Tribune JL Baroux – Aérien : vers une consolidation ou une atomisation ?

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Tribune JL Baroux - Aérien : vers une consolidation ou une atomisation ?

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.

C’est devenu un lieu commun. Sorti de la pandémie, le transport aérien ne sera plus comme avant. Oui mais comment ? Voit-on se dessiner quelques tendances ? Une question n’est pratiquement jamais abordée : est-ce que les énormes groupes de transporteurs, qu’ils prennent un aspect associatif comme dans les alliances ou capitalistiques, vont survivre à la crise actuelle ?

Prolifération

Il y a d’abord une réalité : en dépit des regroupements constatés depuis le début de ce siècle, le nombre de compagnies n’a cessé d’augmenter. En fait, le transport aérien draine des capitaux et des volontés indépendamment de sa rentabilité. Posséder sa compagnie aérienne est un signe de pouvoir tout comme détenir un média. C’est ainsi qu’on a pu voir des entrepreneurs prospères se ruiner pour créer et développer leur propre pavillon. Je pense en particulier à Vijay Mallya qui avait fait une énorme fortune avec la bière Kingfisher et qui s’est brûlé les ailes en créant Kingfisher Airlines. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. C’est ce qui explique, entre autres, la prolifération des nouveaux transporteurs. Il faut dire qu’avec le développement des systèmes de leasing et l’arrivée sur le marché d’une masse de nouveaux appareils, il est relativement facile de fabriquer une nouvelle compagnie de toutes pièces, chaque promoteur pensant faire mieux que ses voisins, en vendant moins cher qu’eux… sur Internet.

L'alliance ne protège pas

Bref, fin 2019, il n’y avait pas moins de 1.200 compagnies régulières pour transporter quelque 4 milliards et demi de passagers, avec une croissance régulière de 5 % par an, soit un peu plus de 200 millions de nouveaux consommateurs par an. Sur ce total, les compagnies membres de l’une des trois grandes alliances : Star Alliance, Skyteam et OneWorld, au total 58, représentent un peu plus de 80 % du trafic total. Et, cerise sur le gâteau, à l’intérieur même de ces alliances, on trouve des groupes capitalistiques : Lufthansa avec Brussels Airlines, Austrian Airlines et Swiss International Airlines, Air France et KLM, ou British Airways et Iberia. Cela signifie que plus de 1000 transporteurs réguliers existent et se partagent les 20 % restants. Pour autant est-ce que les membres de ces 3 alliances sont plus florissants que la multitude des autres ? Ce n’est pas le cas. Les alliances n’ont jamais protégé leurs compagnies adhérentes. C’est ainsi que depuis la pandémie, Avianca et South African Airways de la Star Alliance, Alitalia et Czech Airlines de Skyteam ont déposé leur bilan.

Aides d'Etat

Alors que va-t-il se passer lorsque le transport aérien sera sorti de son marasme actuel dont il faut rappeler une nouvelle fois qu’il n’est pour rien dans la situation dramatique qu’il traverse ? Il va ressortir avec à peu près le même nombre de transporteurs et ce n’est pas une mince performance. Cette résilience s’explique d’abord par les efforts des compagnies pour ramener leurs charges à des niveaux jamais envisagés, mais aussi, en grande partie, par le soutien des états qui ont considéré que leurs transporteurs aériens représentaient un facteur d’indépendance et de puissance indispensable au prestige de leurs pays. Les pays qui le pouvaient, essentiellement les Américains et les Européens, ont donc massivement soutenu leurs compagnies nationales. En Europe, chaque pays a aidé sa propre compagnie sans se préoccuper qu’elle appartienne ou non à un groupe. Se pose alors la question de la survie de ces grands ensembles alors que chaque pays a payé pour son transporteur et surtout pas pour la prospérité du groupe. Il serait curieux que les compagnies soutenues - et même, dans certains cas, nationalisées - pour leur survie, ne cherchent pas à récupérer leur indépendance.

Nouvelle ère

Je fais le pari qu’au lieu d’une consolidation très difficile car aucun transporteur ne disposera des moyens nécessaires au rachat de concurrents, on va plutôt s’acheminer vers une nouvelle atomisation du transport aérien. Cela ne devrait d’ailleurs pas changer fondamentalement son organisation commerciale voire opérationnelle car les accords commerciaux peuvent très bien survivre aux modifications capitalistiques.

Par contre, les règles de la concurrence débridée seront vraisemblablement revues sous la pression des états qui voudront avec leurs moyens administratifs, défendre les compagnies qu’ils auront été amenés à contrôler contre les concurrents avides de prendre des parts de marché. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que les tarifs augmentent sous la pression puissante du lobby écologique.

Une nouvelle ère s’ouvre. Après une première période glorieuse de construction du transport aérien qui s’est étalée entre 1945 et 1978, puis une deuxième d’une expansion effrénée sous l’effet de la libre concurrence, nous allons entrer dans une forme de libéralisation contrôlée. Mais quoi qu’il en soit, cela ne pourra pas mettre en cause l’utilité du transport aérien.