SNCF : le coup de Pat regarde du côté des régions. Surprenant !

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Il y a de fortes chances que la gare de Kerauzern n’évoque pas grand-chose pour les voyageurs d’affaires. Kerauzern n’est qu’un hameau en Bretagne. Mais un hameau qui, dès 1881, a eu sa gare et ses trains (même ceux « directs » venant de Paris, une référence là-bas) jusqu’à encore une dizaine d’années. Une bizarrerie de géographie ferroviaire due à un notable qui ne céda les terrains nécessaires à la construction de ce bout de ligne qu’en échange de la desserte systématique du hameau par tous les trains de voyageurs qui passeraient par là pendant cent ans.

Vieille histoire que ce cas Costarmoricain à placer au rang des anecdotes ? Oh que non ! Sous le vocable de «Convention de garantie de desserte», plusieurs villes arrachent de solides garanties sur leur desserte ferroviaire, tout particulièrement TGV. C’est ainsi que Le Mans, Laval, Vitré, Sablé-sur-Sarthe bénéficient d’une convention signée le 30 janvier 2007 entre ces collectivités locales et l’Etat, Rff, la Sncf. Pour aboutir, mieux vaut avoir certaines capacités de nuisance pour bloquer ou retarder la construction d’une ligne et/ou profiter sur le moment du meilleur appui politique. Comme finalement le Député Maire de Kerauzern en 1881, à la gloire duquel les élus d’aujourd’hui devraient penser à ériger une statue.

Cette convention ligérienne, selon les termes qui y sont employés «unique en France » (sic), garantit, pour les quatre agglomérations du Mans, de Laval, de Vitré (en Bretagne je sais) et de Sablé-sur-Sarthe, le maintien du niveau de dessertes TGV du service 2006, auquel se sont ajoutées en 2007 les dessertes supplémentaires lors de la mise en service de la LGV Est-Européenne. Découvrez le document de la Fnaut

Ailleurs, on se souvient des cris d’effroi en janvier 2010 après la simple évocation par le Président de Sncf d’une «adaptation de l’offre à la demande» sur la desserte TGV d’Arras, immédiatement traduite par «suppression».

Et puis lorsqu’une ligne nouvelle est construite, il y a toujours la question de savoir si à la «ligne droite» des ingénieurs avec leurs gares excentrées des zones urbaines, il ne vaut pas mieux, pour la qualité de la desserte d’une agglomération, la notoriété qu’elle en tire et le développement économique qu’elle en espère, amener le TGV au cœur de la ville. Des débats passionnés et passionnants. Par effet d’aubaine un peu et de lobbying surtout, des gares TGV ont ainsi poussé parfois là où la logique de la Sncf n’en voulait pas : Le Creusot TGV, de son vrai nom Le Creusot - Montceau-les-Mines – Montchanin, ou encore Vendôme-Villiers-sur-Loir TGV.

Tant mieux pour ceux qui ont voulu ces gares. Les espoirs qu’ils y ont mis se sont-ils au moins traduits par quelque chose de concret ? Pas toujours et pas forcément comme imaginé. Mais surtout, tant pis pour la Sncf si cela pèse sur ses comptes. Et comme la Sncf, c’est nous tous, il n’est pas interdit de mettre en balance l’intérêt général et l’intérêt particulier, fusse celui d’une collectivité territoriale.

Pour prendre un exemple, une place occupée dans un TGV Paris – Rennes (369 km) ou Paris – Brest (629 km) par un voyageur qui va descendre au Mans (219 km) est quasi-systématiquement perdue sur la suite du parcours du train. Elle restera inoccupée. Certes le voyageur Paris – Le Mans l’aura sensiblement payée plus cher qu’au prorata du seul nombre de kilomètres parcourus (environ 0,36 € du kilomètre en tarif Pro 1ère sur Paris – Le Mans, contre 0,30 € pour Rennes et 0,20 € pour Brest). Écarts qui d’ailleurs justifient de temps en temps de véhémentes protestations des uns, suspectant Sncf de les faire payer pour les autres.

Mais ce n’est pas le seul correctif. Il y en a un autre. Le TGV s’arrête dans la gare désignée puisque la convention signée le veut ainsi. Mais en réponse, le transporteur réagit en catimini avec une gestion fine des origines / destinations de chaque voyageur. Qu’est ce que c’est que ça ? Une variante du «yield management» ? Oui, un peu si on veut. Pour rester dans le même exemple, pour un train qui va tout au bout de la Bretagne, il s’agit de limiter le nombre de places vendues pour Le Mans, afin de mieux satisfaire la demande pour Rennes et au-delà, et ainsi sauvegarder le revenu global de la circulation. Certains voyageurs d’affaires rencontrent parfois cette situation. Le TGV à bord duquel ils veulent prendre place leur est opposé complet pour Le Mans et/ou Laval mais pourtant, il reste des places. Oui, mais des places pour Rennes, Saint Brieuc, Brest, … seulement ! A prendre ou à laisser. Est-ce qu’on ne fait pas comme ça aussi sur les lignes aériennes avec escales ? Si, si !

Sncf ne semble pas en abuser. Sinon, ça se saurait et ça se verrait davantage. Et à n’en pas douter, les protestations du Mans, de Laval seraient à la hauteur de l’affront.
Dans l’aérien libéralisé, c’est plus simple. En sus du prix payé par les voyageurs, la compagnie aérienne n’hésitera pas à se faire subventionner pour atterrir ou décoller de tel ou tel endroit. Et si ça ne passe pas, ça casse. On se souvient de Ryanair, qui a laissé tomber Angoulême suite au refus d’une rallonge de 400 000 €. Même mésaventure à Pau pour le refus d’une «aide marketing» de 1,5 millions d’euros

Alors doit-on, peut-on imaginer Sncf, pratiquer aussi ainsi un jour ?

Et si ce n’est pas Sncf, comment les nouveaux entrants potentiels sur les lignes ferroviaires verraient-ils les choses ? Paris – Bordeaux, direct sans arrêt nulle part pour tenir le meilleur temps de parcours (environ 3 heures) est assurément davantage dans leur modèle économique. Tant pis pour Poitiers, Angoulême… A moins que ces villes n'acceptent de rémunérer spécifiquement le transporteur ferroviaire pour le service rendu ?

Des questions que, s’agissant de la Sncf, on ne se pose pas trop aujourd’hui. Mais des questions qu’il vaudrait mieux se poser avant de tout laisser partir à vau-l’eau.

PAT