La compensation carbone, un outil vraiment efficace contre le réchauffement climatique ?

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Les programmes de compensation carbone avaient la cote auprès des compagnies aériennes, se vantant de financer des projets vertueux pour l’environnement et les pays en voie de développement. Méthodologies opaques, résultats difficilement quantifiables, la compensation carbone permet-elle réellement de réduire l’empreinte environnementale d’une entreprise ou parle-t-on uniquement de greenwashing ? Certaines s’interrogent. 

Planter des arbres ou reverser une partie de ses revenus à des organismes environnementaux va-t-il nous permettre de sauver la planète ? Pour certaines compagnies aériennes, les programmes 0 émission sont devenus en l’espace de quelques années un atout majeur en matière d’objectifs RSE mais aussi (surtout) de communication. Et la première pratique que l’on associe souvent à du greenwashing est la compensation carbone. La compensation carbone, qu’est-ce que c’est ? Un mécanisme qui vise à permettre à des entreprises, plus ou moins polluantes, de « compenser » leurs émissions de CO2 en finançant des projets environnementaux qui, eux, participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces projets, dont la plupart sont réalisés dans des pays en voie de développement, sont ensuite mesurés pour obtenir des « crédits carbones » qui eux-mêmes peuvent être utilisés puis valorisés sur des rapports RSE. Et il existe deux systèmes de compensation carbone : l’un est lié au protocole de Kyoto et engage les Etats qui y ont souscrit ; l’autre est le marché des compensations volontaires, dont tout un chacun peut décider d’être acteur.

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Des méthodes de calcul contestées

Le problème aujourd’hui est que les indices de mesure en matière de compensation font débat. Les calculateurs de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ou de la DGAC, par exemple, ne prennent pas en compte l’âge de l’avion ou son taux de remplissage. La compensation carbone est avant tout, rappelons-le, un système marchand. En moyenne, une tonne de CO2 équivaut à 4,70 dollars mais la fourchette varie entre quelques centimes et plusieurs dizaines de dollars. Comment les « vendeurs » de crédits carbones définissent alors la valeur exacte d’une tonne de CO2 ? En 2009, un rapport publié par Les Amis de la Terre critiquait la faiblesse des garanties de baisse des émissions proposées en échange de droits à polluer et posait la question : ces projets auraient-ils pu exister sans la compensation ? Planter 3 arbres pour compenser un aller-retour à San Francisco a-t-il eu un impact réel sur la déforestation ?

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Chez easyJet, la compensation carbone a été tout bonnement supprimée de la nouvelle feuille de route qui fixe les objectifs de réduction du CO2 de la compagnie, qui préfère miser sur la technologie, dont le renouvellement de sa flotte. Chez Air France, le programme de compensation n’est plus pris en compte pour atteindre les -30% d’émissions de CO2 d’ici à 2030, comparé à 2019 : « Nous voyons ça comme un programme additionnel, en complément des actions de réductions effectives des émissions », déclare le groupe. En gros, on doute de son efficacité réelle mais ça ne peut pas faire de mal.

Contribuer plutôt que de vouloir compenser

Pour Julien Etchanchu, spécialiste des questions environnementales dans le cabinet de conseil Advito (filiale de BCD Travel), un mauvais programme de compensation carbone peut, au contraire, faire plus de mal que de bien : « On arrive à des situations où il y a des pressions au niveau local sur des terres agricoles pour pouvoir y planter des arbres pour compenser les émissions de certaines entreprises par exemple. » D’ailleurs, selon la Commission Européenne, 85% des projets n’aboutissent pas à des réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Le Cabinet de conseil spécialisé sur la stratégie bas-carbone et l’adaptation au changement climatique, Carbone 4, parle de « contribution » plutôt que de « compensation » dans son programme Net Zero Initiative (NZI). « On ne peut pas annuler une mauvaise action. Quand on pollue, on pollue. Un produit neutre en carbone cela n’existe pas, c’est du non sens et la loi interdit désormais d’utiliser ce terme. Alors oui, il faut continuer de financer des projets, mais cela ne dispense pas les entreprises polluantes de mettre de véritables initiatives en place », ajoute Julien Etchanchu.

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La compensation carbone n’est donc pas un outil contre le changement climatique mais a le mérite d’engager une certaine dynamique sur la question des enjeux environnementaux. Pour Julien Buot, Directeur d’Agir pour un Tourisme Responsable (ATR), l’important est de se mettre dans une trajectoire de réduction d’émissions et de disposer de crédits carbones certifiés : « Il faut qu’ils soient évalués sérieusement ». Il rappelle également que ces programmes permettent, au-delà des questions environnementales, d’accompagner des pays en développement sur des projets précis.

3 scénarios possibles pour le transport aérien 

Selon le dernier rapport publié par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), les scénarios pour accélérer la transition écologique du secteur ne sont pas nombreux. En réalité, ils ne sont même que 3 : 

  • La « Rupture technologique », avec des investissements importants réalisés dans la recherche et la construction aéronautique (avion à hydrogène notamment) ainsi que dans la production de Carburants d’Aviation Durables (CAD), afin de conserver une croissance du trafic aérien ;
  • La « Modération du trafic », qui mobilise à la fois des mesures de sobriété pour stabiliser le niveau de trafic aérien et un développement important de l’usage des CAD, visant à minimiser les émissions cumulées entre 2020 et 2050 et à réduire nettement les émissions d’ici à 2030 ; 
  • Le « Tous leviers », qui mobilise l’ensemble des leviers à un degré moindre que dans les deux premiers scénarios, afin de réduire les risques et les coûts liés au recours à des technologies de rupture, ainsi que les impacts socioéconomiques des mesures de modération du trafic.

Selon cette étude, ces scénarios permettraient de réduire de l’ordre de 75% les émissions de CO2 des vols au départ de la France d’ici 2050. Or, la majorité des compagnies aériennes visent et communiquent sur une neutralité carbone cette année là. L’avenir nous dira qui a visé juste et qui a été trop ou peu ambitieux…