Vers une bulle dans la construction aéronautique ?

125

D’abord un premier constat : les appareils construits grosso-modo après les années 1970, ont une durée de vie bien supérieure à ce que l’on connaissait auparavant, disons au moins le double. Il n’est pas rare de voir des avions en service âgés de plus de 30 ans alors qu’il fallait les mettre au rebut au bout de 15 ans dans les années 1970. Même si la demande de transport continue à croître, et il n’y a pas de raison pour que cela s’arrête, la longévité des appareils sera un facteur clef dans la composition des flottes, lesquelles auront moins besoin d’appareils nouveaux.

Deuxième constat : il pouvait être intéressant d’acquérir de nouveaux appareils lesquels sont plus performants et beaucoup moins consommateurs de carburant lorsque ce dernier pesait de plus de 30% dans le prix de revient. Ce n’est plus le cas maintenant, avec un pétrole durablement en dessous de 50 $ le baril, la composante carburant se situe entre 18% et 21%. Alors il reste à se poser la question du temps d’amortissement des nouveaux appareils dont le prix de vente est de l’ordre de 600.000 € le siège passager alors que l’effet carburant est beaucoup moins impactant. Notons d’ailleurs que les grands donneurs d’ordre aux deux gros constructeurs Boeing et Airbus sont les compagnies du Golfe dont les gouvernements sont très affectés par la baisse des cours pétroliers.

Troisième information : le nouveau président américain Donald Trump n’a pas caché sa volonté de freiner l’expansion des compagnies du Golfe sur le territoire des USA. S’il met en application cette annonce, cela amènera certainement les transporteurs concernés à modifier leurs plans au moins à moyen terme. Sauf qu’il existe peu de pays et de dessertes de substitution à l’accès au marché américain. Cela pourrait logiquement conduire les compagnies du Golfe à revoir leurs commandes. D’ailleurs, on peut se demander si la tendance à un « open sky » mondial, source de croissance, ne va pas tout simplement être inversée vers un protectionnisme très réducteur.

Rien que pour les deux premiers constructeurs, il y a actuellement 20.000 avions en commande. Les ordres ont été massivement passés lorsque le pétrole se négociait à 90 $ le baril. Il est maintenant à la moitié. Certes, cela a un impact très positif sur les comptes des compagnies aériennes et cela devrait leur donner les moyens d’investir. Mais pour combien de temps ?

La compagnie leader mondial (au moins pour le long courrier) Emirates vient d’annoncer un avertissement sur ses résultats. Son profit semestriel a baissé de 75% par rapport à l’année dernière. Il est encore assez confortable - 214 millions de $ - mais la tendance est pour le moins inquiétante. Les explications du transporteur dubaïote sont d’ailleurs assez claires : le taux de change du dollar pour une partie, mais surtout la baisse de la recette par passager. C’est d’ailleurs ce que pointent toutes les grandes compagnies à commencer par Air France/KLM. En fait l’effet de la baisse des coûts des transporteurs n’aura probablement qu’un impact éphémère sur leurs résultats. La concurrence acharnée à laquelle ils se livrent à coup de diminution constante des tarifs, les amènera à coup sûr à une forte attrition de leurs résultats, si ce n’est pas à un nouveau cycle de pertes.

Cette conjoncture à laquelle se rajoute l’impact des conflits et du terrorisme aura certainement des conséquences sur les commandes des appareils. Au premier semestre de 2016, Emirates a reçu 20 avions nouveaux soit près d’un par semaine, mais dans le même temps, la compagnie a rendu 19 machines lesquelles viennent alimenter un marché d’occasion qui ne demande qu’à se développer. Il ne serait donc pas surprenant que des commandes fermes soient annulées et que les options souscrites en grand nombre pour sécuriser les priorités sur les chaines de fabrication, ne soient pas converties en achats fermes.

N’oublions pas non plus qu’arrivent sur le marché de nouveaux constructeurs asiatiques : Chinois et Japonais, mais également Russes. Leurs appareils sont modernes, bourrés d’une avionique occidentalisée et vendus à un prix très inférieur à leurs concurrents occidentaux. Oh bien sûr les Sukhoi, Comac ou Mitsubishi ne se sont pas encore aventurés sur les gros porteurs, mais ils entendent bien occuper leur place sur les courts et moyens courriers. Et comme la croissance est tirée par l’Asie, il ne serait pas surprenant que les transporteurs de ce continent leur donnent la préférence.

Les chaines d’assemblage ont été dimensionnées pour traiter un nombre toujours accru de commandes d’avions. Et si cette tendance se tarissait ?

Jean-Louis BAROUX