SNCF: la grève s’arrêtera d’ici 24h. On prend le pari ?

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Après avoir expliqué dès le mardi 10 juin pourquoi la grève à la SNCF pouvait durer et le lundi 16 juin pourquoi elle durait encore, l’heure semble venue d’annoncer enfin la fin du mouvement et la reprise du train-train quotidien. En ce jeudi matin, 9ème jour de conflit, le lecteur appréciera la prise de risque du chroniqueur ferroviaire. Et ne manquera pas de le vouer aux gémonies s’il se plante dans sa prédiction!

Amis lecteurs, n’attendez pas l’annonce d’une fin de cette grève reconductible ! De tradition sociale, les organisations syndicales de cheminots annoncent rarement la fin de ce type de conflit. Celui-ci sera donc au mieux suspendu. Pas d’inquiétude, c’est le sort qu’ont connu les précédentes grèves reconductibles de 1986, 1995 ou 2008 à la SNCF. Personne n’est dupe sur le fait qu’il s’agit de savoir mettre les formes pour annoncer la fin d’une grève, surtout quand elle n’est pas trop victorieuse. Peu importe le vocabulaire utilisé. Si un mot plutôt qu’un autre permet d’apaiser les tensions, les syndicats de cheminots auraient tort de nous en priver.

Des signaux faibles mais persistants…

A l’heure ou nous écrivons (mercredi soir 22h00), le bruit court déjà qu’il n’y aurait déjà plus grève à Rennes (prudent conditionnel), que Chalindrey aurait voté la reprise, de même qu’Angoulême (de manière davantage affirmative pour ces deux sites ferroviaires). Et que ce jeudi, l’assemblée générale du site de Les Aubrais Orléans sera saisie d’une proposition de suspension du mouvement.

Démarrée avec près de 30 % de participation, en recul continu les jours suivants, cette grève n’était plus suivie que par moins de 12 % des effectifs toutes catégories confondues. Très minoritaire donc.

Toutefois, quelques 25 % du personnel d’exécution et 10 % de l’encadrement de proximité comme les désigne la SNCF (collège maîtrise) y étaient encore engagés. Ce n’est pas rien. Et ce sera à analyser de près.

Pour l’heure, le rapport de force commun de la CGT et de SUD apparait très insuffisant pour que le conflit dure encore ne serait-ce qu’un jour ou deux. Les initiateurs de cette grève reconductible doivent en effet de jour en jour compter avec les défections dans le suivi de leur mot d’ordre. Les votes en faveur de la reconduction de la grève à 100 % ou presque dans les Assemblées Générales (à main levée souvent, à bulletin secret parfois) n’empêchent pas les reprises individuelles sitôt l’A.G. terminée ! Et même si le résultat du vote ne varie guère dans un premier temps, les participants sont chaque jour moins nombreux.

La CGT a une excellente pratique à la SNCF de ces mouvements durs auxquels n’adhère plus qu’un noyau dur également. Quand l’évidence du rapport de force le lui impose, c’est avec tact qu’elle sait proposer et même recommander un repli collectif dans l’ordre. Bien sûr, elle préfèrerait que ce soit une autre organisation qui propose la première cette option. Mais ici, la CGT sait que ce n’est pas SUD qui va faire ce boulot. Il va donc falloir qu’elle s’y colle.
Un premier signe tangible donné par l’UFCM-CGT…

UFCM-CGT, c’est qui, c’est quoi ? L’Union Fédérale des Cadres et Maîtrise de la fédération CGT des Cheminots. Historiquement, les cadres et agents de maîtrise affiliés à la CGT n’ont jamais appartenu à la même structure syndicale de base que le personnel d’exécution. C’est la CGT. Mais en plus posé. Des cadres, techniciens et agents de maîtrise du chemin de fer. Des professionnels sérieux et raisonnables, personne n’en doute très certainement.

L’UFCM-CGT, c’est aussi la structure syndicale dont -puisqu’il est cadre - est issu Gilbert Garrel, le secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots. La parole de l’UFCM-CGT vaut donc assurément double.

Et que dit-elle ? Que les motifs de ce conflit ce n’est pas seulement le projet de loi. Qu’il s’agit aussi de traiter plusieurs points de la responsabilité directe de l’entreprise comme l’organisation de la production, la mutualisation des moyens (NDLR : le contraire de la gestion actuelle par activité et branche), les restructurations, la sécurité des circulations et des personnels, l’emploi, les conditions de travail et les salaires. Or, sur amicale pression du Ministère de tutelle, il est d’ores et déjà acquis que ces points seront peu ou prou traités dans le cadre de l’agenda social proposé par Guillaume Pepy.

Reste le projet de loi gouvernemental. Quelques amendements somme toute favorables aux propositions de la CGT ne vont pas manquer d’être approuvés. De quoi pouvoir dire devant les Assemblées Générales des derniers grévistes que tout cela n’aura pas servi à rien. Ce qui ne manquera pas de faire tousser la CFDT qui avait pris le parti d’agir en influant sur le débat parlementaire plutôt que par la grève. Encore que la CFDT reste menaçante en cas de remise en cause, à plus ou moins long terme, de la réglementation du travail actuelle des cheminots (le fameux RH0077, autrement dit le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999.

Voilà dans quel contexte se présentent donc les Assemblées Générales de ce jour. Pour les plus virulents qui reconduiraient encore la grève ce jeudi, la question se poserait exactement dans les mêmes termes demain vendredi. Il leur est donc a priori vain de tenter de reculer, si ce n’est pour mieux sauter dès demain ou après-demain au plus tard.
Des enseignements à tirer de cette grève…

La génération Y, née entre 1980 et 1990, vient de faire son entrée massive dans le jeu social à la SNCF. Des jeunes cheminots qui ont moins de 10 ans d’ancienneté.

Pour cette raison particulière au moins, la Direction de la SNCF va certainement procéder à une analyse fine de ce conflit.

Au-delà de questions très techniques sur l’organisation et la gouvernance du système ferroviaire - un débat d’initiés - et les craintes dont il a pourtant été démontré qu’elles étaient immédiatement infondées, qu’est-ce qui a motivé ces jeunes ? Qu’est ce que les différents syndicats leur ont dit ? Qu’est ce qu’ils en ont compris ? Pourquoi un grand nombre n’ont-il pas eu confiance dans la parole de la Direction ni celle des Pouvoirs Publics ? Est-ce que cela annonce encore de la radicalité à venir ? Ou, au contraire, est-ce que la vision réformiste de l’action syndicale prônée par la CFDT et l’UNSA sera soutenue dans la durée ? Vaste sujet d’études, de séminaires, de colloques. Guillaume Pepy, Président de la SNCF aime ça… s’il est encore là pour les animer.

Les syndicats, ceux qui étaient dans le conflit (CGT et SUD), celui qui n’y était pas (CFDT) et celui qui a quitté le bateau à temps (UNSA), essaieront aussi de comprendre. Les uns renforceront leur stratégie vis-à-vis de ce nouveau public. Les autres l’adapteront. Personne ne pourra faire sans.

Et les usagers, voyageurs, clients, consommateurs, contribuables dans tout ça ?

Dans toute mauvaise chose, et une longue grève dans les chemins de fer en est bien sûr une, il y a du bon dit-on. Au moins, la loi sur l’organisation du système ferroviaire aura été vulgarisée ! Les élus de la République se seront, comme sans nul doute jamais, intéressés au texte à voter et auront davantage réfléchi à ses conséquences. Personne n’ignore déjà ce que seront l’EPIC de tête SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Alors que récemment d’aucuns ne savaient même pas trop ce qu’était RFF !

Il a été dit aussi que cette organisation à trois améliorerait le service public et lui donnerait un avenir. Tant mieux. Car c’est ce que veulent les usagers, voyageurs, clients, consommateurs, contribuables, non ?

Finalement, tout le monde est (presque) d’accord avec la CGT.

Happy end.

PAT.