Où l’on reparle des difficultés de Lufthansa

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On n’y était plus habitué, mais les salariés français de Lufthansa se sont mis en grève pendant le week-end dernier. Comment expliquer cela dans une société pourtant vantée pour la qualité de son dialogue social ? Tout simplement par la peur. Pendant des années, la compagnie allemande a mené avec orgueil une politique de conquête ambitieuse du continent européen. Elle a successivement racheté Swiss, qui avait pris la suite de la défunte Swissair, Brussels Airlines, Austrian Airlines, Air Dolomiti et même l’anglaise BMI. De quoi créer un ensemble puissant, bien positionné au cœur de l’Europe.

Par voie de conséquence, les salariés de la compagnie se sentaient bien dans leur peau, fiers de leur marque et confiants dans l’avenir. Mais les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Le management d’un ensemble si vaste et d’ailleurs de cultures différentes est devenu complexe et surtout très onéreux. Il a donc bien fallu tailler dans les coûts. D’abord, et cela était sage, le transporteur allemand a revendu BMI à son concurrent britannique, le groupe IAG. Voilà au moins un foyer de pertes qui disparaissait pour « enrichir », si le mot peut s’y prêter, le transporteur anglais.

Mais cela n’a pas suffi et fallait encore faire baisser les charges. Alors, Lufthansa a taillé dans les effectifs et de manière brutale : 3500 surpressions d’emplois annoncées en début 2013 et le passage d’une grande partie du réseau domestique allemand et même européen dans les mains de Germanwings rachetée pour l’occasion.

Alors les salariés ont commencé à prendre peur. Pour sauver l’entreprise, ils ont compris qu’ils allaient être sacrifiés. Et ils n’aiment pas cela du tout. C’est ainsi qu’à l’annonce que l’escale de Charles de Gaulle allait être sous-traitée, ils ont déclenché une grève dure. Il y a d’ailleurs peu de chances que cela fasse revenir la direction de la compagnie sur sa stratégie. Mais alors il faudra que les dirigeants de Lufthansa réussissent le pari de faire voisiner dans un même ensemble, des compagnies et des salariés à statut différent. Tous les transporteurs traditionnels ont tenté la manœuvre. British Airways a échoué avec la tentative de GO. Air France /KLM a toutes les peines du monde à faire monter en charge Transavia sur le réseau domestique et proche européen. Iberia Express n’est pas ce que l’on peut appeler une réussite. Les allemands vont-ils réussir là où tous les autres ont échoué ? Aéroflot, elle-même annonce la création de sa compagnie « low cost », mais la gestion sociale en Russie est sans doute plus simple que celle que les compagnies occidentales doivent affronter.

Et les difficultés de Lufthansa ne s’arrêtent pas là. On a appris la semaine dernière que l’accord de « code share » entre le transporteur allemand et Turkish Airlines avait été dénoncé. Cela signifie à tout le moins qu’un tel contrat n’empêche pas une concurrence féroce et que l’appartenance des transporteurs à une même alliance ne protège pas les marchés contrairement à ce que l’on veut bien nous laisser sous-entendre. En fait on se rend compte de tout ce qu’il y a d’artificiel dans cette pratique de « code shares » laquelle s’apparente, il faut bien le dire et le rappeler à toute occasion à une sorte d’escroquerie. Cela consiste à vendre sous une marque ce qui est produit par un autre prestataire de services.

Est-ce que, au fond, la sagesse ne consisterait pas à revenir à des tailles de compagnies raisonnables et contrôlables ? Ces grands groupes ne sont même pas capables de maîtriser leur concurrence et pourtant ils sont bien construits pour cela. Pour le moment et tant que IATA n’aura pas pris une action forte pour contrôler la dérive des prix vers le bas, rien ne protège les compagnies fussent-elles énormes contre des tarifs prédateurs.

Alors, en attendant, on assiste à une sorte de casse sociale plus ou moins atténuée par les stratégies des transporteurs. Ainsi Air France paie cher un plan de départs volontaires alors que d’autres compagnies font tout bêtement des plans de licenciement. L’exemple américain est à cet égard ce que l’on peut faire de plus brutal.

Et pour couronner le tout Lufthansa perd son président Christoph Franz qui a jugé plus intéressant de s’occuper de Roche, le grand laboratoire pharmaceutique. Décidément les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules.

Jean-Louis BAROUX