Que reste-t-il des vertus du travail ?

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Sans doute avez-vous remarqué à la télévision, comme à la radio, que chaque nouvelle interview d'une starlette, d'un chef d'entreprise ou d'un sportif émérite est ponctuée par une phrase souvent identique : «Pour y arriver, il faut travailler fort». Cette vertu du travail, reconnue par toutes les générations passées, est en train de s'estomper au profit de la technologie dont on nous répète à longueur de journée qu'elle a été créée et imaginée pour nous faciliter le quotidien.

Depuis la révolution industrielle, les entreprises privilégient la machine à l'homme. Mais tout dernièrement, la technologie leur fait réduire le nombre de personnes dédiées à la gestion des voyages ou reconfigurent leurs services achats pour y intégrer les Travel managers. Désormais, elles se demandent si, au final, l'externalisation n'est pas la solution la plus simple pour acheter un billet de train ou d'avion. Pensez donc, il suffit de tapoter sur un clavier pour réussir l’exercice ! Même un enfant de 6 ans sait le faire.
Cette simplification à l'extrême de la mission d'un acheteur voyages conduit à des situations ubuesques dans certaines grandes entreprises françaises. Il est vrai que la fonction de Travel managers ne s'exerce pas à vie et que bon nombre de ceux qui l'occupent aujourd'hui seront appelés demain à d'autres missions, souvent plus importantes. C'est le jeu naturel de la promotion professionnelle. Mais au-delà, les nouveaux entrants, issus d'écoles comme l’ESCAET et fort bien formés, ont bien du mal à se positionner dans l’univers du Travel où les évolutions engagées brouillent la lisibilité de leur avenir professionnel. Il y a quelques années, un agent de voyages, un jeune acheteur, un spécialiste de la logistique des services généraux pouvait se retrouver à gérer du voyage comme il l'aurait fait pour des balais, du papier d'imprimante ou des sacs-poubelle. On sait aujourd'hui que la gestion du Corporate est affaire de travail, de ténacité, de savoir et d'expérience. Il ne suffit pas de connaître le numéro de téléphone d'Air France ou de toute autre compagnie pour croire que la négociation se fera dans la facilité. L'implémentation d'un SBT, le suivi de son évolution au sein de l'entreprise, la gestion des appels d'offres croisés, l’implémentation des moyens de paiement, le reporting et bien d'autres missions comparables sont le fruit d'un travail important, permanent et complexe. Croire que le voyage est à l'image de ces sites Internet où tout semble facile et rapide serait sans doute une erreur grossière de la part des directeurs financiers ou des directeurs des achats hors production. Le travail dans l'univers du Travel management ne se fait pas tout seul. Ce n'est pas du tourisme, c'est l'expression d'un savoir-faire professionnel qui demande des années d'expérience, un talent réel en matière d'écoute des voyageurs et l'acceptation d'une mission complexe : gérer un service qui se retrouve entre le marteau et l'enclume et ou chaque voyageur se croit unique, indispensable et important. Quand on sait qu'il faut six ans pour former un bon psychologue, on se demande combien de temps il faut pour faire un excellent gestionnaire des voyages dans une entreprise, quelle que soit sa taille. Si vous avez la réponse, je prends !

Pierre Barre