Classement hôtelier (1/4) – La guerre des étoiles

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Tout système de notation, tout référentiel d’évaluation fait débat, et les fameuses étoiles hôtelières n’y échappent pas. Voyage interstellaire dans un univers dont le big bang de 2009 continue d’agiter les cieux de l’hébergement tarifé.

Dans le ciel de France, à l’heure des likes et des avis voyageurs, les étoiles trônent, impassibles, au firmament des distinctions hôtelières. Leur lueur a certes pâli des retours d’expérience client plus ou moins avisés, le plus souvent tripadvisés. Mais elles restent malgré tout un marqueur important, chouchouté, en tout cas, par l’institution touristique. La preuve : à partir de 2006, elles furent l’objet de toutes leurs attentions, pour aboutir, en 2009, à une refonte totale du système attribuant les fameuses 1, 2, 3, 4 et, à partir de cette date, 5 étoiles. Atout France, l’outil de promotion du tourisme hexagonal, est alors à la manœuvre.

Pour le grand public, cette révolution copernicienne ne fut visible que sur le spectre chromatique : de bleus, les fameux panonceaux affichant à l’entrée des établissements les étoiles attribuées, sont devenus rouges… Ça fait léger. En effet, pour le reste, comme d’habitude, pas ou peu d’information. Tentons d’y plonger un télescope.

Outre une modification du système des visites de contrôle, la réforme consiste alors à passer de 30 à 240 critères. Ces critères qui, jusqu’alors, s’intéressaient à du « dur » – la surface et les équipements notamment, font désormais la part belle, en complément, au service et au confort. Last but not least, le classement n’est valable que 5 ans. Un hôtel qui veut se maintenir dans le classement au terme de ce délai doit alors impérativement solliciter une visite d’inspection (à ses frais). 5 ans, c’est aussi la durée de vie du classement lui-même : Atout France s’engage à l’actualiser à ce rythme, en fonction de l’évolution de l’offre hôtelière. De fait, une révision a bien eu lieu en 2016, et celle de 2021 est déjà dans les tuyaux.

Polémique

Ce cahier des charges plein de bonnes intentions devait, a priori, satisfaire tous les acteurs concernés. Sauf qu’on sait de quoi l’enfer est pavé. Car – oh surprise ! – à la publication du nouveau classement, la proportion d’hôtels français ayant gagné du galon explose. En 2016, lors de la 1ère révision du système 2009 et 4 ans après l’abandon total du système antérieur (qui avait cohabité, pour transition, avec son successeur jusqu’en 2012), les chiffres laissent pantois : 57 % des hôtels classés affichaient 3 étoiles ou plus, contre… 19 % en 1995 ! Depuis, la tendance s’est même amplifiée : à date, ce sont 66,5 % du parc hôtelier classé qui dépassent les 3 étoiles.

Spontanément, une redistribution des cartes de cette nature peut être interprétée soit comme une montée en gamme coordonnée des établissements – ce qui est douteux vu l’ampleur du phénomène, soit comme une revue à la baisse des critères à remplir par catégorie. D’après Guillaume Lemière, directeur des Affaires juridiques et réglementaires d’Atout France, l’explication est ailleurs : « En passant de 30 à 240 critères, on a forcément affiné et élargi dans le même temps la prise en compte des caractéristiques des établissements. Dès lors, il y a eu un reclassement, en l’occurrence vers le haut, de beaucoup des hôtels classés. »

Avec d’autres, le cabinet d’études spécialisé Coach Omnium n’est pas de cet avis. Son fondateur, Mark Watkins, l’a écrit : « Les critères pour être classé (dans le nouveau nouveau classement, ndlr), quelle que soit la catégorie, sont très minimalistes et peu exigeants ». Quant à son associée, Perrine Edelman, elle nous confirme cette opinion et va même plus loin : « Cette refonte du système a été encouragée très vivement par les chaînes hôtelières, notamment Accor qui voulait que ses Mercure et ses Novotel passent de 3 à 4 étoiles. » Sous-entendu : des critères établis sur mesure pour complaire aux géants de l’industrie hôtelière. Bien sûr, sans qu’ils nous l’aient dit de façon officielle, les représentants d’Accor se défendent d’un tel lobbying.

Du côté d’Atout France, la réaction n’est pas plus étonnante… mais a le mérite d’être argumentée. Guillaume Lemière, encore : « C’est un mensonge. Et c’est un mensonge qui n’est même pas crédible : en France, les indépendants sont plus nombreux que les hôtels de chaîne, je ne vois pas pourquoi ils auraient la main sur notre classement ». Pourtant, le même d’ajouter : « Le but de la refonte du système était bien de faire monter en gamme nos hôtels car ils étaient sous-classés au regard des critères internationaux ». Que penser de l’établissement d’un système de notation dont la finalité est de donner des bonnes notes ? Mais, dans le même temps, en quoi Atout France y gagnerait à surnoter les hôtels français et donc à créer de la déception chez les clients ?

Brillance

Coach Omnium, dans sa croisade anti-étoiles, avance un autre argument censé discréditer le nouveau classement : de plus en plus d’hôteliers font le choix (c’est leur liberté dans le système français) de ne pas être classés – ils étaient 86 % à l’être en 2009, ils ne sont plus que 69,7 % en septembre 2019 (12 508 classés sur 17 949 hôtels en France). L’argument, effectivement, ne plaide pas pour le nouveau système… En revanche, il invalide au moins partiellement le fer de lance de l’attaque Coach Omnium d’un classement trop bienveillant. Pourquoi, en effet, se passer d’un jugement forcément valorisant puisque relevant de critères « très minimalistes et peu exigeants » ?

La vérité est peut-être, là encore, à chercher ailleurs. Les hôtels de catégories inférieures, voyant leur proportion diminuer (désormais 33,5 % pour le cumul 1 et 2 étoiles) et considérant comme trop infamante cette relégation dans le dernier tiers, préféreraient snober la catégorisation ? Ou encore, et davantage plus sûrement, ce sont ces satanés « avis des clients » des marketplaces online qui, décidément, ont une fâcheuse tendance à altérer la brillance des astres historiques…

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