Pierre Descazeaux, Air France : «La légère baisse de fréquentation des classes avant n’est pas dramatique»

139

En prenant il y a quelques mois la direction générale des ventes France, Pierre Descazeaux, membre du Comex, porte un regard fort sur les évolutions du transport aérien, que ce soit pour Air France et ses partenaires comme pour les concurrents mondiaux. Pour ce spécialiste du transport aérien, entré en 1979 au service économique d’Air France, les années d’expérience acquises sur le terrain lui permettent d’analyser les évolutions commerciales du groupe.

Son dernier poste en Afrique et au Moyen orient lui a appris la valeur du temps mais aussi que le réalisme et l’évolution sont deux qualités essentielles pour faire évoluer les offres. «On ne se développe pas dans un pays sans y mettre de la volonté, sans faire des efforts et sans amélioration permanente du prouit», remarque Pierre Descazeaux. Son parcours au sein d’Air France est une succession de postes à responsabilité que ce soit en Europe comme au Moyen Orient, aux Antilles ou en Guyane. D’autant que celui qui a été Directeur des ventes affaires de la compagnie de 1994 à 1997 a aussi assuré, de 1988 à 1992, le poste de chef du cabinet du Président. Un parcours riche, vécu à l’intérieur comme à l’extérieur, qui lui donne du recul face aux événements. «Ce qui est certain en analysant le passé, c’est que l’on voit ce qui a réellement évolué et que l’on ressent mieux ce qui doit faire avancer son travail quotidien», explique Pierre Descazeaux qui refuse toute vision manichéenne de l’offre d’Air France. «La compagnie nationale est souvent leader sur son propre marché géographique», souligne l’homme de l’art, «Il est donc naturel qu’elle soit en première ligne lorsqu’il y a des problèmes. Mais si vous regardez bien, le volume de voyageurs transportés parle pour nous. Il faut savoir faire la part des choses sans arrogance, ni orgueil. Notre mission de tous les jours est de satisfaire le client». Rencontre avec celui qui gère aujourd’hui le premier marché d’Air France, l’Hexagone.

DéplacementsPros.com : Comment se situe aujourd’hui le marché des classes «avant» ?

Pierre Descazeaux : Air France, comme toutes les compagnies européennes a constaté un lent recul des classes business, recul principalement lié aux restrictions mises en place dans les entreprises. Cette décroissance est loin d’être forte, à peine 2 ou 3%. Il faut cependant tempérer ce constat car nous voyons apparaitre sur les marchés américains ou asiatiques une petite reprise de l’activité économique qui conduit les entreprises à revenir à la business. Globalement, face à la concurrence, Air France se positionne plutôt bien.

Bien évidemment, nous constatons des changements dans les habitudes de voyage des entreprises. L’accès à la classe affaire est souvent réservé à des voyageurs très longs courriers qui vont rester relativement peu de temps sur place. Sur un vol de moins de quatre heures, les sociétés font un autre choix de classe et adaptent leur politique voyages à la nature même du déplacement professionnel. Je dirais, pour conclure sur ce sujet, qu’il n’y a pas de grignotage des classes avant chez Air France mais une adaptation réfléchie de la conjoncture économique aux déplacements professionnels.

DéplacementsPros.com : Air France plus cher que ses concurrents, l’affirmation vous agace ?

Pierre Descazeaux : C’est le petit bout de la lorgnette de la réalité du marché. L’un des objectifs majeurs de la compagnie a été de faire évoluer le produit pour le positionner parmi l’un des meilleurs au départ de l’Europe. Nous avons développé de nouveaux services, adapté nos équipements aux attentes des voyageurs et engagé une course permanente à la qualité pour faire face à une concurrence de plus en plus présente. Nous le disons très clairement il y a une place à prendre dans le marché concurrentiel mondial. Air France veut l’occuper. On ne présente pas un nouveau siège, qu’il soit business, Première ou Premium, sans prévoir autour un ensemble de services pour nos voyageurs. Que ce soit dans les airs ou au sol. Dans les nouveaux salons ou avec les nouvelles propositions technologiques offertes à nos clients. Lorsque l’on parle de prix, on doit parler également de positionnement culturel.

Air France est leader sur son marché français, comme la Lufthansa en Allemagne où British Airways en Angleterre. Nous avons mis en place des offres tarifaires liées aux fréquences et à la disponibilité attendue par les voyageurs. C’est un vrai service que personne d’autre ne propose au départ de Paris. Cette adaptation de l’offre à la demande s’est construite autour des besoins des voyageurs, que ce soit sur le court, le moyen ou le long courrier.

C’est vrai que dans la vie de tous les jours l’ouverture ou la fermeture des classes tarifaires fera bouger les prix d’une heure à l’autre mais ces évolutions vont prendre en compte notre capacité à offrir de la flexibilité ou de la disponibilité à des heures très demandées. Trouver un bon prix ne suffit pas, il faut aussi qu’il corresponde à ses besoins de voyager. Je précise aussi que, dans bien des cas, nos tarifs sont inférieurs aux prix pratiqués par les low cost sur certaines destinations. Mais pour exemple, il n’y a pas de points communs entre nos 27 vols par jour vers Toulouse et les 6 de nos confrères d’EasyJet.

DéplacementsPros.com : Pourquoi ne faites-vous pas plus de promos sur les billets Air France ?

Pierre Descazeaux : Nous en faisons, mais nous préférons privilégier le early booking plutôt que la promotion de dernière minute qui énerve nos clients car ils ont acheté plus cher un billet d’avion que leurs voisins. En privilégiant les achats de première heure, Air France reste conforme à sa vision du respect du client et confirme sa volonté d’être cohérente sur l’ensemble des destinations. De plus, quel que soit le canal de distribution, et à l’exception de quelque possible mouvements, les prix sont identiques sur l’ensemble des canaux que nous occupons. C’est essentiel pour nous que cette image ne soit pas polluée par des promotions qui pourraient sur le moment satisfaire les clients mais également en décevoir beaucoup.

DéplacementsPros.com : Comment regardez-vous le marché Corporate français ?

Pierre Descazeaux : Nous travaillons aujourd’hui avec quelques centaines d’entreprises avec qui nous avons des contrats établis pour leur permettre de voyager au meilleur prix sur les destinations qu’ils fréquentent le plus. Il faut savoir qu’annuellement, sur le long-courrier, Air France transporte environ 2 millions de passagers en business class et en Premium. Cela veut dire que nous avons mis en place des structures tarifaires au sein des entreprises qui s’appuient sur la fidélisation de leurs voyageurs tout en optimisant leurs dépenses en matière de déplacements professionnels. Aujourd’hui nous avons environ 2000 personnes qui interviennent dans l’univers commercial d’Air France. Plus de 60 % sont sur les call Center pour répondre à la demande de nos clients et 150 attachés commerciaux sont sur le terrain pour visiter les entreprises et adapter notre offre à leurs besoins. J’ajoute à ces chiffres une centaine de personnes qui vont aider les agences de voyages à optimiser leur offre et à mieux vendre le produit Air France.

DéplacementsPros.com : La Premium semble avoir trouvé un vrai public, est-ce le constat que vous faites ?

Pierre Descazeaux : A l’évidence cette nouvelle classe correspondait au moment où elle a été lancée à une attente de la part de nos clients. Elle propose un vrai service aux voyageurs et cela à des tarifs inférieurs aux classes avant, qui étaient parfois jugées trop chères par les entreprises. La qualité du service proposé à bord de la Premium, associée aux différents avantages au sol, sont des points très appréciés par les clients qui ont immédiatement adopté l’offre et qui pour beaucoup en sont très contents.

DéplacementsPros.com : qu’en est-il du partenariat avec Etihad ?

Pierre Descazeaux : Je ne pourrais vous parler que de la vision commerciale au départ du marché France. Etihad nous apporte des solutions concrètes au-delà d’Abu Dhabi, comme par exemple la desserte de l’Australie. Il s’agit de relations commerciales intelligentes, ni conflictuelles ni communes dont l’avantage est rapidement perceptible par les clients qui veulent se rendre sur des destinations que ne couvre pas Air France. Nous avons également, il me semble important de les citer, des relations commerciales fortes par l’intermédiaire de joint-venture avec nos amis chinois de China Southern et de China Eastern qui répondent aux besoins de capacité vers des destinations comme Canton ou Shanghai. Tous nos partenariats sont construits pour répondre aux attentes de notre clientèle. Ce sont autant d’atouts pour proposer des solutions concrètes aux voyageurs.

DéplacementsPros.com : Air France, Hop!, Transavia, ne trouvez-vous pas que la multiplicité des compagnies nuit à la compréhension de l’offre ?

Pierre Descazeaux : Je ne le crois pas car Air France et Hop! sont des outils complémentaires avec la même vision de hub et l’exploitation de lignes qui, une fois de plus, correspondent aux attentes de nos clients. Air France exploite des appareils de grande capacité là où Hop! proposera des avions d’une centaine de places pour couvrir une demande où le trafic passager est un peu plus faible. Ce qui est certain, à l’exception de Transavia plus orienté vers l’univers du loisir avec un business modèle de low cost, c’est que nous avons le même niveau d’exigence en termes de qualité de service pour l’ensemble de nos compagnies aériennes. On a souvent le sentiment qu’il y a un manque de lisibilité dans l’offre alors qu’au contraire, il y a une complémentarité évidente. Je crois très sincèrement que si l’on peut bouger ou améliorer quelques curseurs dans cette offre, ce sera surtout pour mieux nous adapter aux clients qui, à ce jour, considèrent que cette répartition est plutôt bien adaptée aux besoins de leurs déplacements professionnels.

DéplacementsPros.com: Vous évoquez souvent l’amélioration de la qualité et des services, ne craignez-vous pas que vos clients deviennent particulièrement exigeants sur ce sujet?

Pierre Descazeaux: Face à une concurrence permanente sur le terrain, il est évident que toute amélioration proposée par une compagnie aérienne conduit les autres à s’interroger sur le bien-fondé ou non d’y souscrire. Mais je ne crois pas que la problématique du transport aérien se limite à un jeu de créateurs et de suiveurs, ce serait trop simple. Aujourd’hui, ce que nous appelons l’expérience client, doit être globale. Elle débute aussi bien à l’arrivée dans l’aéroport, que pour l’amélioration de la fluidité à l’embarquement ou lors de l’accès aux différents halls aéroportuaires. Nous avons travaillé par exemple avec Aéroports de Paris pour optimiser les accès numéro 1 et offrir aux voyageurs des salons particulièrement bien pensés. Il y a bien évidemment des efforts à poursuivre. Nous en sommes conscients et nous y travaillons.
Au-delà, je constate que la compagnie qui porte les couleurs du d’un pays est plus souvent que les autres la cible de critiques. Mais n’oublions pas qu’au départ de la France, nous transportons un très grand nombre de passagers vers un très grand nombre de destinations. Le tout, le plus souvent en vol direct ou via des hubs optimisés pour les voyageurs de province. Je suis désolé de le répéter, mais la satisfaction du client est essentielle dans le développement de notre offre commerciale.

Entretien réalisé par M. Lévy.