SNCF, le responsable n’est pas forcément coupable

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Au lendemain de la publication du rapport Duron, notre chroniqueur ferroviaire a pris le temps de lire les 100 pages du document. Instructif et finalement assez réaliste, même si les critiques sont nombreuses.

Eh bien, c’était la fête à Guillaume Pepy ce 26 mai (sérieusement, c’était son anniversaire, 57 ans) ! La presse s’est déchainée :

- « Les trains sacrifiés de la SNCF » (Le Parisien),
- «  C’est une catastrophe ! » (Le Parisien citant le vice-président de la FNAUT)
- « Les élus au charbon contre la réduction des trains Intercités » (Libération),
- « Certaines villes ne seront plus desservies par la SNCF » (Bruce de Galzain, journaliste économique sur France Inter au journal de 8h00),
- « Colère de nombreux élus face à la politique de tout TGV de la SNCF » (France 3, Soir 3),
- « Les trains Corail fasse à la barrière de l’argent » (L’Alsace).

Le reste est à l’avenant.

Mais qu’a fait Guillaume Pepy ? Rien ! C’est peut-être ça qu’on devrait lui reprocher d’ailleurs.

L’objet du courroux médiatique ne devrait pas être le Président de la SNCF, ni davantage l’entreprise et les cheminots, mais le rapport  de la Commission chargée par le gouvernement de mener une réflexion sur l’avenir des Trains d’Equilibre du Territoire. Commission présidée par Philippe Duron (Député du Calvados) autour de parlementaires de « différente sensibilités » (sic). Rapport consensuel nous a-t-on dit, mais ça n’a pas l’air gagné dans l’opinion que font les médias !
 

Un rapport n’est pas la loi

Si on prend le temps de le lire, ce rapport (117 pages) n’est pourtant pas si excessif et radical et ce n’est  pas la pire expertise sur le sujet.

De quoi s’agit-il ? Des trains de la SNCF (puisqu’il n’y a qu’elle) qui ne sont ni TGV, ni TER.

TGV c’est censé équilibrer ses comptes, dégager de la marge. De plus en plus dur, de moins en moins rentable nous dit-on régulièrement. Même si ça chauffe aux  oreilles du voyageur, consommateur, usager, contribuable, ce n’est pas du service public au sens propre du terme mais une activité commerciale en concurrence avec les autres modes de transport. Avec les règles de la concurrence libre et non faussée. Les autorités européennes y veillent !

TER (ou Transilien en Ile de France qui est encore un cas à part), ce sont les trains régionaux. Les régions sont autorités organisatrices. Dans le cadre de leur budget, elles décident et passent commande à la SNCF. C’est souvent tendu question financement et facturation avec la SNCF.  Mais bon, le modèle est loué. Il devrait même servir de référence selon la commission Duron qui cite la Cour des comptes : « Un transfert de compétence qui a constitué un progrès incontestable… ».

T.E.T. – Train d’Equilibre du Territoire – c’est qui, c’est quoi alors ?

C’est le reste. Ce qui n’est ni TGV (le marché), ni TER (les commandes publiques des régions). Mine de rien, visuellement il n’échappe pas que la carte des relations se superpose avec les territoires les plus à l’écart des dessertes TGV. La double peine.

Des T.E.T. dorénavant exploités sous la marque Intercités. Quoiqu’une circulation siglée Intercités ne soit pas forcément et toujours un T.E.T. Certaines imputent au compte « grandes lignes, trains classiques » de SNCF Voyages. D’autres deviennent par conventionnement un (ou successivement plusieurs) T.E.R. sur une partie de leur parcours. Elle est bien loin, la SNCF une et indivisible.

Et qui décide, qui finance ces T.E.T. ? Eh bien, c’est l’Etat mais ce n’est pour l’heure qu’une autorité organisatrice « par défaut » comme le souligne le rapport Duron. « Par défaut »: lire que c’est loin d’être clair. Et de fait, le chemin de fer comme la nature ayant horreur du vide, c’est donc la SNCF qui pilote.

Retour à Guillaume Pepy qui n’en peut donc plus de ne recevoir en gros que 200 millions d’euros de subventions (financées à 97 % par une taxe sur les titres de transport TGV !) là où il en faudrait 400 pour équilibrer les comptes.

On ne s’étonnera donc pas, même si ça a été quelque peu démenti, que la SNCF ait préconisé de réduire sérieusement la voilure en présentant en quelque sorte le devis correspondant à l’euro près à ce qui est financé, pas moins mais pas plus. Elle ne fait pas autrement lorsqu’elle discute le bout de gras et le niveau de service avec une région. Jusqu’à présent, les deux parties sont toujours à peu-près tombées d’accord.

Pour 100 millions, on n’a plus rien…

Les conclusions de la commission Duron ne sont pas aussi drastiques que les vues prêtées à la SNCF. Dans un savant et périlleux exercice d’équilibre, retirant ici, ajoutant là, la commission jongle avec la baisse des coûts, l’augmentation de la fréquentation. L’apport supplémentaire de recettes passe aussi par l’amélioration du service. Du coup, dans un premier temps du moins, ça peut paradoxalement coûter un peu plus cher à produire. Mais, en croisant des doigts, la commission pense qu’il est possible de retomber sur ses pieds.

Les trains de nuit, par contre, sont dans le collimateur sans guère d’espoir de pouvoir les préserver ! La commission préconise clairement de sabrer. « Je souhaite que vous examiniez tour particulièrement la problématique des trains de nuit », avait d’ailleurs écrit le Secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, dans sa lettre de mission. Là-dessus, la messe semble dite.

Jusqu’à, l’un dans l’autre, atteindre finalement non pas l’équilibre mais un déficit ramené à 170 millions en 2025. 100 millions de plus (ou de moins, selon la manière dont on regarde l’affaire) que ce qui résulterait d’un scénario de contraction radicale de l’offre. Un effort qu’il serait légitime que l’Etat fasse, précise la commission.

Des opérateurs alternatifs ?

Un petit couplet aussi sur l’ouverture à de nouveaux exploitants. Chiche,  pense sans doute (assez fort) Guillaume Pepy. « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console » (attribué à Talleyrand, parfois à de Gaulle). Le problème de Pepy, c’est que pour l’heure, il n’a personne à qui se comparer.

Force est de constater que ces nouveaux entrants dont on entend régulièrement vanter les qualités supposées, on ne les voit pas venir. Peut-être parce que ce n’est pas si simple que ça et que c’est surtout potentiellement non rentable ! Ceci expliquant cela, ça ne se bouscule pas au portillon. Il ne s’agit même pas de bousculade. Qui connait quelqu’un ?

Drôle de coïncidence, un T.E.T. Intercités est resté en rade à Montpellier au retour de ce week-end de Pentecôte. Les voyageurs ont été acheminés le matin en TGV®. Si cet Intercités avait été opéré par une autre entreprise ferroviaire que la SNCF, aurait-il fallu aussi que SNCF/TGV® prenne à sa charge le sauvetage ? Une petite commission pour étudier le cas de figure ?

Francs-tireurs

« L’entreprise n’a pas vocation à continuer à supporter un déficit pour des trains où il n’y a personne », écrivait Le Parisien citant la SNCF. Oh, Guillaume Pepy n’a certainement jamais dit ça ! Mais qu’au sein de la SNCF il y ait des francs-tireurs qui pensent et agissent ainsi, c’est fort possible. Et potentiellement inquiétant. La commission Duron, elle, et quoiqu’on en dise, est davantage dans le discernement.

« Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ». C’était vrai sous Clémenceau puisqu’il l’a dit. Espérons qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas.

De tous bords (surtout quand on est dans l’opposition, c’est plus facile !) on entend dire que les dessertes d’équilibre du territoire doivent être sauvegardées, améliorées même. Qui a envie ou aurait le courage politique de se risquer à être contre ? Mais à condition qu’elles soient financées. Ne pas laisser la SNCF faire sa petite cuisine est une chose. Lui imposer d’assumer un déficit d’exploitation - tout en exigeant d’elle l’équilibre de ses comptes en la vilipendant pour ses mauvais résultats comptables - en est une autre.

Après cette mise en bouche qu’est le rapport Duron, il ne reste donc qu’à passer aux travaux pratiques. La convention d’exploitation actuelle, dont l’échéance a déjà été repoussée d’un an, s’achève le 31 décembre. Il sera donc juste temps (plus que temps) de prendre les décisions à l’automne. En plein pendant la campagne électorale des élections régionales. Ce qui ne va, hélas, pas aider !
 
Mais après tout, puisque la SNCF est à nous (non ?), il est somme toute assez normal que ce soit la population, les électeurs qui tranchent.
 
PAT