Covid-19 : Le droit de retrait est-il jouable ?

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Face à la menace d’une pandémie de Covid-19, certains voyageurs d’affaires pourraient être tentés de faire jouer leur droit de retrait.

La montée en puissance de l’épidémie de Covid-19 inquiète les employés des sociétés faisant voyager leurs collaborateurs en Italie ou bien en Corée du Sud. Il faut noter que, conformément à l’article L. 4122-1 du Code du travail, les salariés sont tenus de veiller à leur propre sécurité. De fait, certains pourraient invoquer cet article et le droit de retrait pour éviter une mission. Mais seraient-ils dans leur droit ?

Prouver que le danger est avéré

L’article L. 231-8-1 du Code du travail traite du droit de retrait qui permet au salarié de cesser son travail en présence d’un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

L’article précise que le danger incriminé ne doit pas être un simple risque lié aux conditions de travail, mais être susceptible de porter rapidement atteinte à la vie ou à la santé du salarié. Travailler sur un site présentant des conditions limites (bruit, chaleur, sollicitation du corps…) ne justifie pas un droit de retrait. Cependant, si la médecine du travail a demandé une adaptation de poste et que celle-ci n’a pas été prise en compte, le droit de retrait peut s’exercer. Idem si l’employé est capable de prouver qu’il y a un danger imminent qui menace sa santé ou sa vie (travail sous une charge mal équilibrée, travail avec des produits instables…).

Et dans le cadre du Covid-19 ?

Le risque lié à une pandémie provoquée par un coronavirus ne peut pas être juridiquement qualifié de risque professionnel dans la mesure où la contamination potentielle n’est pas directement liée à l’activité de l’entreprise, et ce même si cela pourrait dégrader les conditions de travail et générer de nouveaux risques professionnels.

Comme le précise la Cour de cassation dans un jugement du 28 février 2002, l’employeur a une obligation de résultat vis-à-vis de la santé et de la sécurité des salariés (article L. 4121-1 du Code du travail).

La responsabilité juridique de cette obligation de résultat est assumée personnellement par le chef d’entreprise. Elle repose sur l’évaluation des risques d’altération de la santé des travailleurs et sur la mise en œuvre des dispositifs nécessaires à leur protection. L’employeur doit contrôler l’application effective des mesures de prévention, notamment la fourniture des équipements de protection individuelle adaptés, des appareils de protection respiratoire.

L’employeur doit intégrer le risque de pandémie dans le document unique

L‘article R. 4121-1 du Code du travail ajoute l’obligation de transcrire et de mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques professionnels dans le document unique. de fait, en cas de risque avérée, le document unique doit être actualisé, afin d’adapter les mesures de prévention pour tenir compte du changement de circonstance et renforcer le niveau de sécurité des travailleurs.

Dans un contexte de pandémie type coronavirus, les informations sur l’évaluation du risque sanitaire seront délivrées par les autorités de santé publique. Les risques professionnels relèvent, quant à eux, de l’analyse des risques actualisée pour tenir compte du contexte d’une pandémie.

Le droit de retrait dans un contexte de pandémie

Dans un contexte de contamination interhumaine, si l’employeur a bien pris les mesures de prévention et de protection nécessaires, conformément au plan national, les possibilités de recours au droit de retrait seront fortement limitées.

Les travailleurs exposés au risque de contamination du virus du fait de leur activité habituelle ne pourront pas exercer leur droit de retrait, au seul motif d’une exposition au virus à l’origine de la pandémie.

Les travailleurs en contact régulier et étroit avec le public, et les personnes qui ne sont pas surexposées au virus, c’est-à-dire qui sont uniquement concernées par l’exposition environnementale ne pourront exercer leur droit de retrait que de manière exceptionnelle, dans la mesure où l’employeur a pris toutes les mesures de prévention et de protection individuelle pour réduire les risques de contaminations de son personnel.

Le droit de retrait ne sera donc que difficilement applicable. Par contre, il est fort probable que les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des entreprises (les CHSCT) joueront un rôle crucial dans la coordination des actions employeurs/employés.

Et l’évolution de la Jurisprudence dans tout ça ?

Comme le fait remarquer Julien Million-Rousseau Directeur du conseil chez SAP CONCUR, le spécialiste des solutions dites Travel & Expense, les choses bougent et il faut noter la jurisprudence est en constante évolution. De fait, l’employeur, prévenant et réactif, verrait ce comportement récompensé, et sa responsabilité ne serait plus systématiquement engagée si des mesures de prévention sont mises en place, risque réalisé ou non. Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille la lecture de l’analyse de Léa RUSCONNE, étudiante en Master 2 Droit de la santé en milieu de travail disponible sur ce lien.