Repenser la distribution des compagnies aériennes

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Le NDC se met progressivement en place et on peut parier sans grands risques que cette norme va s’étendre à l’intégralité du transport aérien d’ici à 2020, tout comme cela s’est passé lors du passage à la billetterie électronique. Et, à l’évidence, ce bouleversement obligera les acteurs à repenser la distribution du transport aérien. Je pense aux compagnies aériennes, aux GDS, aux agents de voyages, mais aussi à IATA.

Pendant des années, les compagnies aériennes appliquaient une politique de distribution très simple. Elles remettaient leurs stocks de billets aux agences de voyages sélectionnées en échange de garanties bancaires et, en contrepartie de leurs services, elles payaient une commission de 9% sur les billets internationaux et de 7% sur les vols domestiques. Les tarifs étaient très simples eux aussi : Economie, Business et Première, assortis de quelques réductions typologiques.

Tout a changé sous l’effet de la libéralisation du transport aérien qui a déréglementé les tarifs. Chaque compagnie pouvait alors décider de sa propre grille tarifaire. C’est alors que les ordinateurs sont devenus plus puissants et plus miniaturisés, ce qui a permis l’éclosion du « yield management », lequel a eu pour effet la multiplication, au-delà du raisonnable, des tarifs et des réglementations attachées. Il est ainsi fréquent de voir des tarifs du simple au décuple sur un même vol, dans la même classe de transport.

Et, avec la déréglementation, les GDS ont émergé, créés d’ailleurs par les compagnies aériennes qui les ont revendus aux investisseurs privés ou institutionnels. Alors les transporteurs ont transformé une vache à lait en centre de coûts, et ils n’ont pas aimé.

Enfin les compagnies aériennes ont toujours considéré les agents de voyages comme des parasites obligatoires. Elles considèrent anormal de leur verser des commissions alors que, pensent-elles, elles ont la totalité des risques. Donc elles ont fini par arrêter de les rémunérer, en se tirant ainsi une balle dans le pied. En effet les agents de voyages n’ont eu dès lors pour stratégie que de tirer les tarifs vers le bas alors qu’en étant commissionnés, ils avaient intérêt à vendre plus cher.

Les GDS, eux, ont profité de la situation d’oligopole survenue une fois les consolidations achevées. Disons qu’il ne reste plus que 3 GDS à vocation mondiale : Amadeus, Sabre et Travelport, lesquels appartiennent tous à des fonds d’investissements qui les ont achetés très cher aux compagnies aériennes. Alors les prix de leurs prestations se sont envolés. De 3$ le passager/segment payés à l’origine, on est passé à une fourchette allant de 7 à 12$ en fonction de l’éloignement du vol par rapport à son lieu d’achat. Et pour inciter les agents de voyages à les utiliser, ils leurs offrent des rétrocessions ce qui a le don de mettre les compagnies aériennes en grande colère car c’est finalement elles qui paient.
Il reste qu’ils sont les seuls à fournir un accès global à la totalité de l’offre du transport aérien, et ce n’est pas près de changer.

Enfin, les agents de voyage représentent depuis l’origine du transport aérien aux alentours de 70% des ventes. Autrement dit, ils sont les intermédiaires indispensables pour amener le produit des transporteurs vers les clients. Certes, ils ont considérablement évolué dans deux directions : d’abord la constitution de réseaux puissants, capables de discuter d’égal à égal avec les compagnies et la création d’une nouvelle forme de distribution dématérialisée avec les OTAs (Online Travel Agents). La perte affichée des rétrocessions en provenance des GDS va les affecter considérablement. Les OTAs seront les premiers et les plus durement impactés.
La norme NDC va conduire les compagnies aériennes à sélectionner leurs distributeurs, comme ils le faisaient par le passé. En échange, les agents de voyages choisis auront accès à une offre beaucoup plus sophistiquée et infiniment mieux présentée.

Il reste à évoquer IATA…. L’association de protection des compagnies aériennes possède un outil magique : le BSP. Celui-ci est encore indispensable pour le rapatriement des fonds vers les compagnies aériennes. Il sera difficile à remplacer, mais il lui reste à intégrer le règlement des produits annexes: hôtels, locations de voitures et toutes autres prestations terrestres, faute de quoi les acteurs du transport aérien se retourneront vers d’autres systèmes de paiement.

Tout va changer. Mais finalement, on peut se demander si ces transformations ne vont pas amener les acteurs à revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire le commissionnement des agents de voyages, tout au moins pour les tarifs les plus élevés et la vente des « ancilliary» services.

Jean-Louis BAROUX