Yann Barbizet, Concomitance: « Je crois que la place du voyageur va devenir primordiale ces prochaines années ».

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Patron de Concomitance, le cabinet d'études qui réalise tous les ans le baromètre d'American Express Voyage d'Affaires, Yann Barbizet nous livre sa vision de l'année qui s'achève et le regard qu'il porte sur 2013.

Pour le premier invité d'une "rétrospective" qui se poursuivra sur le mois de décembre, 2012 aura conforté le besoin de voyager qui s'oppose aux annonces de la fin 2011, prédisant une chute vertigineuse des déplacements professionnels. Certes, la hausse du volume des voyages d'affaires est modeste en 2012, il n'empêche qu'elle existe bel et bien et que 2013 devrait être en très légère croissance (2,3%). "Je crois que cette situation, constatée au sein même des entreprises ces derniers mois, démontre le besoin des sociétés, quelle que soit leur taille, d'être présentes sur les marchés économiques en développement" précise Yann Barbizet, le patron de Concomitance, notre invité..
Une semaine après l'EVP, DéplacementsPros.com évoque avec lui les grands sujets qui ont ou viendront bousculer l'univers du voyage d'affaires.

DeplacementsPros.com : quel regard portez-vous sur 2012 ?

Yann Barbizet : L'année qui s'achève aura mis en valeur trois points essentiels. Le premier, et nous l'avons vu à l'EVP, démontre que contrairement à ce qui était écrit l'année dernière, 2012 n'a pas sonné le glas des déplacements professionnels. L'entreprise continue à se déplacer car elle a parfaitement compris le besoin de rencontrer les clients en face à face. C'est indispensable à la qualité de ses relations commerciales. En Asie, par exemple, on sait qu'il est nécessaire d'aller sur place pour négocier : pour un Chinois ou un Coréen, entre autres, il serait impensable de faire des affaires avec une entreprise dont on ne connaît pas le représentant. C'est une approche culturelle, primordiale et qui explique à elle seule le développement raisonné du voyage d'affaires. On sait qu'il faut se déplacer pour mettre en place des relations technologiques ou économiques de qualité. Autant de points qui confortent le voyage d'affaires comme premier outil de l'activité extérieure d'une entreprise. C'est le fameux débat autour de la notion d'investissement ou de dépenses, né autour du voyage d'affaires dans les années 2000.
L'autre événement important de 2012 concerne directement les nouvelles technologies. Il est acquis aujourd'hui qu'elles pilotent et piloteront une bonne partie des briques qui composent le voyage d'affaires. On sait également que l'on peut faire des économies grâce à cette technologie, que l'on peut affiner ses dépenses et optimiser le regard que l'on a sur les déplacements d'entreprise. Ce sont des points importants.
Enfin, et c'est sans doute l'élément le plus important de l'année qui s'écoule : la place du voyageur d'affaires au sein de l'entreprise va fortement progresser. En lui donnant des outils qui favorisent son autonomie, il sera indispensable de repenser les relations avec celles et ceux qui voyagent pour leur entreprise. L'enjeu est de taille même si, pour l'heure, il faut encore en dessiner les contours.

DeplacementsPros.com : Voulez-vous dire que la discussion qui s'est ouverte sur la notion de "politique voyages" et "politique voyageurs" est un vrai débat ?

Yann Barbizet : Je ne sais pas si ce sont les termes que le marché conservera. Ce que je sais, et nous le voyons fréquemment, c'est que la place du collaborateur qui se déplace n'est plus tout à fait la même que celle que nous avons connu il y a quelques années. La notion de voyageurs responsables, de mobility management ou plus simplement d'utilisateurs avertis, dotés des outils adaptés aux déplacements professionnels obligent l'entreprise à repenser la relation qu'elle entretient avec son collaborateur. On l'a vu, le marché est aujourd'hui tiré par le besoin de voyager et les enjeux liés à ce besoin sont importants. Cela veut dire que le voyageur, outre la vision responsable de son activité professionnelle, se place aussi comme l'ordonnateur de son voyage. Il sait qu'il sera jugé aux résultats et que ses choix pèseront sur son évolution professionnelle. Cette responsabilisation amène à des choix, souvent raisonnés, qui demandent que la politique voyage soit modulée, adaptée au cas par cas pour les grands voyageurs. Le déplacement est lui-même facilité par les outils qui sont eux-mêmes pilotés et contrôlés par l'entreprise. On comprend que dans cette structure, on quitte la simple notion d'exécutant pour faire du voyageur un acteur à part entière, tant au niveau de la décision que de la réalisation de son déplacement.

DeplacementsPros.com : Croyez-vous sincèrement que le confort du voyageur est une réalité au sein des directions achats ou RH de l'entreprise ?

Yann Barbizet : Difficile de répondre à cette question tant il faut aussi prendre en compte la culture de l'entreprise. Si l'on regarde du côté des États-Unis, souvent en avance dans l'équilibre prix/qualité du voyage, on se rend compte qu'il existe aujourd'hui ce que l'on appelle des "lowest logical fares" dont la finalité est de trouver le meilleur rapport qualité/prix en fonction du déplacement envisagé et des résultats attendus. Il y a en Europe des expériences de ce type qui mélangent politique voyages et politique voyageurs. Leur finalité est d'adapter le voyage en combinant à la fois les objectifs souhaités, la distance à parcourir, la durée du déplacement et le besoin évident du voyageur d'être opérationnel dès sa descente d'avion. Concrètement, cela veut dire que l'on peut parfaitement voyager en classe économique pour un simple vol de deux heures ou passer en business pour le même vol mais dont l'objectif à l'arrivée est contractuellement plus complexe.
Il est clair que la vision des acheteurs de se limiter au best buy est dangereuse. Aux USA, une récente étude a même démontré que le "confort du voyageur" était l'avant-dernière préoccupation des acheteurs. Mais nous sommes dans un pays où ce même acheteur construit son salaire et ses primes en fonction des économies réalisées dans l'année. On devine facilement que cette notion de mobility, qui pour certaines entreprises englobent jusqu'à l'expatriation, va conduire les sociétés à repenser leurs relations avec les voyageurs pour être plus proches de la réalité du voyage et de la finalité du déplacement. Il est évident que le voyageur possède désormais un pouvoir, une autonomie et une liberté d'action qui ne collent pas forcément à la rigueur d'une politique voyages souvent construite dans le seul but d'économiser de l'argent, et qui n'est pas forcément utilisée comme un outil stratégique de marketing et de conquête économique.
C'est un sujet naissant mais qui va, très rapidement, s'imposer comme un débat indispensable.

DeplacementsPros.com : Selon vous, le Travel management doit-il être géré par les achats ou les RH ?

Yann Barbizet : J'aurais tendance à dire qu'il ira du côté des RH. Mais c'est une vision toute personnelle qui prend en compte l'intégration de l'humain dans l'univers du voyage d'affaires. En période de crise, il est clair que toutes les notions de best buy renvoient aux achats dès qu'il y a dépenses. C'est un peu court et un peu restrictif, si l'on veut réellement intégrer les déplacements professionnels comme des éléments à part entière de la prospection et de l'équilibre commercial de l'entreprise. Aussi, et je crois que la vision humaine que j'ai développée le démontre : le rattachement aux services RH est la garantie, pour la société, que le déplacement professionnel va bien au-delà de la simple exécution technique du voyage pour s'intégrer à la réussite de l'entreprise.
Cette gestion humaine touche encore plus fortement les salariés décentralisés, voire les travailleurs à domicile appelés à se déplacer fréquemment. Le développement des "tiers lieux" qui sont à l'extérieur de l'entreprise - mais indirectement deviennent le lieu de travail du voyageur d'affaires - prouvent, s'il le fallait, qu'on se retrouve devant une situation étonnante : l'entreprise n'a pas forcément la vision immédiate du salarié, de son travail et de ses déplacements alors qu'elle en est juridiquement responsable. Cette mobilité extrême est plus proche des ressources humaines que de la simple vision comptable. On devine qu'il y a appartenance à l'entreprise, même si les ramifications traditionnelles ne sont plus celles que l'on connaissait. Le voyageur prend d'une certaine façon un pouvoir nouveau et l'entreprise doit apprendre à lui donner plus de liberté.

DeplacementsPros.com : Vous avez évoqué, lors du dernier baromètre d'American Express, l'important besoin de sécurité manifesté par les entreprises. Beaucoup d'acheteurs ou de spécialistes du voyage affirment aujourd'hui que tout a été mis en place. Pourquoi sont-ils alors encore aussi sensibles sur le sujet ?

Yann Barbizet : Je crois qu'il faut rester prudent sur l'interprétation du mot «risque». On peut bien évidemment imaginer le pire et les situations les plus graves pour des salariés envoyés en mission dans des pays réputés difficiles ou dangereux. Mais le risque n'est pas forcément extrême. L'incident ou l'accident le plus simple peuvent engendrer des complications qui risqueraient de coûter très cher à l'entreprise. C'est cette notion de sécurité globale qui est aujourd'hui dans l'esprit de l'ensemble des Travel Manager. Bien sûr, on ne peut pas minimiser l'importance de la sécurité et ce, quelle que soit la destination couverte par les voyageurs. C'est donc encore un axe de réflexion et de développement au sein des entreprises qui sensibilisent 87 % d'entre elles.

DeplacementsPros.com : La fonction de Travel manager va-t-elle fortement évoluer, selon vous, ces prochaines années ?

Yann Barbizet : C'est évident. Je crois que c'est une appellation appelée à disparaître au bénéfice du mobility manager dont le champ d'action est élargi et dont les compétences dépassent le simple cadre du déplacement professionnel. La mobilité est une réalité qui fait appel à un ensemble d'éléments qui se croisent souvent et qui nécessitent d'avoir une vision élargie pour un meilleur traitement des besoins. Maintenant, je serais incapable de vous dire dans combien de temps ces appellations nouvelles arriverons dans l'entreprise. Les analystes sont souvent plus en avance que la réalité du marché !

Propos recueillis par M. Lévy