Air France, pendant que les médecins discutent, le malade s’affaiblit

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On échappera peut-être à une nouvelle grève des personnels d’Air France. De toutes façons, la compagnie binationale ne se relèverait certainement d’un nouveau conflit social dur. Donc tout le monde discute et d’abord à l’intérieur de l’entreprise. Sauf que les discussions semblent avoir lieu en petits conclaves : la direction d’un côté et les syndicats de l’autre. Faut-il solder Transform 2015 ou faut-il aller directement à Perform 2020 ? L’imagination quant aux appellations des différents plans est quasiment infinie. Mais est-ce le sujet ?

Si j’en crois les comptes publiés par le groupe Air France/KLM, d’ailleurs faciles à consulter sur internet, le dernier exercice profitable remonte à … 2008, avec cette année-là un profit de 775 millions d’€, ce qui était tout à fait honorable. Mais depuis tout s’est dégradé et la dégringolade est impressionnante : 2009 : -807 millions d’€, 2010 : - 1.560 millions d’€, 2011 : - 805 millions d’€, 2012 : -1.187 millions d’€, 2013 : -1.818 millions d’€ et 2014 : - 189 millions d’€. On me pardonnera cette avalanche de chiffres du résultat net du groupe tel que publié dans ses comptes, mais ils font bien comprendre la réalité. 

En fait de 2009 à 2014 soit 6 exercices, Air France/KLM a perdu 6.360 millions d’€ soit 2,90 millions d’€ par jour ou 120.830 € par heure, nuit et jours week-ends et jours fériés inclus. Comment arrêter cette descente infernale ? L’affaire est d’autant plus délicate que le premier semestre de 2015 montre des résultats tout aussi décevants : 637 millions de pertes contre 619 millions en 2014. Cela fait tout de même encore 3,5 millions d’€ par jour ou un peu plus de 145.000 € par heure.

On comprend bien l’inquiétude des dirigeants. Pour maintenir un niveau de cash nécessaire à la marche courante de l’entreprise, la compagnie a levé plusieurs centaines de millions d’€ d’obligations convertibles, procédé à de très gros emprunts bancaires et vendu ce qui pouvait l’être. De sorte que, même si les résultats d’exploitation s’améliorent, les comptes resteront durablement plombés par les coûts financiers et le remboursement de l’endettement.

Et pendant ce temps-là, les pilotes se demandent s’il faut solder les résultats attendus de Transform 2015 ou aller directement à 2020. Il y a le feu à la maison et les responsables syndicaux regardent ailleurs. Faut-il ou non laisser Transavia de développer ? Faut-il ou non améliorer la productivité ? Et la direction semble également désemparée. Comment regagner les milliards d’€ qui manquent dans les caisses. Comment remonter le niveau de la recette nette puisque l’explication des mauvais chiffres du premier semestre est un niveau de recette insuffisant ? Comment continuer à perdre de l’argent avec un coefficient de remplissage de plus de 83% alors que la compagnie devrait être profitable à 75%.

Je regardais dernièrement le film « Grounding » dont le sujet est la fin de Swissair. Certes, les temps sont différents et certains fondamentaux ont changé. Certes, à l’inverse des dirigeants Suisses de l’époque, la direction du Groupe Air France/KLM n’a jamais caché les vrais résultats, de sorte que personne ne pourra dire qu’il n’est pas au courant. Mais enfin, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. A ne pas voir que la concurrence existe et que les clients ont maintenant le choix on s’expose soit à voir sa clientèle partir vers les autres transporteurs, soit à devoir acheter son attachement à coups de rabais et de dégradation de la recette qui alors, ne couvre pas les coûts.

Il est temps, grand temps, qu’Air France/KLM revoit de fond en comble sa stratégie. Ce qui a fait sa prospérité : le hub et le « yield management » est en train de tuer la compagnie. Mais pour le moment ce sont des dogmes auxquels il ne faut surtout pas toucher. On m’explique que l’alimentation du long courrier par le réseau européen est la seule façon de rendre rentable les vols à longue distance. Certes, mais à quel coût ? Non seulement les passagers ramassés en Europe ne paient pas leur trajet européen, mais de surcroît, ils ont une décote sur l’international. Et puis force est de reconnaître que la centralisation tarifaire a enlevé toute autorité aux responsables des marchés alors que la proximité avec les clients devrait permettre à ces derniers de fixer le bon prix de vente. Dans le passé, les directeurs de pays avaient des quotas et ils étaient responsables de leurs résultats. Que peuvent-ils faire maintenant ?

Faute de révision complète de sa stratégie, le Groupe Air France/KLM n’échappera pas à une très forte attrition, comme celle conduite en son temps à British Airways par Rod Eddington qui avait vu une rétractation de 30% de la compagnie. Mais la Grande Bretagne n’est pas la France.

Jean-Louis BAROUX