Les transporteurs low costs signent-ils la fin des hubs traditionnels ?

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En dépit de toutes leurs savantes analyses, les compagnies traditionnelles européennes ont d’abord été violemment attaquées par les « low costs » sur leurs courts courriers, et maintenant sur les longues distances. Leur réaction consiste à copier un modèle qui certes leur fait du mal, mais dont elles ne maîtrisent pas les fondamentaux. Le but affiché est d’aligner les prix de vente sur le moins disant, mais ce faisant, elles ne peuvent pas couvrir leurs coûts.

Alors la plupart des grands transporteurs se lancent dans la création ou le rachat de leurs ennemis déclarés. C’est ainsi que le groupe IAG a pris le contrôle de Vueling en faisant monter en passant le CEO de la filiale catalane à la tête de la compagnie drapeau British Airways. Dans la même veine, Lufthansa transforme une compagnie classique régionale Eurowings en « low costs » long courrier. De son côté, le groupe Air France/KLM tente de développer et de rendre rentable sa compagnie à bas coûts, Transavia, laquelle est d’ailleurs divisée en une branche néerlandaise et une branche française, et dans le même temps se donne l’objectif de créer un nouveau transporteur baptisé pour l’instant « Boost » dont on peut imaginer qu’il va déboucher sur du long courrier.

On voit bien la difficulté majeure à laquelle sont confrontés tous les transporteurs traditionnels : trouver une arme rentable pour contrer les assauts des Ryanair, EsayJet, Norwegian et j’en passe. Seulement cela consiste à résoudre la quadrature du cercle. Les contraintes sociales sont tellement prégnantes dans ces compagnies qu’il est pratiquement impossible de faire cohabiter dans un même ensemble des personnels employés sur des bases différentes. Comme le dit justement Marc Rochet, "Aucune chance de réussir sans partir d’une feuille blanche". Et les salariés montrent leurs capacités de blocage. La dernière grève de Lufthansa en est un bon exemple.

Mais on pourrait pourtant faire autrement ? Au lieu de considérer les compagnies « low costs » comme des ennemis, pourquoi ne pas s’en faire des alliés ? L’exploitation actuelle des grandes compagnies est articulée autour des « hubs ». Cette conception date maintenant de plus de trente ans et depuis, les appareils ont singulièrement évolué, dans le bon sens. Ils sont devenus plus performants et moins consommateurs de carburant. D’un autre côté, le « hub » est créateur de contraintes fortes : mauvaise utilisation des plateformes aéroportuaires qui doivent être dimensionnées sur les pointes de trafic et qui sont pratiquement vides en dehors des vagues de correspondance, et faible utilisation des appareils courts courriers dont la programmation est reliée à l’alimentation des longs courriers. Et dans le même temps, les recettes utiles se dégradent car les compagnies traditionnelles doivent ramasser leur clientèle dans des pays éloignés de leur base de correspondance et cela a un coût élevé.

Voici un exemple pour illustrer le propos, pris sur le site d’Air France le 27 novembre à 10h55. Le meilleur tarif d’un Paris Chicago aller le 20 décembre et retour le 27 décembre en classe économique est de 1.229€ mais le Milan Chicago aux mêmes dates et dans la même classe tombe à 864€, soit un écart de 365 €. Autrement dit, non seulement le Milan Paris ne rapporte aucune recette, mais il coûte 365€ soit plus cher que le tarif habituel d’EasyJet. Pour un Milan Paris CDG et retour aux mêmes dates sur des vols en correspondance avec ceux d’Air France, le prix Easyjet est en effet de 66,37€.

Alors on peut se poser la question : pourquoi ne pas laisser l’alimentation des « hubs » des grands transporteurs aux compagnies « low cost » ? Bien entendu,on me répondra que cela n’a pas de sens, que les passagers sont enregistrés de bout en bout si les vols sont opérés par la même compagnie et que la qualité de service est incompatible entre deux transporteurs à philosophie différente. Mais au fond, je ne vois pas où seraient les impossibilités. D’abord pourquoi ne pas passer des accords « interline » avec les low costs ? Ces derniers sont tous en train de migrer vers les GDS ce qui permettrait de signer les conventions appropriées. De plus, et c’est au moins le cas pour EasyJet, Vueling, Norwegian et beaucoup d’autres, les compagnies « low cost » opèrent maintenant à partir des grands aéroports. Il devient alors possible de prendre en compte les passagers en correspondance et de les traiter tout aussi convenablement. Après tout, si les clients sont assurés d’un service transfert de qualité, je ne vois pas pourquoi ils n’accepteraient pas d’utiliser deux transporteurs, fussent-ils de nature différente. D’ailleurs les compagnies traditionnelles ne se privent surtout pas d’utiliser plusieurs transporteurs dans le cadre de leurs alliances.

L’affaire est entendue : les compagnies traditionnelles ne pourront pas tuer les « low costs », mais si elles veulent survivre à leur offensive, elles ont tout intérêt à s’en faire des alliés plutôt que des ennemis.

Jean-Louis BAROUX