Travel Manager, un métier porté par les idées ou l’argent ?

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Depuis que je suis arrivé dans le métier, on me parle avec des trémolos dans la voix du besoin d'aller vers la qualité pour mes voyageurs. Depuis que je fais ce métier, on me parle d'économies permanentes indispensables à la survie de l'entreprise. Je ne suis pas un TM mais un magicien. On me voit en faiseur de miracles, en remplaçant du Père Noël… Je suis à peine un acheteur de voyages.

C'est une réflexion rarement évoquée dans les médias qui m'anime depuis quelques mois : que veut dire l'expression "bien faire son métier ? ". Selon l'angle choisi, la réponse n'est jamais la même. En fonction de l'endroit où l'on installe la lumière, la zone d'ombre n'est jamais la même. Et moi, j'en pense quoi ? Suis-je un bon pro ? A priori je le pense... même si tout est fait pour me prouver le contraire !

Pour les services financiers, un bon acheteur est celui qui fait faire des économies à l'entreprise. Et encore, devrais-je dire, il y a l'économie… et économies (avec un S). Globalement, faire toujours plus avec un budget en baisse, c'est l'objectif permanent. J'y suis habitué. Mais dans le détail, l'économie globale est une succession de petites économies qui rognent souvent sur le supplémentaire et de plus en plus sur le principal. Et le pire, c'est que ce sont souvent ceux qui me demandent de faire des économies qui m'invitent à dépenser plus. Plus pour leurs collaborateurs, plus pour leur objectif et plus pour plus. Mais une fois l'objectif atteint, incontestablement si les résultats sont au rendez-vous, j'ai bien fait mon métier. Ce n'est pas gagné.

Pour les services informatiques, je suis un casse-pieds. Je vais toutes les semaines leur expliquer que mon métier d'acheteur va changer, que la technologie va remplacer tout ce qui existe aujourd'hui et qu'ils devront s'adapter. Pour leur faire comprendre, je parle de nouveaux langages comme NDC, intégration et algorithmes intelligents. Certains me prennent pour un illuminé, je pourrais presque dire pour un "allumé" qui court en permanence derrière la nouveauté. Et quand je leur parle de dématérialisation, de mobilité permanente, d'intelligence artificielle pour mes profils voyageurs… Là, ils sont à deux doigts de sortir une camisole de force pour demander mon internement loin de leur service. Aujourd'hui, je sais que quand je les bouscule, je fais bien mon métier.

Si l'on regarde du côté des fournisseurs, le petit bout de pouvoir que j'ai sur eux se limite à la capacité de les choisir en fonction de leurs offres. Et là, ce petit bout de pouvoir me remplit d'importance…Pendant quelques minutes, pas plus. Et pour cause, je suis un acheteur au pire sens du mot. Un compresseur de prix, un gestionnaire sans cesse à l'affût du toujours plus ou un barbare qui s'attaque aux prix comme le feraient des pirates à l'assaut d'un galion espagnol. Le fournisseur a besoin de moi, je le sais. J'en profite. J'oublie rarement que moi aussi j'ai besoin de lui. Du moins je fais semblant de l'oublier. Je ne l'oublie pas. Mon pouvoir de choisir est total. Presque, car je ne suis plus seul à décider. Mais dans tous les cas, le fournisseur va venir pour me séduire quitte à me tromper ou à me mentir. Mais si j'ai ce que je veux, je fais bien mon métier.

Pour ma direction, si la politique voyages ne prévoit pas de business pour aller de l'autre côté du monde et que j'obtiens le surclassement attendu, je fais bien mon métier. Qu'importe la méthode et les compromissions pour atteindre l'objectif. Si je suis capable de régler tous les petits problèmes rencontrés par mes boss lors d'un déplacement professionnel, je suis, pour un court instant, un collaborateur efficace. À moi les promotions. Pas de doute, si je deviens le patron des achats, j'aurais atteint mon objectif professionnel. Mais pour cela, il faut vraiment que je fasse bien mon métier.

Pour mes voyageurs, pas de doute, je suis un mauvais. J'achète trop cher, trop mal, sans discernement… Jamais là où je devrais être. Très souvent j'entends : "on pourrait faire mieux que toi". Tellement mieux, qu'ils sont capables de me téléphoner 10 fois par jour pour éclaircir tel ou tel point de leurs déplacements professionnels, m'interroger sur leur place dans l'avion, sur les accès possibles aux salons. J'en passe et des meilleurs. Ils sont tellement autonomes que parfois, j'ai le sentiment d'être une nounou, la Super Nany des voyages d'affaires. Ils ne me le disent jamais, mais moi je le sais : je fais bien mon boulot.

Et si on me lisant jusqu'au bout, vous trouvez que ma vie ressemble globalement beaucoup à la vôtre. C'est que globalement, tous ensemble, nous faisons bien notre métier. Mais qui le sait ? Qui nous le dit ? Qu'importe, nous sommes de vrais pros des achats et au final, nous nous le savons.

Signé : un acheteur presque abandonné