Ryanair et EasyJet, les meilleurs ennemis

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La bagarre entre les deux principales compagnies « low cost » européennes - Ryanair et EasyJet - est lancée et elle promet d’être sanglante. Pendant longtemps, les deux protagonistes se sont évités, chacun développant un modèle spécifique. Ryanair allait au bout des économies d’exploitation alors qu’EasyJet copiait pratiquement point par point le modèle créé par Southwest à la fin des années 1970 aux Etats-Unis. A l'heure où EasyJet fête son 20 ème anniversaire, retour sur leur success story.

Ces modèles si différents ont fait la prospérité de l’une et l’autre. Oh certes, tout n’a pas été facile. Il a fallu vaincre l’inertie administrative et l’opposition farouche des transporteurs traditionnels. C’est ainsi qu’EasyJet a eu toutes les peines du monde pour s’installer en Suisse. La compagnie a dû ruser en vendant de faux packages à destination de Barcelone incluant un hébergement sous une tente à 80 kilomètres de l’aéroport. On voit bien maintenant le ridicule de la réglementation de l’époque. Pour faire plier Swissair, il a fallu une campagne de presse d’une extrême violence dans les quotidiens genevois où EasyJet accusait carrément de vol son concurrent suisse. Et finalement, cela a payé et les autorités, sous la pression de leur population et donc de leurs électeurs, se sont rendues au bon sens.

Pour Ryanair, les débuts n’ont pas été faciles non plus. Créée en 1985, elle s’est destinée dans un premier temps à assurer les liaisons entre l’Irlande et la Grande Bretagne. Les effets de la dérégulation européenne qui permettront son expansion ne datent que du début des années 1990. Elle développe alors un modèle totalement original basé sur la recherche du prix de production le plus bas. Cela conduit, entre autres, le transporteur à desservir les aéroports secondaires, là où les frais de toucher sont les plus bas, mais aussi là où personne ne veut aller. Mais Ryanair pense que les clients du nord de l’Europe peuvent être attirés n’importe où dans le sud. Dès lors, la compagnie fera payer par les collectivités locales le droit de se poser chez elles en amenant des clients qui seront bien entendu des consommateurs. Et l’affaire marche très bien.

Dès le départ, les transporteurs traditionnels européens ont regardé les deux intrus comme des gens peu recommandables. Forts à l’époque de leurs positions dominantes, ils donnaient, du haut de leur superbe, des leçons d’économie à tous les politiques et aux administrations en expliquant que le modèle « low cost » n’avait aucune chance de se développer en Europe, bien qu’il ait réussi largement sa percée aux Etats Unis, et que d’ailleurs ils ne donnaient pas cher de la peau de ces nouveaux entrants.

Le temps a passé, le modèle « low cost » s’est imposé sur tout le court et moyen-courrier européen et les deux premiers transporteurs sont désormais face à face. Ils sont d’une force à peu près identique. Ryanair a une flotte : 320 Boeing 737/800 et un chiffre d’affaires de 5,654 milliards d’€ contre 240 A319 et A320  et un chiffre d’affaires de 5,953 milliards d’€ pour EasyJet. L’un et l’autre dégagent des profits confortables : 867 millions d’€ pour Ryanair et 668 millions d’€ pour EasyJet. L’un et l’autre ont passé des commandes d’avion très importantes : 271 Boeing 737/800 et Max 8 pour Ryanair contre 150 A320 et A320 Neo accompagnés de 100 options pour EasyJet. Seulement leurs stratégies, qui ont divergé pendant longtemps, EasyJet ayant fait le choix des grands aéroports et l’absence de soutien local, sont en train de se rapprocher.

Pour faire tourner les quelques 900 à 1000 avions que les deux transporteurs vont mettre en ligne, il leur faut impérativement gagner la clientèle affaires. Pour ce faire, EasyJet dispose d’un grand avantage : son historique. Dès le début, la compagnie a conquis une clientèle d’hommes d’affaires qui avaient appris à compter. Pour l’essentiel des professions libérales. La compagnie britannique a donc une avance sur la connaissance des besoins de ce type de passagers et elle dispose de plus d’un nombre très important de créneaux de décollage, les fameux « slots » dans les grandes plateformes aéroportuaires.
Ce n’est pas le cas de Ryanair qui n’est pas présente dans les grands aéroports européens. Il lui faudra donc se frayer une place et ce ne sera pas facile. Aucun des opérateurs actuels n’est prêt à laisser de l’espace à un tel concurrent. Il en va de leur survie et personne n’est suicidaire à ce point. Alors il faudra attendre soit que de nouveaux créneaux se libèrent, et ce n’est pas pour demain, ou que la Commission de Bruxelles accepte enfin d’ouvrir le marché des « slots » et de permettre aux détenteurs actuels de les vendre à d’autres opérateurs. Cela aurait d’ailleurs un double intérêt : outre que cela permettrait l’entrée de nouveaux concurrents, cela valoriserait le patrimoine des détenteurs actuels aux premiers rangs desquels Lufthansa et Air France/KLM qui verraient ainsi leurs bilans considérablement revalorisés.

Alors forts de leur très grosse trésorerie, Ryanair et EasyJet entameront un combat farouche pour la domination du marché aérien européen... et la partie sera intéressante à voir.

Jean Louis BAROUX