SNCF: et si la grève durait ?

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Lundi 16 juin, sixième jour de grève à la SNCF. Et rien n’indique encore précisément que la fin de ce conflit soit proche. Tentative de lecture du proche avenir. Attention, visibilité limitée !

La direction, le gouvernement comptent les grévistes et accessoirement les trains qui roulent. Les syndicats CFDT et UNSA qui n’ont pas appelé à ce mouvement aussi. Pour ces derniers, c’est bon. Leur approbation de la réforme n’est pas menacée. Ils n’ont donc pas de raison de jeter de l’huile sur le feu et retarder la fin de conflit en exigeant de voir la CGT capituler en rase campagne ou partir en débandade. Ils règleront leurs comptes plus tard par le débat devant leurs mandants. Il y aura des élections professionnelles générales à la SNCF en 2015 (simultanément dans les trois EPIC de la réforme). Ce sera l’occasion.

SUD, personne ne s’en préoccupe. SUD ne décide de rien. Dans un communiqué de presse, cette organisation fait savoir que « c'est aux grévistes de décider des suites de leur grève » (sic).

Nombre de grévistes, des plus et des moins…

Sur les quelques 30 % de grévistes du premier jour, la baisse de participation à ce mouvement de 5 % par jour ce dernier jeudi et ce vendredi n’est pas si significative. D’ordinaire, dès le deuxième jour les syndicats s’attendent à un reflux d’au moins 10 %. Là, il aura fallu deux jours.

Aucun comptage officiel n’étant réalisé pendant le week-end ou en tout cas communiqué, - on se demande pourquoi ? - la visibilité en ce début de semaine est bien faible. Mais, quitte à continuer à paraphraser avec le vocabulaire et la stratégie militaires, l’intention n’est-elle pas de rendre sourd et aveugle l’adversaire en le privant de ses repères sur le terrain qu’il occupe réellement ?

Six jours de grève, six jours de calendrier. Cela coïncide aussi avec le maximum d’un cycle de travail pour les cheminots. Ce qui a plusieurs conséquences sur les sorties et les entrées dans la grève.

Les grévistes de la première heure sont déjà en repos hebdomadaire ou vont l’être maintenant. Dans le cadre des roulements, d’autres équipes ont déjà pris et vont prendre le relais. Combien de grévistes supplémentaires ou remplacés par des cheminots au travail ? Et donc, l’un dans l’autre, du mieux à attendre ou pas sur les capacités de la SNCF à faire circuler plus de trains… ou encore moins !

Et même si en ce début de semaine, l’entreprise pouvait engranger une participation au mouvement nettement plus faible (sans mentir ?), la désorganisation resterait grandissante. Cela viendrait pendant au moins un jour ou deux encore donner du crédit à la contestation des chiffres par les grévistes ainsi qu’à leur affirmation du maintien de leur rapport de forces.

Conformément à la législation sur le service garanti, les tableaux de service des salariés non grévistes ont été adaptés, profondément modifiés parfois et le cas échéant les repos décalés. Mais il n’est pas possible d’utiliser le personnel à flux tendu au-delà de certaines limites. Ces limites sont nécessairement atteintes pour les cheminot(e)s qui sont sur le pont depuis jeudi dernier. Et s’il n’y a pas un volume significatif de reprises du travail, des ressources parmi les non-grévistes feront donc cruellement défaut pendant un ou deux jours minimum, jusqu’au démarrage du cycle de travail suivant.

Élément supplémentaire de désorganisation, même le cas échéant sans un seul gréviste de plus : les déclarations d’intention. Tant que la grève se poursuit, les cheminots peuvent être tentés à tout moment de déclarer leur intention de se joindre au mouvement avec 48 heures de prévenance. Ils ne sont pas obligés par la suite de mettre leur intention à exécution. Une forme de grève « par procuration » susceptible de faire perdre toute lisibilité à la SNCF pour l’organisation du service garanti auquel elle est tenue.

Des journées de grève qui justifient la suivante…

Avec jusqu’à 6 jours de grève au compteur, certains cheminot(e)s grévistes peuvent aussi bien entendu considérer que le compte est bon pour eux et reprendre le travail. Mais, d’un autre côté, quand un(e) cheminot(e) cumule plusieurs journées de perte de salaire, représentant pas mal d’argent (le nerf de la guerre), chaque journée de grève supplémentaire peut aussi justifier la suivante dans son esprit.

C’est toujours ainsi que s’échelonnent les séquences d’une grève reconductible. Début à un certain niveau de participation, plus ou moins élevé. Reflux le deuxième et le troisième jour. Apport potentiel de troupes plus fraîches à partir du cinquième ou sixième jour. Et c’est parti pour une deuxième semaine. Ce cap étant franchi, le prix des journées perdues peut s’avérer beaucoup trop important pour pouvoir être passé en pure perte et reprendre le travail sans un minimum de satisfaction ou de compensations sur les revendications exprimées.

Des précédents…

Se souvenir qu’en novembre / décembre 1995, la grève contre le « Contrat de plan entre l’Etat et la SNCF », la plus similaire aux motifs du conflit actuel, dura 22 jours. Le « Contrat de plan » fut retiré. En avril 2001, celle contre « Cap Client » (désignation à la mode PowerPoint de la gestion de l’entreprise par branche, domaine et activité) du Président de la SNCF de l’époque (Louis Gallois), dura 16 jours. Elle était assez similaire également. Elle se termina par une promesse de « pause » avant que la gestion par activité dénoncée ne reprenne de plus belle puisque force est de constater que c’est le schéma sur cinq branches sur lequel la SNCF est organisée aujourd’hui.

En 1995, le nombre de grévistes était double. S’il faut se hasarder à essayer de résoudre l’équation par une règle de trois : 22 jours pour 60 % de grévistes, 11 jours pour 30 % ? Le rapport de forces de la grève actuelle peut alors mener jusqu’à dimanche prochain.

Encore qu’il ne soit pas dit que ce soient les grèves les plus suivies qui durent forcément le plus longtemps. On pourrait même penser que ce pourrait être le contraire dès lors qu’elles reposent sur un noyau dur « chauffé à blanc » comme le soulignent bon nombre d’observateurs.

Un week-end de réflexion ?

Ce week-end, il ne s’est pas passé grand-chose. Des assemblées générales n’ont pas été tenues dans tous les sites. On se demande aussi pourquoi ? Peut-être un temps de réflexion ?

Mais, par expérience, comment imaginer qu’il n’y ait pas eu de contacts au moins informels avec un acteur essentiel du conflit, à savoir la CGT ?

SUD se plaint d’ailleurs dans un bulletin daté de ce dimanche 15 juin que (le Secrétaire d’Etat aux transports) « ne daigne plus donner suite à nos appels depuis hier matin, tout occupé qu’il est à discuter avec ceux qui le soutiennent, contre les grévistes ».

Ce qui vaut pour SUD ne vaut pas forcément pour la CGT. Et allez savoir si SUD ne suspecte pas déjà la CGT de ne plus soutenir totalement les grévistes, au travers des propos tenus par Thierry Le Paon, secrétaire général de la confédération CGT

Rendre acceptable l’inacceptable, seule porte de sortie ?

Mine de rien, la lecture attentive de l’information syndicale peut quand même donner parfois quelques signes d’espoir. Il en est ainsi d’un tract dans lequel la CGT souligne et dénonce que :

« A la SNCF, silence radio ! Par ailleurs, les sujets d’entreprise et plus particulièrement les questions d’emploi, de salaires, d’organisation de la production et des conditions de travail, contenus dans le préavis, sont totalement ignorés par la Direction de la SNCF. C’est inacceptable ! »

En se souvenant des propos tenus précédemment par Frédéric Cuvillier, on entrevoit peut-être une issue possible, c’est bien a priori la seule :

"Un certain nombre d'interrogations, de critiques concernent des questions internes à la SNCF. Je ne veux pas que cette réforme si importante soit fragilisée par des manquements à l'intérieur de l'entreprise".

Ce n’est pas pour rien que le préavis de grève faisait trois pages !
De quoi refiler la patate chaude à Guillaume Pepy, à charge pour lui et à lui-seul de trouver les voies d’un arrangement sur des revendications purement internes à l’entreprise et ne remettant pas en cause la philosophie et l’équilibre général du projet de loi gouvernemental au-delà de ce sur quoi il a déjà été amendé.

Sans être devin, on peut pressentir un moratoire sur les réorganisations en cours, au moins tant que la loi sur l’organisation et la gouvernance du système ferroviaire n’est pas définitivement votée.

A part ça, on ne voit pas bien.

Et tant qu’on ne voit pas bien, c’est une grève qui continue. Le « record », 29 jours en 1986. Une simple histoire de nouvelle grille de salaire. Même pas une revendication d’augmentation des salaires mais le maintien d’une part d’ancienneté dans les mécanismes statutaires de déroulement de carrière.

Qu’à Messieurs Pepy, Cuvillier, Valls ou Hollande ne plaise ! Et qu’ils ne perdent pas de vue qu’il leur faudra peut-être aussi « sauver le soldat Garrel (*)». Celui-ci ne dira pas non. Pari tenu ?

PAT.


(*) Gilbert Garrel, Secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots.