Peut-on s’opposer réellement à la vague low cost ?

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Dans les années 1990, il était clair pour les compagnies européennes traditionnelles que le phénomène « low cost » qui s’implantait vigoureusement aux Etats Unis, n’aurait aucune chance de voir le jour dans notre continent. Sa géographie, le nombre de pays et la puissance des grandes compagnies ne le permettraient pas. En foi de quoi les transporteurs ne s’y sont pas préparés alors que tout était annoncé, voire même prévu.

Dans les années 2000, les compagnies à bas coût ont commencé à déferler dans nos pays. Certes, cela n’a pas été facile mais le « ciel ouvert » européen leur a permis de s’installer sans que les états, garants de la bonne santé de leurs compagnies nationales respectives ne puissent s’y opposer. Ils en ont été réduits à contrôler les accès aux grands aéroports en gérant les « slots » de façon malthusienne. Ce faisant, ils n’ont servi ni les compagnies qu’ils étaient censés protéger, ni les clients, ni même l’économie en général car plus il y a de déplacements et plus la richesse s’accroit.

Ne pouvant plus nier l’arrivée de ce nouveau mode de transport aérien, les compagnies ont copié le modèle avec plus ou moins de succès. En fait comme le dit l’adage, « on nait « low cost », on ne devient pas ». Et les grandes « legacies » européennes ont créé ou mis la main sur une de ces nouvelles compagnies, là encore avec plus ou moins de bonheur. Pour une réussite indéniable comme Vueling, maintenant dans le giron de IAG dominé par British Airways, combien d’échecs ! Et dans tous les pays. En Italie, Air One n’a pas résisté au désastre d’Alitalia nouvelle mouture, Go initié par British Airways en Grande Bretagne a dû être cédée à EasyJet, Air Berlin n’a jamais pu gagner vraiment de l’argent et la compagnie est entrée dans le panier d’Etihad Airways, et hormis Norwegian qui fait tranquillement son trou en Europe du Nord et Pegasus en Turquie, il n’y a pratiquement aucun succès en Europe de l’Est.

Mais une vérité était gravée dans le marbre. Le « low cost » peut avec quelques chances réussir sur du court courrier, mais en aucun cas sur de longues distances. En fait, cette vérité auto proclamée par toujours les mêmes grands transporteurs européens les arrangeait bien. Cela leur évitait de devoir repenser leur modèle de gestion du long courrier comme ils ont été conduits à le faire pour le court courrier. Et tout ce beau monde de prendre l’exemple d’Air Asia X qui a dû arrêter son exploitation entre Orly et Kuala Lumpur au bout d’un an d’exploitation.

Or voilà que Lufthansa, elle-même, va se lancer dans le « low cost » long courrier. On a appris la semaine dernière que le conseil d’administration de la compagnie allemande avait donné son feu vert au projet « Wings ». Il s’agit d’une affaire d’envergure. C’est le regroupement de Germanwings et d’Eurowings qu’il est prévu de développer sur le long courrier avec la mise en service de 7 A 330-200 pour opérer des vols transcontinentaux. Voilà qui va faire bouger les lignes. Il ne s’agit plus seulement d’une extension à minima des vols européens sur le transatlantique comme le fait Norwegian, mais bien d’une opération internationale de grande importance. Et très curieusement Lufthansa va s’allier avec la compagnie turque SunExpress, une co-entreprise créée entre le transporteur allemand et Turkish Airlines. On a l’impression de rêver après les violentes diatribes assénées par Lufthansa à l’encontre de la compagnie ottomane accusée de piller la clientèle allemande.

Il n’y a pas de raison pour que ce projet ne voie pas le jour. Mais alors cela signifie que même les plus traditionnels transporteurs européens se convertissent au « low cost » long courrier. Il y aura certainement des conséquences sur la stratégie des autres grands groupes européens que ce soit IAG ou Air France/KLM. L’un et l’autre vont devoir eux aussi se positionner. Le groupe anglo-espagnol peut avoir dans son viseur Pullman transporteur long courrier à bas prix et Air France pourrait être bien inspirée de regarder du côté de XL Airways. La compagnie française a un indéniable savoir-faire pour produire des sièges transcontinentaux à faible coût et elle se trouve dans une situation où le dirigeant accepterait probablement un partenariat avec Air France sur un tel projet, à la condition de garder un semblant d’indépendance.

Les cartes long courrier vont être rebattues en Europe. Le temps de l’imagination est venu.

Jean-Louis BAROUX