Turquie : faut-il s’inquiéter pour le voyage d’affaires ?

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Le groupe Geos dans son dernier bulletin publie une analyse de la contestation qui se poursuit, même de façon moins médiatique, en Turquie. Tout en maintenant un appel à la vigilance dans ce type de circonstances, Geos ne se veut pas alarmiste et souligne notamment que le bilan économique du Président Erdogan. Ce qui n'empêche pas une certaine contestation au sein même de son propre partie. Nous nous permettons de reproduire intégralement cette analyse intéressante pour le contexte des partenariats dans ce pays.

5 000 blessés, quatre morts, des centaines d’arrestations, c’est le premier bilan d’un «Printemps turc» et de la violente réponse du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. La destruction d’un parc chargé de symboles dans le centre d’Istanbul a servi de catalyseur, faisant descendre dans les rues d’une quarantaine de villes dont Istanbul, Ankara, Izmir et Adana, des dizaines de milliers de manifestants. Les réseaux sociaux et les médias ont amplifié leur masse qui peut impressionner, mais qui manque d’unité et de programme commun. La révolte de cette jeunesse turque urbaine tient essentiellement dans un refus de la réislamisation de la vie politique que le Premier ministre impose mois après mois depuis son élection en 2002 et ses réélections depuis (encore plus de 50% des suffrages au scrutin général de 2011). Certains protestent contre des sujets graves comme l’avortement ou l’emprisonnement de nombreux journalistes, militaires et artistes pour délits d’opinion ou atteinte à la sûreté de l’Etat. D’autres pour des motifs plus futiles comme l’interdiction de consommer de l’alcool dans les lieux publics après 10 heures du soir.

Le réveil des minorités
Se greffant sur ces revendications sociétales, forme de mai 68 à la turque, de nombreuses minorités entendent profiter du mouvement pour déstabiliser le pouvoir. C’est le cas des Kurdes, bien sûr, mais aussi des Alevis. Ces derniers sont à prendre très au sérieux car ils sont les «cousins » turcs des alaouites syriens. Ils entendent bien faire payer cher la politique d’Erdogan qui est l’un des
piliers logistiques et financiers de la guerre contre Damas qui semble tourner au fiasco. Ils reprochent à la politique étrangère turque d’avoir entamé un véritable volte-face ces cinq dernières années après une série de démarches d’apaisement régional et soupçonnent l’AKP de vouloir rétablir, ni plus ni moins, l’Empire ottoman. On le voit d’ailleurs en analysant les soutiens apportés aux gouvernements issus des révolutions arabes par Ankara. L’opinion des Alevis n’est pas à sous-estimer, cette communauté représentant entre 15 et 20% des citoyens turcs. Au total, les Turcs non-sunnites sont près de la moitié de la population. Et Erdogan a besoin de ces minorités pour mener à bien la réforme constitutionnelle qui lui permettrait de briguer la présidence lors des élections prévues en 2014, son mandat de Premier ministre s’arrêtant en 2015. En plus des minorités, il faut suivre l’armée dont le rôle a été considérablement réduit en 10 ans, et qui pourrait se rappeler au bon souvenir du gouvernement dans ce genre de situation.

Un pouvoir soutenu
Pourtant, R. T. Erdogan possède un bon bilan économique. Il a consolidé la croissance dans son pays depuis plus de dix ans (même si cette dernière se ralentit : 2,2% en 2012, contre 9,2 % en 2010), et bénéficie de forces nombreuses, en particulier en Anatolie qui se sont mobilisées grâce aux services de l’Etat pour organiser des contre-manifestations (des centaines de milliers à Istanbul). Les concurrents de l’AKP sont aujourd’hui trop faibles, que ce soit le CHP (Parti républicain du peuple) ou le mouvement Gülen (musulmans modérés) comme les différentes formations radicales de gauche et de droite (MHP). Des surprises pourraient venir au sein de l’AKP lui-même où certains, comme Suat Kiniklioglu ou Abdulatif Sener critiquent le style d’Erdogan.
A savoir

  • Le poids de l'armée dans la société
L’armée turque est souvent présentée comme la garante de l’héritage de la révolution kémaliste et de la Turquie laïque. Elle est à l’origine de plusieurs coups d’Etat. L’armée possède aussi un poids important dans l’économie grâce au Fonds de pension des forces armées et de la Fondation pour le renforcement des forces armées. Depuis 2003, l’AKP a pu faire voter par sa majorité
parlementaire des réformes qui limitent les pouvoirs des militaires.

  • Les Alevis, une longue histoire turque
Les Alevis sont une branche de l’islam chiite. 70 à 80 % sont turcs. Elle est la seconde religion du pays, pratiquée par 15 à 20 % de la population en particulier dans l’est. Pourtant, à plusieurs
reprises dans l’histoire turque, de l’Empire ottoman ou de la République kémaliste, les Alevis ont été persécutés, les poussant à la clandestinité. La proposition faite par Erdogan de nommer
le troisième pont du Bosphore, Sultan Selim, qui les avaient massacrés au XVIe siècle a été très mal reçue.