SNCF : le regard de PAT pour comprendre la grève dans l’entreprise ferroviaire

127

Notre chroniqueur ferroviaire, qui commence maintenant à être connu de nos lecteurs pour ses « Coups de Pat » bien nommés, s'est intéressé à la grève SNCF annoncée pour ce jeudi 25 octobre. Un regard qui permet de mieux comprendre le mouvement et la réalité sociale qui se cachent derrière cette nouvelle action.

SNCF : le regard de PAT pour comprendre la grève dans l'entreprise ferroviaire
Conformément aux dispositions de l’article L.2512-2 du Code du travail, syndicats et direction sont censés avoir négocié. La direction a campé sur ses positions disent les délégations, ne semblant même pas regretter que la grève doive parler pour départager les parties en présence !

S’enclenche ainsi un rituel dont l’entreprise nationale a le secret à pareille époque de l’année. Remontons dans le temps : il y a déjà eu grève dans l’entreprise le 8 novembre 2011 ; le 13 octobre 2010 c’était un appel interprofessionnel pour lequel elle n’était pas en reste ; encore le 12 décembre 2009, puis en 2008 le 6 novembre, le 18 novembre, le 12 décembre (cette année là c’était lors de la réforme du régime de retraite… qui ne fait d’ailleurs pas l’objet de la moindre petite ligne de revendication aujourd’hui).

Pas d’année donc qui ne puisse s’achever sans au moins 24 heures de grève à pareille époque. Et plus si affinités…

Mais que se passe-t-il donc pour que le dialogue social officiellement cher à Guillaume Pepy, le Président de l’entreprise, sorte ainsi des murs à date régulière ?
D’abord la saison s’y prête. C’est la période des négociations salariales pour l’année suivante, fort proche sur le calendrier. Dans ce genre d’exercice, la Cgt (première organisation) ne signe jamais (il faut remonter à 1982 pour qu’elle ait signé un accord salarial). Sud n’est pas en reste avec sa vigueur revendicative bien connue. Reste les organisations dites réformistes, Unsa et Cfdt, ayant ensemble la représentativité de 30 % nécessaire pour signer un accord. D’habitude elles signent, ayant bien compris que selon G. Pepy « la négociation doit rapporter plus que la grève ». Mais bien que le projet avorté d’accord salarial pour 2013 soit dans la lignée des précédents qu’elles ont approuvé, cette fois-ci elles boudent. Il est vrai que stratégiquement elles ne peuvent sans doute pas signer tout le temps si l’entreprise ne leur donne pas suffisamment de bonnes raisons pour cela, sous le contrôle et l’approbation le moment venu de leurs électeurs. La Cfdt sait que sa représentativité ne tient que d’un fil et l’Unsa n’est pas encore en mesure de collecter les 30 % nécessaires pour signer seule un accord.

Mais quel cheminot va vouloir perdre en journée de salaire (oublions la fable selon laquelle celles-ci ne sont pas retenues sur la paye), rapidement autant sinon plus que la revendication salariale qui motive la journée de grève ?

Une journée de grève pèse 0,50 % de la rémunération annuelle. Les cheminots ont déjà obtenu ces 0,50 % d’augmentation générale. Normalement c’était à prendre ou à laisser car, selon la méthode Pepy, l’absence de signature de l’accord implique le retrait pur et simple des propositions faites. Toutefois, la Direction de Sncf a finalement décidé d'accorder unilatéralement cette augmentation générale de 0,50 % sans la conditionner à la signature d'un accord salarial. Prendre cette décision avant la grève lui évite surtout de se mettre en mauvaise posture de devoir quand même l'accorder plus tard. Tout bien réfléchi, Sncf ne voulait sans doute pas prendre le risque de devoir laisser paraître, par devers elle, que le rapport de force pouvait quand même finalement peser. Et sans doute, ne s’est t'elle pas imaginé devoir "punir" purement et simplement l'ensemble du personnel en retirant sa proposition du fait de l'absence d'accord, ce que d'aucuns n'auraient pas manqué de dénoncer ou de percevoir comme une provocation.

Mais faire grève, c’est donc concrètement pour le cheminot perdre le bénéfice de l’offre voire y laisser davantage encore.
Certes ces 0,50 % sont loin de l’inflation estimée à 2 % mais c’est compter aussi sans les augmentations dont les cheminots bénéficient périodiquement par avancement (automatique ou non) dans leur grille de rémunération. De fait, un cheminot grimpe au moins d’une position de rémunération (il y en a 35) tous les 3 ou 4 ans en moyenne. La majoration de salaire correspondant à cette position compte ensuite « pour la vie » jusqu’à la position suivante obtenue dans les mêmes conditions tant que le taquet de la catégorie professionnelle n’est pas atteint (et il ne saurait l’être avant 25 ou 30 ans de bons et loyaux services). Plus la majoration liée à l’échelon d’ancienneté (20 % d’écart sur une carrière entre le premier et dernier échelon, soit en moyenne aussi une augmentation automatique tous les 3 ans).

Ajouter à cela, les promotions liées à des changements de poste, à de nouvelles qualifications obtenues, juste retour parfois des formations suivies, des examens réussi, mais pas toujours ! Ce que les spécialistes R.H. appellent un « Glissement Vieillesse Technicité – G.V.T. », soit de 3,5 % à 4 % de gonflement de la masse salariale chaque année. Phénomène dont les négociateurs syndicaux ne veulent pas entendre parler, y compris pour la partie ne correspondant pas réellement à un déroulement de carrière ni à une meilleure qualification. Dialogue de sourds garanti et savamment entretenu, ce qui permet à chaque partie de justifier sa position… et de ne pas en bouger.

Alors, si ce ne sont pas les salaires qui sont de nature à mobiliser réellement, est-ce les effectifs comme l’indique longuement le préavis national ?

Entre les annonces d’emplois supplémentaires du Président Pepy et le solde des calculs des partenaires sociaux, c’est pour le moins là-aussi la grande incompréhension. Et visiblement, les protagonistes ne veulent pas davantage se comprendre. Quand Pepy annonce des emplois en sus, ce sont seulement des recrutements en plus de ce qui avait été précédemment estimé juste nécessaire. Il suffit que le nombre de départs de l’entreprise soit également plus important (réforme ou pas, certaines tranches d’âge sont arrivées à l’âge de la retraite ou, vu les contraintes physiques et médicales de certains emplois liés à la sécurité, se verront déclarer inaptes) et il faut donc au moins un peu compenser pour que la boutique tourne toujours. N’empêche que les effectifs baissent. Bon an, mal an de 2 % dans le périmètre de l’établissement public Sncf, c'est-à-dire là où se trouvent les cheminots au statut. Car s’ils augmentent dans le groupe, c’est aussi parce que le groupe prend de l’ampleur par de nouvelles acquisitions ou lancement de nouveaux services filialisés. D’où ce bruit de fond revendicatif sur la précarisation de l’emploi.

Mais lorsqu’ils prennent leur service chaque matin, les cheminots ne se comptent pas forcément. Comme d’autres professions, ils ne se posent la question des effectifs à la disposition de leur entreprise que s’ils n’arrivent plus à prendre leurs repos périodiques, si leurs congés leurs sont refusés plus souvent qu’à leur tour, s’il faut faire durablement seul le travail de deux parce que le poste du coéquipier n’est pas tenu en raison d’une maladie, d’une absence qui dure sans ressources disponibles pour le remplacement…

C’est en tout état de cause une situation trop diffuse, faisant l’objet d’ajustements perpétuels, pour que l’entreprise craigne une mobilisation massive sur la question, autre que locale là où la situation serait devenue intenable. Mais dans un tel cas, un conflit social a nécessairement déjà eu lieu et, pour le régler, Paul aura été déshabillé pour habiller Pierre (ou le contraire !).
Que reste t’il donc des motifs égrenés dans le préavis national ? L’organisation du système ferroviaire, certes ! Dans une période où des décisions sont attendues, où tout le monde finit par avouer que la partition Sncf / Rff telle qu’elle a été menée en 1997 a conduit à l’impasse (la Cgt et d’autres syndicats ne sont pas les derniers à l’avoir dit et même d’avoir fait grève contre ça en son temps). Mais même l’année suivante, « la réforme de la réforme » du Ministre communiste Gayssot (et cheminot de son état) aura fait long feu. Et le canard est toujours vivant !
Mais au fait quelles sont les revendications précises des cheminots à ce sujet ? Et en ont-ils ? Les cheminots savent bien que ce n’est pas à eux de définir le modèle, pas plus que dans un autre domaine ce n’est pas aux enseignants de décider seuls des questions d’éducation ni aux seuls médecins de dire ce que doit être ou pas une bonne organisation hospitalière.
Alors, les cheminots attendent que le gouvernement et le législateur prennent les décisions qui leur reviennent pour, le cas échéant, aviser non pas contre tel ou tel choix mais plutôt pour réagir s’il y a lieu contre une menace qui serait perçue, à tort ou à raison, sur leurs conditions sociales.

Une grève à la veille de ces échéances est gagnante dans tous les cas pour les organisations syndicales qui en sont à l’initiative. Et si justement elles le sont toutes à l’initiative de cette grève (4 organisations syndicales seulement étant légalement représentatives au sein de Sncf avec chacune plus de 10 % des voix aux élections professionnelles), c’est qu’elles en ont bien compris les enjeux tactiques et stratégiques.

De deux choses l’une. Ou la grève est massivement ou même raisonnablement suivie (à partir de 35 % de participants) et ce sera effectivement un « coup de semonce » permettant à ces syndicats de porter la voix sur les décisions à venir. Ou elle n’est pas vraiment suivie, témoignant d’une indifférence ou d’un attentisme des cheminots et alors elle légitimera le fait que les organisations syndicales n’aient pas à considérer qu’elles aient besoin d’en faire plus. Un service minimum en quelque sorte. Ce serait alors un mouvement destiné à avoir permis de passer rapidement à autre chose. Et il y a de ce type de grève à la Sncf assez souvent.

Dans tous les cas de figure, une seule chose est sûre, une grève finit toujours par prendre fin ! Quant à savoir si une revendication a au moins été satisfaite, force est de constater que les syndicats de cheminots, si ce n’est les cheminots eux-mêmes, ne sont pas très regardants.

PAT