Voyages d’affaires: les acheteurs ne sont-ils pas dupés?

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La disparition des commissions IATA a eu pour conséquence la mise en place d’un nouveau mode de rémunération des agences de voyages. Jusqu’à présent rémunérées par les compagnies aériennes et ferroviaires pour la distribution de leurs billetteries, les dites agences couvraient leurs charges et dégageaient leur résultat après le versement de remises, variable d’ajustement établie sur le marché avec les entreprises qui souhaitaient bénéficier d’une partie de ces revenus liés à leur trafic.

Les transporteurs cherchant à réduire leurs coûts de distribution, la corde s’est tendue et les commissions d’usage ont presque totalement disparu à l’exception de quelques compagnies dont la SNCF, qui a maintenu une petite partie de ces rémunérations aux agences.

Depuis, les coûts directs (d’exploitation) de l’agence sont rémunérés principalement par le client pour la valeur ajoutée qui lui est fournie : l’information, la réservation, la tarification et l’émission du billet, mais aussi pour l’après vente, annulations, modifications, remboursements, facturation et reporting…
Le prix du voyage est ainsi la somme du prix du transport (qui représente environ 95% du prix total) et du coût de l’agence (frais de services : environ 5%). Les agences publient leurs grilles de frais et celles-ci deviennent partie intégrante du contrat qui les lie aux entreprises clientes.

Ce modèle économique a plusieurs avantages à mon sens. Il permet de distinguer de façon transparente le prix du transport, d’une part, et, d’autre part, le coût de l’agence, lié aux processus mis en place entre le client et l’agence mais aussi à la productivité de cette dernière. Les vraies questions sont alors posées : ordre de mission ou pas, commande en ligne ou non, réservation en ligne ou au téléphone, facturation électronique ? … Autant de choix qui impactent les frais de services. Côté agence, son organisation et les processus jouent également : quels outils de réservation, robotisation des émissions et des contrôles, dématérialisation, traitement du back office ?
L’acheteur peut ainsi agir sur ces deux postes de dépenses. Le transport peut faire l’objet de décisions d’achat en terme de classes, de compagnies («low cost» ou régulières), de contrats «corporate» avec certains transporteurs ou d’une démarche «best buy». L’agence est choisie en fonction de critères objectifs, choix des processus, équipement de l’agence, qualité, effectif, solidité financière, capacité à innover…

La quasi récession enregistrée ces derniers mois dans le voyage d’affaires attise la compétition entre les agences à la recherche de volumes et fait fondre les grilles de frais de façon surprenante pour l’observateur que je suis devenu. Alors que la qualité de services exigée et la recherche du meilleur rapport qualité/prix dans la jungle tarifaire qui s’est installée dans le transport aérien poussent les agences à investir toujours plus dans des systèmes performants mais coûteux, les frais de services de certains acteurs fondent comme neige au soleil. Cherchez l’erreur !

Les entreprises mettent la pression sur les agences et leur tarification, seul prix contrôlable en amont lors de la signature d’un contrat. Elles agissent donc sur les 5% du budget voyage, comptant sur les contrats firme (corporate) traités parallèlement avec les transporteurs ou les offres tarifaires du marché (best buy) pour optimiser le budget transport (95%) de la dépense.

Certaines agences, souvent encore en multi activités (loisirs et affaires) se sont inspirées du modèle en place sur le marché grand public. Les tarifs aériens sont achetés au net et font l’objet d’une marge libre en fonction de la demande et de l’acceptation du marché. Ainsi, le revenu de ces agences est principalement lié à la marge ajoutée sur la billetterie (qui peut atteindre 20 à 30%) plutôt qu’à ses frais de services. Elles ont alors toute latitude pour casser les prix de leur grille de frais et séduire ainsi des acheteurs qui risquent de payer cher cette démarche ciblée d’achat.
L’enjeu est tellement important pour ces agences que certaines stimulent financièrement leurs collaborateurs sur cette prise de marge.

Les conséquences de cette évolution sont multiples. La première est que l’entreprise perd le contrôle de son budget transport. En fonction du trafic, de la demande, les prix du transport supposés être négociés flambent du fait de ces marges souvent trois à quatre fois supérieures à l’usage. Ce risque inflationniste se vérifie lors d’études tarifaires sur un trafic entreprise pour une période donnée et la conclusion est quasi systématique : à grilles de frais cassées, le coût du poste transport est supérieur aux tarifs pratiqués sur le marché pour les axes et la période de référence.
La transparence qui s’était installée est menacée et l’acheteur perd ses leviers de négociation en fonction des hypothèses de fonctionnement et d’achat évoqués plus haut.

Le sujet me semble aujourd’hui suffisamment important pour que je lui consacre cette chronique. Les acheteurs doivent garder en tête que 95% du budget voyage est constitué du coût du transport. L’agence doit rester le partenaire de l’entreprise pour travailler de concert à son optimisation, de façon transparente et loyale, garante de cette confiance mutuelle, capitale pour la bonne gestion d’un budget voyages. La valeur ajoutée de l’agence doit s’évaluer en fonction des services qui lui sont demandés. Comment l’entreprise travaille-t-elle avec son agence? En ligne ou au téléphone … ?

L’acheteur doit accepter que cette prestation a un coût et comprendre que si ce coût ne peut lui être facturé de façon contractuelle, l’agence le financera par d’autres revenus et principalement à travers la marge additionnelle sur la billetterie. Il nous faudra suivre cette évolution du marché ces prochains mois car elle pourrait être l’origine d’un nouveau big bang dans cette industrie qui se rapprocherait alors des modèles de négoce bien connus dans d’autres secteurs. Personnellement, je pense que les acheteurs doivent veiller à ne pas signer des marchés de dupe et je les engage à s’en assurer en analysant les coûts de l’agence rapportés à la facturation proposée des frais de services.

Je les incitent à rémunérer l’agence sur l’atteinte d’objectifs communs de réduction de ce poste voyages, à exiger une transparence du prix du transport et à le faire contrôler régulièrement par des reportings ou des conseils dont c’est le métier.

Régis Chambert
RC2, Régis Chambert Consulting, est une SARL créée en 2010 dans le but de mettre à la disposition de ses clients un savoir faire, une expérience de plus de 30 années dans le management d'entreprises Françaises, puis internationales, dotées d’organisations très diverses, traditionnelles ou matricielles et globales.

[email protected] a été Vice président - Directeur Général d'American Express Voyages et a présidé plusieurs sociétés du groupe en Europe (Belgique, Espagne, Pays-Bas). Il a également siégé dans plusieurs conseils d'administration de sociétés partenaires (UVET AMEX en Italie) et présidé Avexia Voyages de 2011 à fin 2013.

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