéralisation du transport aérien dont la France a tant besoin.

Jean Louis BAROUX