Vers un « Open Sky » entre l’Europe et le Golfe ?

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L’annonce de la signature d’un prochain accord portant sur la libéralisation des droits de trafic entre la CEE et le Qatar a fait l’effet d’une bombe. A vrai dire personne ne s’y attendait, du moins pas si tôt. Certes tout n’est pas encore finalisé et il serait très surprenant que la France et l’Allemagne ne ruent pas dans les brancards pour soi-disant défendre les intérêts de leurs compagnies nationales. Donc il est logique que la signature réelle n’intervienne pas rapidement.

Pour autant, pourquoi les compagnies européennes se plaignant-elles ? Si j’ai bien lu le communiqué diffusé par Bruxelles, la CEE a accepté d’ouvrir le ciel européen en échange de l’assurance que les conditions d’une concurrence normale soient assurées. C’est ce qu’a promis le Qatar. Sauf que les détails de l’accord ne sont pas portés à notre connaissance, et c’est tout de même bien dommage.

Rappelons que les Etats européens ont confié à la Commission le soin de discuter avec les Etats Unis et les pays du Golfe la délicate question des droits de trafic. Or la doctrine constante de la Commission depuis son origine est la libéralisation des échanges. Rien d’étonnant alors qu’elle entame une démarche globale de création d’un vrai « open sky » entre l’Europe et les principaux marchés. Gageons d’ailleurs que si l’accord avec le Qatar est signé, celui avec les Emirats Arabes Unis ne devrait pas attendre longtemps.

La seule question que tous les protagonistes peuvent se poser est liée aux conditions d’une concurrence normale.
En d’autres termes les compagnies européennes considèrent que les transporteurs du Golfe jouissent d’avantages économiques considérables de la part de leurs Etats respectifs, lesquels leur sont refusés par leurs propres gouvernements. Il faut bien reconnaître que tel est le cas et que traité ou non, rien n’empêchera les pays du Golfe de soutenir massivement leurs compagnies aériennes pour la simple raison qu’ils les considèrent comme stratégiques. D’ailleurs les aides aux transporteurs de la région peuvent prendre plusieurs formes difficilement discutables par les concurrents européens.

Par exemple comment appréhender autrement qu’un considérable avantage de le fait de se faire construire des aéroports ou des terminaux parfaitement adaptés aux stratégies commerciales des compagnies ? C’est pourtant bien ce qu’a fait le Qatar avec le nouvel Hamad International Airport de Doha inauguré le 30 avril 2014 ou le gigantesque Al Maktoum International Airport que l’Emirat de Dubaï est en train de construire et dont la capacité ira de 150 à 260 millions de passagers. Pour petit rappel, Charles de Gaulle est actuellement à 71 millions et Orly à 35 millions de passagers.

Est-ce que la capacité d’utiliser des infrastructures très modernes et parfaitement adaptées aux appareils actuels et futurs, constitue une distorsion à la concurrence ?
Est-ce que le fait d’avoir des liaisons rapides et en site propre entre les aéroports et les villes est de nature à disqualifier les opérateurs du Golfe ? En fait les européens se plaignent de leurs propres déficiences. Les plateformes européennes conçues au milieu des années 1970 ne sont plus adaptées au trafic actuel. Cela se traduit par une différence considérable de qualité de service entre les équipements européens et ceux du Golfe. Mais peut-on raisonnablement reprocher à des concurrents d’être mieux soutenus par leurs Etats ? Après tout, pourquoi les gouvernements allemands, français, anglais ou italiens par exemple n’en font pas autant ? On débat encore du Roissy Express alors qu’il aurait dû être en opération depuis au moins 25 ans, on se plaint de la desserte d’Orly alors que les concepteurs ont dès 1961 créé une gare dans Orly Sud qui n’a jamais été reliée au réseau SNCF car cette dernière n’en a jamais voulu. Pourquoi les gouvernements qui représentent un Etat actionnaire de tous les protagonistes n’ont-ils pas obligé ces derniers à mettre en place ces outils indispensables au bon fonctionnement du transport aérien ?

Et puis il reste la délicate question de la construction aéronautique dont il faut rappeler que l’Europe avec Airbus et ATR est l’un des deux principaux acteurs mondiaux. Nous sommes tous très fiers des commandes considérables passées par les transporteurs du Golfe. Faut-il rappeler que les compagnies des seuls Emirats et du Qatar ont en commande 512 Airbus dont 175 long-courriers ? Finalement c’est encore sur ces compagnies que le constructeur européen compte pour maintenir son activité. Comment alors refuser à nos clients le droit d’opérer sur nos propres marchés les appareils que nous sommes très contents de leur vendre ?

Au fond, c’est le client qui choisit. Si les compagnies européennes fournissent à leurs passagers un rapport qualité/prix équivalent à ceux de leurs concurrents du Golfe, pourquoi les clients de notre continent ne privilégieraient-ils pas leurs compagnies nationales ?


Jean-Louis BAROUX