Sia : nouvelle étude sur les intérêts et les défis de l’intégration du covoiturage au sein de SNCF

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Nous publions très régulièrement ici les analyses et études de SIA Partners, un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle. Ce nouveau travail de SIA évoque l'intégration du co-voiturage dans la chaine de transport proposée par la SNCF.

Pendant l’été 2013, le groupe SNCF a racheté l’entreprise Green Cove, créatrice des sites de covoiturage 123envoiture.com et easycovoiturage.com, dont il possédait déjà 20% des parts.
Cette décision peut paraitre étonnante de la part d’une entreprise de transport ferroviaire de voyageurs. Elle s’inscrit en fait dans la nouvelle stratégie de SNCF en diversifiant son offre de transport pour pouvoir proposer des trajets porte à porte. Il s’agit en effet d’une des priorités du nouveau plan stratégique de l’entreprise : Excellence 2020.

Pour mieux comprendre le contexte et les raisons qui ont poussé le groupe SNCF à prendre 100% du capital de Green Cove, l’analyse de l’évolution du transport intérieur de voyageurs en France est nécessaire.

Si la voiture reste le moyen de transport privilégié des français et représentait encore 81,8% du transport intérieur de voyageurs en France en 2010, on observe cependant une stagnation de ce mode de transport ces dernières années, avec même une baisse de 1,5 point entre 2005 et 2010.
Cette baisse s’explique majoritairement par des raisons économiques : la forte hausse du prix des carburants de ces dernières années (le prix du baril de pétrole passant de 30$ à 100$ entre 2003 et 2013), combinée à la crise économique qui sévit depuis 2008, encourage les conducteurs qui le peuvent à limiter l’utilisation de leur véhicule. Les consommateurs sont aussi plus conscients des effets négatifs des gaz d’échappement automobiles sur l’environnement. Il est possible que cette conscience écologique influence leurs comportements.

Contrastant avec la voiture particulière, le trafic ferroviaire a en revanche connu une progression dynamique jusqu’en 2008, date à partir de laquelle il a commencé à stagner, également touché par la crise économique. Pour le premier semestre 2013, SNCF constate même une baisse de son trafic passager : -1% pour l’activité TGV France, -0,3% pour TER et -5,1% pour Intercités .

Enfin, la dernière décennie a aussi vu une augmentation du transport routier par autobus ou autocar.

On constate que ce sont donc les solutions de transport collectif, ferroviaires ou routières, qui ont vu leur trafic augmenter de manière significative au cours des dernières années, soulignant une certaine désaffection pour le transport purement individuel et pour son coût élevé.

Dans ce contexte, et en se rappelant que le poste « transports » est le premier poste de dépenses des ménages français (16,9%), devant l’alimentation (15,9%) et le logement (12,9%) , on comprend que le système du covoiturage connaisse un succès grandissant.

Le covoiturage, une activité en plein essor

Le covoiturage est une pratique où, pour un trajet déterminé, un conducteur offre à d’autres voyageurs les places vacantes de son véhicule, contre rémunération. Les voyageurs utilisant ce moyen de transport le font principalement pour des trajets liés aux loisirs (66%), loin devant les trajets liés au travail (18%) ou ceux liés à des déplacements courants (2,7%) .
Cette pratique du covoiturage permet un transport à moindre coût, à la fois pour le conducteur et pour les passagers, qui réalisent ainsi le trajet à un prix souvent largement inférieur à celui des autres modes de transport disponibles. Ainsi, pour une réservation de dernière minute, un trajet Paris-Lille coûte environ 15€ sur une plate-forme en ligne de covoiturage contre 59€ en plein tarif par TGV. Le voyageur transporté fait donc une économie significative et le conducteur récupère une somme qui lui permet de couvrir ses frais d’essence et de péage et la maintenance de son véhicule. Cette recherche d’économies est d’ailleurs le principal critère amenant les voyageurs à choisir le covoiturage .

Dans le contexte français où la réglementation sur le transport de voyageurs limite fortement la possibilité de transport interurbain par autocar, le covoiturage s’avère en fait être une des seules options réellement économique pour nombre de voyageurs.

L’utilisation du covoiturage pour les trajets de loisirs a été facilitée par le développement des technologies de l’information : les utilisateurs sont mis en relation via les plateformes web ou applications smartphones. Un des exemples les plus flagrants du succès de ces plateformes est l’entreprise Blablacar (anciennement covoiturage.fr), le leader du covoiturage en France. Depuis le lancement de son premier site web en 2007, le service ne cesse d’attirer de nouveaux utilisateurs.


L’entreprise annonce ainsi 4000 nouvelles inscriptions par jour et un total d’utilisateurs qui dépasse les 3 millions dans six pays européens. Son principal concurrent, l’allemand Carpooling, revendique 4,5 millions d’inscrits en Europe.

Aujourd’hui, les principaux sites semblent être parvenus à trouver un équilibre économique en se rémunérant sur les montants des réservations effectuées par les utilisateurs, ce qui leur permet de développer leurs activités à l’international.

Le covoiturage, une activité pertinente pour SNCF

Si le groupe SNCF fait toujours référence, pour la majorité des français, au transport ferroviaire, cela fait déjà plusieurs années que le groupe diversifie ses activités. Dans le domaine du transport de voyageurs, la création, en 2012, de la nouvelle offre iDBus traduit la volonté de proposer une alternative complémentaire à celle du train. iDBus propose en effet des voyages en cars à haut niveau de service, sur des trajets internationaux. De même, la filiale Keolis réalisait, en 2012, 78% de son chiffre d’affaires hors du secteur ferroviaire (soit près de 4 milliards d’euros) .

Cette stratégie de diversification semble aujourd’hui judicieuse face à un trafic ferroviaire moins dynamique, à une dégradation des marges liée à la forte augmentation des péages versés à RFF (+5,1% au premier semestre 2013) et à la perspective de l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, prévue pour 2019. Le groupe SNCF a montré qu’il savait faire évoluer son marché, et se positionner à l’international, afin de générer de nouvelles sources de revenus.

L’acquisition de Green Cove s’inscrit dans le cadre de cette stratégie de diversification, elle permet à SNCF de se positionner sur un marché à forte croissance et complémentaire de ses activités déjà existantes.

En effet, la clientèle ayant recours au covoiturage n’est pas forcément la même que celle voyageant en train. Par exemple, les voyageurs d’affaires, qui sont les plus forts contributeurs en termes de chiffre d’affaires, ne se reportent pas vers le covoiturage, privilégiant vitesse et confort. De manière générale les voyageurs ayant des contraintes horaires fortes préfèreront le train au covoiturage.

A l’inverse le covoiturage permettra de s’adresser à des voyageurs ne prenant pas (ou plus) le train, faute de moyens suffisants. Ce nouveau mode de transport collectif n’en est déjà plus à ses balbutiements et est même devenu incontournable. Pour pouvoir être un acteur complet de la mobilité, le groupe SNCF a donc tout intérêt à en devenir un acteur majeur.
Le nouveau plan Excellence 2020 de SNCF vient d’ailleurs renforcer l’intérêt de cette acquisition puisqu’une des priorités est de « généraliser des solutions porte-à-porte pour [les] clients » : il s’agit d’amener le voyageur de son point de départ à son point d’arrivée et non plus seulement d’une gare à une autre.

Plusieurs initiatives ont récemment été mises en place pour répondre à cet objectif. Il est par exemple possible de réserver et de payer à l’avance, suite à l’achat d’un billet de train sur voyages-sncf.com, un véhicule avec chauffeur pour effectuer le trajet entre la gare et son point d’arrivée ou de départ. Ce service n’est pour l’instant disponible que depuis quelques grandes gares mais devrait rapidement être étendu.

Un autre exemple est l’application MyTripSet, dont une première version est en ligne, qui permet de calculer son trajet complet du point de départ au point d’arrivée en Europe et qui donne aussi le volume de CO2 émit lors du voyage en fonction des modes de transport choisis.

Dans ce contexte le covoiturage permettra de renforcer les offres disponibles dans le choix de son mode de transport pour effectuer un voyage. Il est même possible d’aller plus loin en imaginant des possibilités de voyages encore plus variées. Par exemple un trajet en covoiturage entre deux grandes villes pourrait être complété par un voyage en train, en bus ou en vélo libre-service. En offrant au voyageur la possibilité de construire ainsi son trajet selon ses envies via un portail unique, le transporteur offrirait une vraie valeur ajoutée au client qui utiliserait un tel service.

Une opportunité à concrétiser pour SNCF

L’intégration du covoiturage à l’offre SNCF pose cependant encore certaines interrogations. Le site 123envoiture.com que SNCF vient de racheter, accuse un retard de fréquentation par rapport aux principaux acteurs du secteur avec seulement 800 000 inscrits revendiqués et une activité qui semble s’être ralentie les mois avant l’acquisition. Un rapprochement avec Voyages-sncf.com, première agence de voyage en ligne en France, pourrait permettre de combler une partie de ce retard.

D’un point de vue marketing et commercial des réflexions sont aussi à mener. Comprendre les attentes des clients pour un parcours couplé covoiturage-ferroviaire ou covoiturage-autocar (lignes Keolis ou iDBus), faciliter la transition entre les différents moyens de transport, définir les parcours client qui permettront d’optimiser l’expérience du consommateur ou encore rapprocher les programmes de fidélité existants avec l’offre de covoiturage sont autant de défis qui devront être relevés pour que l’offre de covoiturage de SNCF présente un véritable avantage par rapport à la concurrence.

L’intégration du covoiturage dans les possibilités de transport offertes par le groupe SNCF conforte sa transformation en un acteur global de la mobilité. La mise en place de ce nouveau service, si elle est réussie, permettra de transformer la façon dont les voyageurs conçoivent leurs déplacements et apportera une nouvelle source de revenus à l’entreprise.
SIA Partners est un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle organisé autour des unités de compétences Energie, Finance, Télécoms & Médias, Transport – Industrie – Retail, Secteur Public, Ressources Humaines, Fonction Finance, Actuariat. La société fait partie des cabinets de conseil en management majeurs en France. Elle est présente en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc, à Dubaï et à New-York.