SNCF, la semaine de tous les dangers

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C’est ce jeudi que Jean-Cyril Spinetta présentera son rapport sur l’avenir de la SNCF. Les syndicats ont déjà prévenu, il ne peut s’agir que d’un projet qui en aucun cas ne saurait être appliqué à la lettre sans une négociation et une discussion serrée avec les cheminots. De fait, les propositions qui seront formulées risquent d’être explosives. Du changement de statut à la réforme même du transport régional, rien dans ce qui commence à fuiter ne séduit les syndicats.

Pour les observateurs, la « refondation » du système ferroviaire français sera la plus grande révolution depuis sa création. Au-delà de la simple ouverture à la concurrence, qui oblige l’entreprise ferroviaire à repenser sa relation avec les clients, tous les grands sujets qui perturbent aujourd’hui SNCF devraient être abordés par le rapporteur. Au-delà du simple statut, il est évident que la relation des Français à leur transporteur national va changer. Le train, que l’on voit déjà se diviser entre réseau régional et national, va devoir engager une mue spectaculaire qui, n’en doutons pas, devrait conduire à quelques frottements sociaux et par conséquence à quelques grèves… Déjà annoncées comme « sévères » par les grands syndicats.

Depuis 1945, fin de la seconde guerre mondiale, la compagnie SNCF a toujours été choyée, comme dans un cocon, par l’État français. Tout était possible, même les pires erreurs souvent cautionnées par des politiques persuadés que la gestion des transports publics était une affaire d’Etat qu’il ne fallait pas laisser aux seuls ingénieurs du rail. En clair, SNCF avait juste à obéir et non pas à réfléchir. Louis Gallois puis Guillaume Pepy ont démontré qu’il fallait faire évoluer cette relation entre l’État et SNCF, quitte à traverser quelques sérieuses difficultés.

L'actuel patron de la compagnie ferroviaire n'a d'ailleurs jamais caché que les problématiques du ferroviaire dépendaient en grande partie des choix de l’État. Une vision un peu "langue de bois" qui permet ainsi de botter en touche sans mettre en péril ce qui, depuis plus de 80 ans, permet à SNCF d’exister cahin-caha : l’équilibre social. Au fil des ans, la couche des avantages ainsi accordés aux cheminots a toujours permis de débloquer les situations conflictuelles à moindre frais. Du moins les gestionnaires le pensaient en accordant de manière généreuse des facilités de transport, des départs en retraite privilégiés ou des primes qui, aujourd’hui, pèsent sur son budget.

Autres difficultés que le rapport devra aborder, la relation de nos régions au TGV. Au-delà de l’apport de la grande vitesse, les politiciens régionaux ont bien compris l’intérêt d’obtenir une gare sur le parcours d’un train prévu pour aller rapidement d’un point à un autre. Chaque ville, chaque ministre issu de la France profonde ou non, a souhaité amener comme cadeau de bienvenue l’arrivée prochaine du TGV, avec la hausse des coûts que cela entraîne. Le coup de grâce à ces pratiques, donné publiquement par Emmanuel Macron lors de l’inauguration de la LGV vers l’ouest du pays en juillet dernier, a donné le ton de la vision ferroviaire du nouveau gouvernement. Qu’a-t-il dit : "Nous demandons à la SNCF d’aller plus loin sur les réformes, le statut, la mobilité, le régime de retraite". Le programme est donc tracé, clair et sans tabous… Autant dire qu’au sein de la SNCF, il a fait l’effet d’une bombe. Jean-Cyril Spinetta a été informé des attentes de l’État. Il connaît les limites de son travail et sait que le gouvernement n’acceptera pas un plan à l’eau tiède comme, parfois, il a pu le faire à Air France. Selon des sources proches du ministère des transports on lui aurait demandé "de ne faire aucune concession à ce qui lui apparaîtrait utile au bon fonctionnement du train français". A-t-il bien entendu cette recommandation ? Nous le saurons demain jeudi.

Côté région, le ras-le-bol exprimé de la relation avec SNCF devrait se concrétiser dès l’année prochaine par l’ouverture à la concurrence du transport régional. Là aussi, s’il est facile d’exprimer cette envie est plus complexe à mettre en œuvre. Xavier Bertrand, le patron des Haut de France, travaille à cet objectif mais a reconnu il y a quelques semaines qu’il n’était "pas si simple d’engager une concurrence ferroviaire sans avoir les partenariats et le savoir-faire nécessaire à une telle ambition". Ce n’est pas forcément la vision que des sociétés comme Transdev ont du transport régional. Son PDG, Thierry Mallet ne cache pas qu’il "est prêt à engager cette bataille du rail à des tarifs plus compétitifs que ceux proposés par SNCF". Pourquoi ? En raison de la rigidité du travail chez le transporteur national considéré déjà comme « le frein aux évolutions » par la Cour des Comptes. Et de donner des exemples : "En Allemagne, Transdev gère des réseaux où le prix d’exploitation du kilomètre a été divisé par deux avec l’ouverture à la concurrence".

En tout état de cause, l'ouverture à la concurrence et la relative « privatisation » du transport régional est un sujet que l’on jette en pâture facilement, mais qui n’est pas aussi simple qu’on veut bien le dire. L’Europe, dans le cadre du paquet ferroviaire, a déjà dressé les contours et les obligations des états en matière d’ouverture à la concurrence. SNCF, par la voix de Guillaume Pepy, a toujours considéré que cette volonté communautaire était un atout pour l’entreprise qui pouvait ainsi démontrer la qualité de son offre, la justesse de ses tarifs et le soutien de ses clients. Là aussi, pour beaucoup d’observateurs, la vision est par trop optimiste. Mais ce qui plaide pour SNCF, c’est la disponibilité réelle des sillons. Les rails ne sont pas aisément partageables et un seul train à la fois est la règle. C’est aussi ce que laisse entendre la communauté européenne qui évoque "la sécurité comme élément de base à la circulation des trains en Europe". Et les cheminots, se sont engouffrés dans cette brèche. Pour Sud Rail, il est évident que "la priorité doit être donnée aux transports nationaux avant de s’ouvrir à la concurrence européenne". Le syndicat a d’ailleurs précisé qu’il fallait "clairement établir le rôle des cheminots dans ce projet et ce malgré les différentes annonces et textes publiés sur le sujet".

Parmi le magma de sujets abordés, celui de la dette reste le plus compliqué à gérer. Comment expliquer que l’État devra mettre 50 milliards sur la table en 2019 pour éponger un déficit qui grossit d’année en année par des décisions inconsidérées et des acquis sociaux qui dépassent l’entendement. "La dette doit être désormais une affaire d’État et non plus de SNCF", revendiquent les syndicats, persuadés que la remise à zéro du compteur leur permettra de conserver leur statut et leur système de retraite, largement plus généreux que pour le reste des Français. Au-delà, gommer cette dette c’est donner à SNCF les moyens de la rénovation de son réseau dont on connaît aujourd’hui les faiblesses. Pour les experts, il faudra au moins une quinzaine d’années pour remettre à niveau l’ensemble des équipements ferroviaire français. Encore faudra-t-il avoir les moyens de cette ambition. Pour les économistes, "Nous ne les avons pas".

S’il peut sembler facile de trouver des compromis sur la stratégie de la SNCF à 10 ans, sur sa nouvelle organisation ou sur ses capacités à améliorer son offre commerciale, il n’en va pas de même pour la gestion de son personnel. "Nous promettons un printemps agité à tous ceux qui veulent se passer du dialogue social" explique la CGT cheminots qui ne veut rien laisser passer sur le plan du statut et des avantages acquis.

En agitant le chiffon rouge de la grève, voire de la paralysie totale de la circulation des passagers ou du fret, les organisations syndicales ont déjà dressé le périmètre de ce qui sera acceptable ou non. Et pas la peine de franchir la ligne rouge car pour beaucoup "la bataille sera douloureuse pour l’Etat".

Au sein du gouvernement, on connaît bien la menace. Plusieurs conseillers affirment qu’elle permettra d’ailleurs de tester l’autorité de l’État en adéquation avec les utilisateurs du train qui, eux aussi, souhaitent du changement. Et certains de citer le mot-clé de Churchill pendant la seconde guerre mondiale : "Tenir, c’est réussir". Pas certain que tout le monde le voit de cet œil.

Hélène Retout