Tribune JL Baroux – Aérien : vers un chamboulement dans le Golfe ?

126
Tribune JL Baroux - Aérien : vers un chamboulement dans le Golfe ?

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il rappelle, dans cette tribune, l'historique des trois compagnies du Golfe et pointe les changements stratégiques qu'elles pourraient prochainement opérer.

Il faut suivre attentivement l’actualité dans cette partie du monde, car il semble bien que de grandes manœuvres soient en cours de préparation. Les trois gros transporteurs de la région : Emirates Airlines, Ethiad Airways et Qatar Airways sont, semble-t-il, en train de revoir leur stratégie et leurs relations. Et cela va certainement peser sur le transport aérien mondial, parce qu'il s'agit d'opérateurs essentiellement internationaux pour lesquels, contrairement à la situation américaine, chinoise, voire indienne, le marché domestique est quasiment inexistant.

Emirates en leader

Emirates Airlines fait, sans conteste, la course en tête. Créée en 1985 avec deux Boeing 727 loués, le transporteur dubaïote a pris une position de leader incontesté grâce à une stratégie inchangée qui a consisté à proposer aux marchés extérieurs un rapport qualité/prix sans égal, le tout soutenu sans faille par son actionnaire l’Emirat de Dubaï qui n’a pas hésité à fournir à son transporteur toutes les installations aéroportuaires nécessaires à l’accomplissement de ses objectifs. Aux derniers résultats connus, Emirates réalise un chiffre d’affaires de 32,6 milliards de dollars avec un bénéfice net de 3,2 milliards de dollars, soit 10% du chiffre d’affaires.

Cette remarquable performance est à porter au crédit de son management inchangé depuis plus de 20 ans avec Cheikh Al Maktoum comme président du groupe, et Sir Tim Clark au poste de CEO. Cette stabilité est une des raisons principales de la prospérité de l’entreprise. Sa flotte est composée uniquement de deux types d’appareils : cent-vingt A380 et cent-quarante-cinq Boeing 777. L’arrêt malheureux du A380, malgré les incessantes incitations de Sir Tim Clark auprès d’Airbus, à amené Emirates à faire basculer une grosse partie de ses commandes futures vers Boeing avec seulement, si l'on peut dire, cinquante A350 contre cent-vingt-six B777 8 et 9 X et quarante B787.

Qatar en frontal

Qatar Airways, partie 9 ans plus tard, en 1994, s’est d’emblée positionnée en concurrent frontal d’Emirates avec la même stratégie et le même support de son gouvernement. La stabilité de son management est également remarquable, la compagnie n’a connu qu’un seul Président, Cheikh Al Baker. Reste que sa taille est largement inférieure à celle de son principal compétiteur et ses résultats restent en dents de scie. Les derniers connus font état d’un chiffre d’affaires de 14 milliards de dollars et d’une perte de 1,9 milliard de dollars.

Néanmoins voilà un opérateur avec lequel il faudra compter avec ses 212 appareils répartis pour moitié entre Airbus et Boeing. Le pays a traversé une période très difficile suite à la fermeture de ses frontières avec ses voisins immédiats en juin 2017. Leur réouverture en janvier 2021 est sans aucun doute le signe que les relations aéronautiques vont évoluer dans le Golfe.

Etihad, investisseur mal avisé

Enfin Etihad Airways, lancée en novembre 2003 pour ne pas laisser Emirates occuper la position de leader dans les Emirats alors que la capitale est Abu Dhabi, n’a jamais pu trouver réellement sa place. Partie trop tard, elle a essayé de compenser sa différence de taille par une stratégie de prise de participations dans tous les transporteurs en difficulté afin de présenter un bilan de la même taille que celui d’Emirates. C’est ainsi qu’elle a pris des parts très importantes dans huit opérateurs dont aucun n’avait une santé financière convenable. Ils étaient de plus de culture entièrement différente.

Rien de commun en effet dans les méthodes de gestion d’un Air Berlin et de l’indien Jet Airways ou du serbe JAT Airways, sans parler des Seychellois ou des Australiens. Au lieu de se renforcer, Ethiad Airways s’y est ruinée. Depuis, elle a beaucoup de peine à se remettre des 7 milliards de dollars de pertes accumulées entre 2016 et 2021. Cela s’est d’ailleurs traduit par de successifs changements de direction : trois présidents en 6 ans, ce qui ne rend pas le management plus aisé. Notons tout de même que le transporteur d’Abu Dhabi pèse encore un chiffre d’affaires de 9 milliards de dollars, qu’il opère quatre-vingt-six appareils vers cent-trente destinations et qu’il a commandé quarante-huit Airbus dont vingt-deux A 350 plus trente-huit Boeings, tous longs courriers.

Du changement

La situation semblait figée depuis de nombreuses années, mais il semble bien que cela soit en train de changer. On voit tout d’abord les deux compagnies des Emirats se rapprocher en commençant par la signature de puissants accords Interline. Voilà qui pourrait présager d'une prochaine fusion laquelle pourrait commencer par des "joint ventures" liées à certains types de trafic.

Et puis le grand voisin saoudien bouge très vite. Deux nouvelles compagnies sont en train de sortir des sables et elles semblent disposer d’un considérable trésor de guerre. Or, dans le même temps, le Qatar retrouve de bonnes raisons pour revenir vers l’Arabie Saoudite. Les nouvelles compagnies saoudiennes Ryad Air et Neom Airlines auront besoin d’une expertise qui pourrait bien être fournie par Qatar Airways.

Pour le dire vite : il ne serait pas surprenant que les cartes soient rapidement redistribuées dans cette partie du monde, et cela aura des conséquences sur l’ensemble du trafic international de la planète.