SNCF : la concurrence, un serpent de mer pour amuser les clients ?

77

A peine réélu à la direction de la SNCF, le Président Pépy n'a pas caché son souhait de préparer l'entreprise à la concurrence. Mais laquelle ? On ne met pas des trains en place comme on le ferait des voitures sur une autoroute. Et si le spectre de la concurrence n'était là que pour justifier des efforts financiers demandés à tous les acteurs du ferroviaire? Clients compris. PAT, notre chroniqueur se penche sur le sujet.

SNCF : la concurrence, un serpent de mer pour amuser les clients ?
Pour paraphraser le grand Charles, bien sûr on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant la concurrence, la concurrence, la concurrence mais... Cela n'amènera à rien. Quelle concurrence ? Comme sur les rayons d'un hypermarché, quand on choisit un produit de grande consommation ? On regarde le prix, on apprécie la qualité ou on la reconnait, on adhère à telle marque plutôt que telle autre et on choisit. De temps en temps, on change juste pour essayer ou en réaction à une quelconque fâcherie, baisse de la qualité ou augmentation des prix.

Oui et pour le train ? Besoin d'aller d'un point A à un point B. Je ne crois pas que l'ouverture à la concurrence signifiera que chacun aura le choix de sa compagnie. Un tel schéma impliquerait que plusieurs compagnies cohabitent pour se partager l'espace et le potentiel de voyageurs sur un marché qui n'est sans doute pas tellement extensible du simple fait de la seule concurrence. A supposer qu'il y ait deux exploitants sur une ligne, il n'y aura pas le double de voyageurs. Les parts de marché gagnées par l'un seront perdues par l'autre. Jusqu'au point d'équilibre entre les deux compagnies ou jusqu'à ce que l'une d'elles soit éjectée du marché. Si la guerre s'est faite sur les prix, ceux-ci pourront ensuite remonter.

Je pense que le schéma hautement le plus probable, c'est l'attribution de lignes entières à telle ou telle compagnie, seule et tranquille sur son axe pendant le temps de sa concession. Auquel cas, il faudra que chacun fasse avec la compagnie qui assurera la desserte dont il a besoin, à l'horaire qui lui convient. Bien sûr, le fait que simultanément une autre compagnie assurera des dessertes d'un point C à D permettra d'avoir des éléments de comparaison sur l'efficacité économique et commerciale de chacune d'elles. Pourquoi celle là est-elle plus chère ou moins chère ? Pourquoi celle-ci propose t-elle des services que l'autre ignore ? Mais pour répondre à un besoin de transport de A à B, il faudra bien faire avec la compagnie qui ira du point A au point B et elle-seule.

Déjà, l'organisation actuelle de la Sncf, telle que Pepy l'a déjà grandement mise en place, est tout à fait compatible avec les exigences européennes quand elles se feront pressantes. Les lignes, les axes, sont gérés sur la base d'entités opérationnelles complètes, facilement détachables du reste. La Sncf lâchera alors telle ou telle ligne au profit d'un nouvel entrant. Le personnel lui sera resté en place, convention collective oblige ou tout simplement article L-1224-1 du Code du travail ou directive européenne du 14 février 1977. Et les lignes passeront ainsi régulièrement de l'un à l'autre opérateur.

Opérateur qui voudra, bien entendu, a minima récupérer sa mise de départ et dégager quelques bénéfices. Et si ceux-ci ne sont pas au rendez-vous, lâchera prise au terme de la période de concession, si ce n'est avant sans exclure de sacrés chantages au retrait (voir ce qui se passe dans l'aérien). Un mécanisme pour la vérité des coûts d'exploitation de chaque ligne, plus qu'une perspective de prix meilleurs marché pour les voyageurs.

Plus une entreprise ferroviaire exploite un vaste ensemble de lignes, plus elle a des chances de pouvoir compenser les pertes d'un endroit par les marges dégagées ailleurs. Le chemin de fer est "à rendement croissant" : plus un exploitant transporte, plus ses coût de production ont une chance d'être plus faibles. Et ce que transportera l'un, ce sera autant de perdu pour l'autre. L'ouverture du marché du fret ferroviaire l'a bien montré. De nouveaux opérateurs ont pris du trafic à la Sncf mais, globalement, le volume de fret transporté s'est rétracté et les pertes de la Sncf, restée dominante (pas fous les nouveaux entrants), se sont aggravées. Car tant qu'à venir sur le marché, autant se positionner sur des niches rentables et laisser le reste à l'abandon ou à la charge de qui voudra bien le financer, et si c'est l'entreprise historique c'est très bien pour le nouvel entrant. Suivez mon regard : Paris - Lyon, c'est sans nul doute plus intéressant pour un exploitant que Paris - Arras et même Paris - Strasbourg ! Ou alors, il y aura des packages. Une ligne difficile ou impossible à gérer à l'équilibre en même temps qu'une ligne vertueuse. Comme dans la vente d'automobiles d'occasion par lots entre professionnels : la cession d'un bon véhicule, facilement revendable avec marge, passe par l'acceptation de deux ou trois vieilles carcasses dont il faut se débarrasser.

La bonne nouvelle comme dirait Pepy, c'est que les députés et sénateurs ont été enthousiastes pour la reconduction de son mandat. Même les élus d'Arras dont Pepy, avec raison d'ailleurs, avait pointé le fait que la desserte TGV n'y était pas rentable ? Même ceux de Clermont-Ferrand dont les trains à direction de la capitale doivent se contenter de Bercy plutôt que de Paris gare de Lyon pour laisser la place à plus pécunieux ? Même ceux des villes desservies par les transversales Intercités dans le cadre des Trains d'Equilibre du Territoire, dans lesquels ils savent qu'il va y avoir des coupes sombres (exclusion de ces dessertes subventionnées des villes de moins de 100 000 habitants) ?

Tous d'accord ? Très très bien. Attendons la suite.

En tous cas, quel communicant ce Pepy. Quel prestidigitateur nous faisant apparaître ou disparaître ce qu'il veut derrière un rideau de fumée ! Je suis admiratif et bluffé, moi aussi.

PAT