SNCF : difficile d’informer les clients

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Suite à notre édito "La SNCF sait compter, il faut qu'elle apprenne à parler", notre spécialiste du ferroviaire, appelons le PAT par souci de confidentialité, nous a fait parvenir son commentaire sur l'incident. Un regard affuté, que complète une grande expérience du domaine, pour mieux comprendre les mécanismes de cette désagréable affaire. Pour ce spécialiste du ferroviaire, il faut analyser les faits avec prudence.

SNCF : difficile d'informer les clients
Pas si simple. Déjà, dans les premiers instants d'un incident (jusqu'à 20 ou 30', davantage parfois bien que G. Pepy n’ait de cesse de promettre une annonce au bout de 5 à 10"), souvent les différents acteurs opérationnels ne savent rien. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas déjà activement mobilisés. Mais ils n'ont rien à dire car ils ne savent pas encore. Parfois, le temps de préparer l'annonce au micro, vous vous remettez en marche car ce n'était vraiment pas grave. Et pour annoncer que c'est sérieux et que ça va (sans doute ou éventuellement) durer, il faut d'abord savoir de quoi il en retourne. Par exemple, un train est immobilisé devant un signal d'arrêt absolu. Normalement la voie devrait être libre et le signal autoriser le franchissement. Pourquoi donc le signal est au rouge ou éteint (ce qui par sécurité est interprété comme un signal d'arrêt) ? Il va falloir chercher la raison, parfois même par une reconnaissance à pied d'œuvre. Une charrette de foin (ou autre chose) s'est peut-être couchée quelque part sur la voie ?

Ce qui par le jeu des contacts électriques est interprété comme une occupation de la voie. Normal, puisque c'est un obstacle. Mais que voulez-vous donner comme information aux voyageurs immobilisés tant que vous n'avez pas fait toutes les constatations ? Et si vous ne trouvez pas de raison apparente, cause de ce signal fermé, cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Cela veut dire que vous ne l'avez pas trouvée. Pas question de se remettre en marche comme ça sans appliquer des procédures très contraignantes puisque décidées en mode dégradé. La seule information disponible, et les voyageurs ne l'ignorent pas puisqu'ils la vivent, c'est qu'on est immobilisé depuis de longues minutes déjà, que ça dure... et qu'on ne sait pas combien de temps ça va encore durer ! Lorsqu'on aura une estimation du temps que ça va prendre à résoudre l'incident ou à mettre en œuvre une solution alternative, c'est que la situation sera en passe de redevenir sous contrôle, ce qui annoncera la fin de l'incident (ce qui ne permettra toutefois pas de récupérer le retard).

Avant ça, il est totalement vain de se hasarder à une estimation car ce ne serait guère fiable et ça serait surtout susceptible de rester très évolutif (autant d’ailleurs dans le sens d’un plus grand retard encore que d’une remise en circulation plus rapide). Autre exemple, l'accident de personne comme on le nomme à la Sncf. Traduisez par imprudence fatale d'un tiers qui s'est engagé dans les emprises ferroviaires ou, hélas plus fréquent puisque ça se produit tous les jours, un malheureux qui a mis ainsi fin à ses jours. Arrêt immédiat de la circulation à l'origine du choc mortel.... et de toutes celles qui suivent, bloquées derrière, voire également dans certains cas celles qui croisent (les deux sens donc). Et vous attendez quoi pour repartir ? Les secours sont sur place rapidement (encore que, il leur faut pouvoir accéder) mais vous devez attendre l'arrivée et la fin des constatations de l'Officier de police judiciaire. Celui-ci peut mettre deux heures à arriver tout simplement parce qu'il n'est pas dans son bureau à se tourner les pouces en attendant qu'on l'appelle éventuellement. Alors vous attendez. Notez qu’il va falloir vérifier sur quelle commune se trouve le corps. Question de compétence territoriale. Et quand l’autorité judiciaire est là, vous attendez qu’elle ait fini. Pas question de lui dire de se presser. Les voyageurs aussi attendent. Combien de temps faut-il leur annoncer qu'ils vont attendre ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Alors, avec l'expérience, vous dites deux heures. Avec un peu de chance, vous repartirez au bout de 1h30'. Sinon au bout de trois heures ou quatre heures ! Parfois c'est les pompes funèbres que vous attendez. Vous imaginez l'annonce à bord ? "Mesdames et Messieurs, (je passe tellement c'est sordide)...". Des exemples vécus comme ça, je pourrais en citer des dizaines.

Revenons à l'incident matériel, la panne certes rare mais que chacun sait inévitable (et tant pis pour le rendez-vous dont, plus il est important, chacun dans le monde des affaires aurait été bien inspiré d'intégrer à l'avance l'aléa, le contretemps ou la situation particulière qui peuvent se produire et contrecarrer la signature du contrat du siècle !). Les moteurs de traction ne tournent plus. Comme un automobiliste au-dessus du capot de son véhicule qui, contre toute attente, ne démarre pas vous tentez d'abord quelques investigations. Le temps passe vite. Tant que vous y restez c'est que vous avez encore de l'espoir. Annonce à bord : on est en panne mais on cherche. Quand on aura trouvé, si on trouve, on vous le dira. Si on ne trouve pas, on vous le dira aussi mais merci de bien vouloir patienter car il nous faut un peu de temps. Au bout d'un moment, quand vous avez mené à bien toutes les procédures de vérification prévues par le guide de dépannage (comme celui qui est dans la boîte à gants de votre voiture, mais en beaucoup plus complet car le conducteur n'est pas seulement conducteur, il est aussi mécanicien), parfois vous êtes en mesure de repartir. Annonce de satisfaction à bord ! Ou alors, vous êtes bien obligé de considérer que le convoi ne pourra pas être remis en marche de manière autonome. Et qu'il va falloir demander ce qu'on appelle "le secours". Déjà, depuis un moment, différents acteurs (vous ne les voyez pas et ne les entendez pas mais ils sont déjà tous mobilisés) envisageaient sans doute cette hypothèse. Mais pour choisir en toutes connaissances de cause la meilleure option parmi celles disponibles (s'il y en a dans l'immédiat), il faudra encore un peu de temps (et, dans le feu de l’action, ne pas se tromper !). Vous n'avez pas forcément une rame de secours avec son conducteur dans un périmètre proche. Il va falloir acheminer cette rame au départ d'un dépôt. Lui tracer un sillon horaire en urgence (avec la bonne volonté et le concours de RFF). Parfois c'est compliqué. Parce que d'autres convois immobilisés en cascade empêchent l'accès et qu'il va donc falloir d'abord s'occuper d'eux. Ou parce qu'il y a des travaux sur l'infrastructure qui puisqu'ils avaient été programmés ont été engagés en amont ou en aval. Des dizaines et des dizaines d'ouvriers, techniciens, ingénieurs, du matériel, des engins techniques qui ont parfois déjà commencé à retirer la voie... Vous ne remballez pas tout ça sur simple demande pour faire passer un train en retard. Il peut aussi y avoir des priorités à gérer. Annonce à bord : on a déjà 5 heures de retard, on n'est plus à une ou deux heures près, ça vous servirait à quoi d'arriver à destination à 3 heures du matin ? On va donc laisser passer les trains de fret dont les clients (le cas échéant de transporteurs ferroviaires autres que la Sncf) attendent leur livraison... au risque d'impacts économiques collatéraux non négligeables (il n'y a pas que les rendez-vous d'affaires !). Au fait, l'incident de la nuit du 3 au 4 avril avec un TGV bloqué dans un tunnel et pas mal d'heures de retard aussi. Le ministre (de l'époque), comme celui d'aujourd'hui, s'était déjà fâché. Il avait demandé une enquête.

Mais depuis je n'ai rien lu nulle part à ce sujet. Pour ma part, je sais ce qui s'est passé. Pas très glorieux d'ailleurs. C'est d'ailleurs pour ça qu'on n'en parle pas. Comme quoi, je ne prétends pas dire que la Sncf est parfaite. Mais sur la question de l’information à bord, il faut savoir en prendre son parti et admettre qu’en situation perturbée une information fiable ne peut être donnée que lorsque l’incident est déjà en passe d’être réglé.