SNCF : pourquoi aime-t-on la détester ?

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Ma grand-mère, vénérable femme qui a élevé dix enfants, disait avec malice : "Il y a des claques qui se perdent sur des joues que l'on aime". Il en va de même pour la SNCF, capable d'irriter le plus patient d'entre nous tout en assumant une tâche titanesque : faire rouler tous les jours des centaines de trains.

Il y a du Dr Jekyll et Mister Hyde dans le regard porté sur cette vénérable institution dont nous sommes tous les propriétaires, même si elle nous maltraite. Prenez son boss, Guillaume Pepy, face aux entrepreneurs du voyage réunis en convention à Lille fin novembre, il botte en touche les questions sur la dette et le TGV renvoyant au Ministre et au Gouvernement les décisions importantes. Il n'est donc qu'un exécutant dont la seule mission est de s'assurer que le travail est fait. Au mieux, bien fait ! Comme nous, il pense que l'Etat est responsable de tous ses maux. Un peu faux, un peu vrai.

Explications. Lors du lancement des dernières LGV, Emmanuel Macron tue dans l'œuf les velléités de développement de la grande vitesse. Finies les dépenses somptuaires, place à l'austérité. Les Toulousains crient au scandale… Bref, on se met à haïr SNCF. Mais d'un autre côté, le maillage du Sud-Ouest permet à des dizaines de milliers d'habitants d'aller d'un point à un autre, de Bergerac à Bordeaux, de Limoges à Libourne. C'est le grand écart permanent que doit assumer la SNCF.

Eduquer, voilà bien le maître-mot que l'on doit détailler en régions. Chaque infime village veut aujourd'hui son arrêt de train. Démagogie des édiles ou réalité technique ? A l'époque de la voiture, du car et du bus, on imagine aisément qu'il est possible de trouver des situations alternatives à des trains pas toujours très pleins. Il faut écouter la population mais aussi utiliser le meilleur moyen pour offrir des transports en commun adaptées aux besoins. Et garantir, ainsi, le service au public.

Quand il y a des pannes à Montparnasse (ou ailleurs), c'est la Saint Pepy. Mais pour la dernière, malin, il n'est pas monté au créneau. C'est SNCF Réseau le seul responsable. Là on les hait tous. Car au final, la nébuleuse des sociétés construites autour de SNCF noie le responsable. Du moins pour le voyageur de base dont le seul objectif est d'aller d'un point à un autre. Mais là encore, si l'on regarde de plus près, on constate que SNCF seule n'a pas les moyens de maintenir des infrastructures nationales à un haut niveau. Il lui faut faire des choix. Difficile alors de maintenir les lignes les moins utilisées sans faire appel aux deniers publics.

Même constat sur les tarifs. SNCF crie haut et fort que le nombre de petits prix explose… A condition d'acheter tôt, de partir à des moments bien précis. Bref, les pros n'aiment pas du tout cette politique du yield qui voit un Paris Marseille A/R vendu plus cher qu'un vol vers New York. C'est tout le paradoxe de la rentabilité versus service public.

Peut-on alors résoudre cette quadrature du cercle ? Est-il possible de faire mieux avec ce dont dispose SNCF ? A priori, oui disent les syndicats qui pointent du doigt les dysfonctionnements du groupe… Mais se refusent à abandonner le moindre avantage social. Retraites, durée du travail, facilités de circulation… Bref, chacun voit midi à sa porte mais refuse de l'entrouvrir à toute solution qui met en péril les acquis.

Faut-il alors haïr ou aimer SNCF ? Impossible de répondre à cette question sans un brin de malhonnêteté de part et d'autre. C'est toute la difficulté de l'exercice. Chaque nouvel événement ajoute des points à l'un ou l'autre. Seule certitude, c'est la capacité des équipes à innover qui fera le service. Et rendra possibles les déplacements professionnels par le rail. Selon Rachel Picard, la régularité et la vitesse du Bordeaux Paris lui a permis, depuis la rentrée, de conquérir d'incroyable parts de marché. On peut parier que les plus nombreux à bord, ce sont bien les voyageurs d'affaires...

Hélène Retout