SNCF : la quadrature du chemin de fer

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Il y a quelques années, gérer la SNCF était d’une relative simplicité. D’un côté l’Etat, de l’autre, le président de l’entreprise publique. Au milieu les syndicats. Point barre. Bon an, mal an, et malgré les soubresauts sociaux, la machine ne tournait pas trop mal. Une grève ou deux par an et le tour était joué. […]

Il y a quelques années, gérer la SNCF était d'une relative simplicité. D'un côté l'Etat, de l'autre, le président de l'entreprise publique. Au milieu les syndicats. Point barre. Bon an, mal an, et malgré les soubresauts sociaux, la machine ne tournait pas trop mal. Une grève ou deux par an et le tour était joué. Aujourd'hui, il faut faire avec RFF (Réseau Ferré de France), l'Europe, la fin du monopole, les taxes sur les billets TGV, les Présidents de conseils régionaux sans oublier les clients : les pros, les familles, les vieux... . Bref, au lieu de faire du transport ferré, il faut d'abord faire de la politique !
On comprend pourquoi il faut au moins un énarque ou un centralien pour faire tourner la maison. Ouf, Guillaume Pepy, le Président de la SNCF est un ancien de l'Ecole Nationale d'Administration, promotion Louise Michel. C'est un signe, non ? Il aurait fallu qu'il fasse en plus un stage au Quai d'Orsay, version diplomatie accélérée, car aujourd'hui la situation se complique.
Parlons d'abord gros sous. Entre 2002 et 2011, la facture présentée par Réseau Ferré de France à la SNCF aura augmenté de plus de 110% (dont 43% de hausse sur la période 2008-2011). L'explication: un déficit abyssal des structures, dont l'entretien a été négligé mais surtout dont la fragilité s'accentue avec les années et les "incivilités". Entre vols de cables, de rail et tir au pigeon sur les caténaires, le coût d'entretien s'amplifie en permanence sur un réseau très dense. Sans doute faut-il trouver un payeur, et la SNCF est toute désignée. Oui mais: "Comment développer les TGV avec des taxes sans cesse à la hausse", demande la compagnie de chemins de fer qui doit, elle, investir dans les rames et la commercialisation. Les péages ferroviaires français sont les plus élevés d'Europe : environ 7 € en moyenne sur les trajets longue distance contre 5 € en Belgique ou 3 € en Espagne.

La situation est d'autant moins simple pour la SNCF qu'elle est, depuis ce 13 décembre, soumise à la concurrence. Les compagnies étrangères sont désormais autorisées à rouler dans l'Hexagone pour y transporter leurs passagers. Il est vrai que personne ne s'est précipité sur l'occasion, pas un train à l'horizon. Mais la Deutsche Bahn y réfléchit et Trenitalia a des projets bien avancés pour relier Milan à Lyon et Paris. Voilà de quoi faire baisser éventuellement les prix des billets transfrontaliers, ce qui bénéficiera toujours aux voyageurs. Mais pas à la SNCF. Dont acte.

Et puis elle doit assumer les charges des petites lignes, multiples, et pas toujours très exploitées. Depuis quelques années, RFF réfléchit à une solution : fermer les quelques 7000 km de lignes non rentables ou les faire payer aux Conseils régionaux (qui mettent déjà la main au portefeuille). Ou transformer les lignes en "voies vertes" et remplacer le train par l'autocar. Plus souple, moins cher. La question n'est pas tranchée, et comme elle pèse son poids d'emplois, pas question qu'elle le soit dans l'urgence. En attendant, Guillaume Pépy a de quoi s'arracher ses derniers cheveux. A moins que ce ne soit les passagers qui y laissent leur perruque. Depuis ce 13 décembre, la vitesse accélérée de Thalys, par exemple, provoque une hausse des billets : + 10 % pour Cologne et 12 % pour Amsterdam (+ 1,8% entre Paris et Bruxelles). Cette augmentation, explique la SNCF, "est justifiée par un gain de temps de, respectivement, 15 et 20%, et correspond à une augmentation importante des coûts (péages, énergie, investissements ERTMS)". Sans doute. Mais il faut bien constater que les "cochons" de payeur que sont les clients n'ont pas fini de voir les prix du train augmenter, surtout s'ils ne sont pas jeunes, vieux, riches, grands, gros... Et prêts à partir en semaine. Je ne parle même pas des "professionnels du voyage d'affaires" qui eux, sans doute, cotiseront encore plus à la grande histoire française du train.

Marcel Levy