Voyages d’affaires et transport aérien : questions sur les business modèles

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A l'heure où la crise économique, la hausse du pétrole et la concurrence des compagnies low-cost remettent quotidiennement en question le développement des compagnies aériennes traditionnelles, bien des questions se posent sur les fondements mêmes de leur modèle économique. Des questions posées ici par Jean-Pierre Sauvage, professionnel de l'aérien aguerri par 45 années consacrées à l'aviation et Président du BAR France, Association qui regroupe les compagnies étrangères qui opèrent au départ de la France.

Voyages d’affaires et transport aérien : questions sur les business modèles
Pour 2012, la Commission européenne prévoit une situation de récession pour la zone euro même si la France est, elle, créditée d'un indicateur positif de 0,4%. Autre constat, notre commerce extérieur affiche un déficit de près de 70 Mds d’euros. Deux données qui font que des questions cruciales se posent quant à la pérennité des modèles économiques des opérateurs du voyages d’affaires et des compagnies aériennes, leurs partenaires indissociables car ils entrent pour 77% dans les dépenses de ce secteur d’activité.

Un article du journal économique Les Echos, du 11 février dernier, faisait état d’un coup de froid sur les voyages d’affaires. Je relève tout particulièrement la déclaration d'un patron d’un grand réseau TMC qui soulignait "La conjugaison des éléments structurels et conjoncturels qui induisent une nécessaire adaptation du modèle des opérateurs de voyages". Il reconnaît par ailleurs qu’en ayant offert aux clients les moyens technologiques de se débrouiller seuls - SBT entre autres - il n’avait pas le choix face à la concurrence des nouveaux acteurs venus du net .

Ces remarques ne sont pas sans rappeler la problématique à laquelle sont confrontés, depuis quelques années déjà, les transporteurs aériens dits traditionnels, qui doivent faire face à la concurrence des compagnies à bas coût. Ces dernières appliquent un modèle économique basé essentiellement sur des modes d’exploitation de haute productivité permettant de réduire les coûts de manière substantielle - jusqu’à 40 % de gap concurrentiel - et une simplification des systèmes de distribution en utilisant presque exclusivement le canal internet pour les réservations de ses clients.

Aujourd’hui nous pouvons mesurer les conséquences de cet affrontement qui, indéniablement, force les compagnies à un douloureuse révision de leur modèle sous peine, pour certaines, de disparaître purement et simplement. Des exemples récents de cessation d’activité de transporteurs européens le rappellent cruellement.

Pour autant, doit-on imputer toutes ces difficultés à la crise avant toute autre analyse ? Si les effets de la conjoncture pèsent indéniablement sur les résultats de ces activités si complémentaires et terriblement dépendantes l’une de l’autre, ils représentent à mon sens plus un élément amplificateur d’une situation qui puise ses sources dans les évolutions structurelles de leur secteur d’activité respectif et de l’évolution du comportement de l’acheteur.

En ce qui concerne le voyage d’affaires, le baromètre européen publié lors de la dernière édition de l’EVP organisée par American Express Voyages d’Affaires fait ressortir une modification profonde et rapide de la hiérarchie des leviers d’optimisation des budgets voyages et deux éléments retiennent particulièrement l’attention :
- La réservation à l’avance permettant des économies de 10 à 15 % prend la première place de cette chaîne de valeur. Tous les professionnels de notre industrie comprendront l’incidence de cette démarche sur le type de demande de transports aériens et la baisse des coûts.
Nous sommes là au cœur du sujet !

- L’autre élément qui connaît une progression spectaculaire dans ce basculement vers des leviers plus structurels est l’utilisation de l’outil en ligne qui passe du 8éme au 4éme rang. A ceci il n’est pas neutre d’ajouter que, selon Amadeus, 33% des réservations aériennes sont maintenant effectuées depuis des téléphones mobiles et que, toujours selon le même baromètre, l’usage des technologies mobiles est désormais pratique commune pour 68 % des entreprises interrogées. Nul doute que les voyageurs d’affaires contribuent en grande partie à cette évolution exponentielle.

Nous avons donc là , entre autres, les ingrédients qui entraînent l’interrogation quant à la pérennité des modèles actuels du voyages d’affaires.

Pour ce qui est du transport aérien, nous avons évoqué ci-dessus les effets de ce que nous ne pouvons plus appeler la nouvelle concurrence des opérateurs à bas coûts, sauf à être taxé de myopie marketing rédhibitoire, quand on sait que Southwest Airlines, la compagnie pionnière - modèle des modèles en la matière- opère depuis des décennies avec le succès que l’on connaît

On peut bien sûr évoquer l’effet pétrole pour justifier les difficultés actuelles mais il joue pour tous les opérateurs et ce serait un peu court comme argument.
Ce qui est certain est que la conjonction de tous les éléments exogènes impactant les résultats des compagnies influent inéluctablement sur leurs orientations stratégiques.

Il me semble nécessaire, pour ce qui est de notre secteur en Europe, de prendre en compte des données relativement simples et qui se complètent :
Plus de 50% du transport aérien global de/ vers la France est effectué en Europe vers laquelle sont dirigés 60 % de nos exportations. Quand on observe la part de plus en plus importante qu’ont pris les low cost carriers dans cette zone géographique, l’évidence saute aux yeux. Comme je le disais ci dessus, une nécessaire révision du modèle semble s’imposer pour un bon nombre de transporteurs traditionnels, légacies ou network carriers. C’est en tout cas la voie prise Air France pour ses bases en provinces, Iberia avec la création d’Iberia Express et d’autres transporteurs de référence européens qui semble adopter cette option.

Bien évidemment, ceci ne peut être un raisonnement s’appliquant à tous les transporteurs et en élargissant la réflexion il apparait nécessaire de comparer les différents modèles adoptés par les compagnies aériennes et de s’interroger sur leur pertinence.
-Alliance Vs consolidation ?
-Hub long courrier/long courrier à l’instar des compagnies du Golf Vs hub court-moyen courrier/Long courrier

Il convient également de s’interroger sur la place des middle carrier a coté des mega .Pour compenser leur déficit de taille, leur développement est- il dans le trafic de niche ou dans un modèle hybride mi-régulier mi affrètement ? Ou bien dans une intégration ?

Les enjeux sont énormes et lourds de conséquences, et je ne me risquerai pas à un pronostic. Mais ce qui est certain, tant pour les opérateurs du voyage d’affaires que pour les transporteurs aériens, nous vivons dans un monde en profonde mutation dans lequel l’immobilisme est synonyme de disparition certaine et impose à tous, non seulement de s’adapter mais d’anticiper les événements. Ceci requiert imagination, originalité et aussi courage dans les choix entrepreneuriaux

Jean Pierre Sauvage