SNCF : pourquoi la grève du 10 juin pourrait bien durer !

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En ces jours de commémoration, la grève de la SNCF attendue le 11 juin se présente par certains aspects comme un D-Day ou Jour-J. Car cette fois-ci, sur le sujet de la réforme du système ferroviaire, ça passe ou ça casse selon notre chroniqueur ferroviaire. Attention, « Coup de Pat » !

Reprenons le calendrier : 13 juin 2013 (grève), 12 décembre 2013 (grève) - on peut aussi y ajouter le 9 octobre 2013 (journée d’action syndicale à l’échelle européenne) -, 22 mai 2014 (manifestation nationale des cheminots à Paris) : le projet gouvernemental de réforme « pour un service public efficace et de qualité » n’a de cesse de revenir sur le devant de l’actualité sociale.

Alors, le 11 juin une journée de perturbations de plus, qui sera vite oubliée jusqu’à la prochaine, surtout si elle n’est pas de plus grande ampleur que les précédentes ?

Pas si sûr, cette fois. D’abord, il ne s’agit plus seulement d’un appel « à la grève carrée » (comme disent les cheminots) - lire d’heure fixe à heure fixe pendant 24 heures, avec reprise immédiate quoique progressive du service - mais, selon le préavis de grève, d’une action « reconductible par période de 24 heures qui prendra effet le mardi 10 juin 2014 à 19 heures ».

Grève reconductible.

L’affaire est cette fois sérieuse. On ne dira pas grève «illimitée», la seule certitude étant qu’elle s’arrêtera bien même si les syndicats de cheminots ont plutôt l’habitude de «suspendre» leurs mouvements, manière de ménager à la fois ceux de leurs troupes qui voudraient en découdre davantage et de «savoir mettre fin» à un mouvement en tenant compte de multiples paramètres (l’opinion publique, pas toujours défavorable et hostile, se remémorer les phénomènes de «grève par procuration», le rapport de force, la mobilisation...). Une mécanique et une expertise bien rôdées. Décembre 1986 (29 jours), mai 1993 (3 jours, seulement !), novembre 1995 (22 jours), octobre 2007 (6 jours), novembre 2007 (10 jours) – inventaire incomplet ne concernant que les mouvements nationaux d’ampleur -.

Un préavis de trois pages.

Dans le préavis légal déposé par la CGT et SUD, trois pleine pages de motifs, doléances, courroux et autres griefs.

De quoi, au cas où, avoir sous la main quelques petites choses à faire avancer, pas forcément essentielles pour les pouvoirs publics même si sans nul doute elles comptent pour la direction de l’entreprise. Cette dernière est, rappelons-le, censée disposer d’une autonomie de gestion mais devant des hordes de cheminots pas contents, les postures trop rigides peuvent conduire à de sacrées déconvenues et rappeler de bien mauvais souvenirs.

Dans la ligne de mire, bien sûr le Gouvernement aussi. Encore qu’il ne s’agisse pas cette fois d’une posture (traditionnelle chez les cheminots) de «retrait du projet de réforme !» mais plutôt de la prise en compte de «propositions alternatives».

Quoiqu’entre les trois organisations syndicales (CGT, SUD, UNSA), alliées dans une plateforme commune, il y ait plus que quelques nuances dans l’approche du dossier. A côté des revendications de «service public au service du public» de la CGT, cohabitent celles plus radicales de «rejet de la poursuite de casse de l’entreprise» de SUD, tandis que l’UNSA n’a pas fini d’être châtiée de son péché originel qui l’amena en 1997 à avoir approuvé la création de Réseau Ferré de France, propriétaire et gestionnaire de l’infrastructure. Laquelle gestion est toujours restée jusqu’à ce jour déléguée à la SNCF (mais ça c’est une autre histoire !).

Plateforme commune CGT-SUD-UNSA, préavis CGT-SUD, préavis ultérieur UNSA et prétention de la CFDT à avoir finalement raison.

Attention, il faut suivre ! Le préavis pour le 10 juin est signé de la CGT et de SUD. Tandis que la plateforme qui soutient les revendications est commune à CGT, SUD et UNSA.

UNSA qui, bien que s’étant associée à toutes les précédentes et récentes initiatives sur le même thème, se met cette fois en retrait et, en raison d’engagements qu’elle dit avoir obtenus, souhaite maintenant « laisser toute sa place à la négociation avec les Présidents de SNCF, de RFF, le Ministère et les Parlementaires ».

UNSA qui se positionne donc finalement comme étant «favorable à la réforme du ferroviaire car sinon la Cour de Justice Européenne imposera très vite un éclatement incontrôlé de la SNCF » (sic). Mais UNSA qui assure quand même ses arrières en déposant immédiatement un préavis de grève à partir du mardi 17 juin 2014 « au cas où les négociations avec les responsables politiques n’aboutiraient pas».

Finalement, l’expression de l’UNSA est peu ou prou celle que la CFDT rappelle à bon escient défendre depuis avril 2013, se refusant à participer à ce qu’elle qualifie dans son communiqué de presse de « mise en scène » et mettant en garde ses mandants cheminots contre le risque de statu quo.

Après le 11 juin ?

Par rapport aux menaces de l’UNSA, entre le 10 juin au soir et le 17 juin, de l’eau aura coulé sous les ponts ou plutôt, convient-il plutôt d’écrire ici, des trains auront roulé ou pas sur les rails !

Soit la grève ne se sera pas poursuivie et sera déjà un lointain souvenir (jusqu’à la prochaine, plus tard, après, à un autre moment…). Soit le pays sera effectivement paralysé ou sérieusement perturbé depuis plusieurs jours par une grève à la SNCF et l’entrée en lice de l’UNSA ou pas n’y changerait pas grand-chose. D’ordinaire, selon un responsable régional CFDT-Cheminots, l’UNSA tient un « discours cégétiste de bon aloi » mais, en cas de conflit, la majeure partie de sa base militante et électorale, faite de personnel d’encadrement, ne goûte pas trop au passage effectif à la cessation concertée de travail (c’est ainsi que sont nommées les grèves dans le vocabulaire RH de la SNCF).

La guerre est la poursuite de la continuation de la politique par d’autres moyens. Il en est de même du dialogue social. Il se fera alors avec la CGT. C’est toujours comme ça que ça se passe et se finit à la SNCF. La direction de l’entreprise ne peut pas faire sans ni contre une organisation qui pèse quand même près de 40 % des voix aux élections, avec des pics de 70 % dans certains endroits ou catégories professionnelles.

Des incertitudes sociales autour d’une population cheminote rajeunie.

Environ la moitié du personnel de la SNCF a aujourd’hui moins de 10 ans d’ancienneté. Bien loin, la grande grève de 1995 contre le « Contrat de plan » (et accessoirement la réforme des retraites du régime spécial déjà, aujourd’hui derrière) de laquelle est né SUD.

Cette incertitude causée par le rajeunissement des troupes et leur éloignement (a priori) des repères idéologiques des générations précédentes (réformisme versus lutte des classes), sont plus que jamais susceptibles aujourd’hui d’entraîner les organisations les plus revendicatives vers des difficultés dont elles veilleront bien évidemment à sortir.

Valable pour SUD mais aussi pour la CGT ou quiconque voudrait venir sur ce terrain là. Voter massivement pour des organisations « contre » est une chose, c’est ce que font les cheminots, mais passer à l’action pour obtenir ce qui a été exprimé par le vote en est une autre.

La SNCF soigne son recrutement. Ceux qui y postulent savent que la sélection est rude jusqu’à conduire l’entreprise à avoir beaucoup de mal à mener à bonne fin ses embauches ! Revers de la médaille et effet collatéral potentiel, les réalités du terrain, des conditions de vie, de travail, les perspectives offertes peuvent finalement s’avérer trop éloignées de ce qui a pu être vanté et promis aux meilleurs des candidats parmi les meilleurs. Et être régulièrement et de plus en plus souvent pointé du doigt par la vindicte publique ou médiatique pour des déficits, des avantages censés être exorbitants, de l’inefficacité collective… finit par avoir quelque chose de pesant. D’où des désillusions parmi les cheminots venus là pour faire carrière et sélectionnés selon un certain profil supposé volontaire. Terreau favorable à la révolte. La SNCF n’est pas la seule entreprise à être exposée à ce risque, loin de là.

Mais, faute d’expérience jusqu’à ce jour, tout cela n’est qu’incertitudes, et rien n’est encore avéré. Votre serviteur aussi a été plus jeune et n’a pas renoncé parfois à quelques jours ou semaines de grève malgré ce qu’il en coûtait. Quand on est jeune on s’en remet et on a la vie devant soi et il est finalement bien légitime de la vouloir meilleure. Attention à ces jeunes cheminots ! Le plus grand danger d’explosion sociale ne repose pas seulement sur les vieux de la vieille du syndicalisme.

Même si cela nous éloigne de la seule problématique de l’organisation du système ferroviaire, ce risque d’embrasement est réel. L’équilibre social du pays est suffisamment chahuté pour ne pas imaginer que cela ne puisse pas se produire sous une forme ou une autre. Et les cheminots ont rarement été en reste dans le passé. Au risque de choquer, heureusement que la CGT est là.

SUD et CGT, toujours le même combat pour le leadership dans les luttes sociales.

Il y a quand même à se demander si la CGT n’a pas finalement cédé aux sirènes de la grève reconductible de SUD pour mieux s’en débarrasser dans l’échec de celle-ci ? C’est juste une question. Il va falloir attendre un peu la suite des évènements pour avoir la réponse.

Mais pauvre CFDT si d’aventure les pouvoirs publics préfèrent finalement s’entendre avec la CGT, partenaire social somme toute incontournable de la Direction SNCF. D’autant qu’à bien lire le préavis de grève, il suffirait pour calmer le jeu – du moins pour l’heure – que la tutelle de l’entreprise nationale rappelle à Guillaume Pepy qu’il n’est pas Ministre des transports et qu’il cesse de continuer à anticiper sur des décisions d’organisation qui n’ont pas encore été validées par la représentation nationale. Une mise en retrait de Pepy à défaut d’un retrait de toute idée de réforme et à condition que ce ne soit pas celle dont ce dernier semble bien avoir personnellement tracé les contours ferait probablement l’affaire. Et comme par ailleurs ils sont plus d’un(e) à vouloir lui faire injustement la peau à la suite de l’affaire totalement infondée des quais à raboter pour les nouveaux trains, suivez mon regard !

Réforme, question de contenant ou de contenu.

Autant la CFDT s’attache essentiellement au contenu social (statut du personnel, harmonisation par le haut), autant la CGT semble avoir dans l’immédiat des préoccupations sur le contenant. Objet de son ire : les trois établissements publics. « Mère » autrement dit la SNCF comme on l’aime, SNCF Mobilités avec qui tout-un chacun voyagera et SNCF Réseau pour les rails, les signaux, les aiguillages, les boulons, les éclisses… tout ça.

La CGT craint que, dans ce nouveau système ferroviaire, la structure de tête à trois ne conduise à terme à un éclatement et une séparation franche (et même les facilite). Menace qui pourrait se concrétiser à l’occasion d’une alternance politique ou par l’effet de nouveaux coups de boutoir des autorités européennes.

Un champ de mines et des francs-tireurs en embuscade.

La Direction SNCF, au travers de Guillaume Pepy, ne résiste pas à l’envie de faire les questions et les réponses.

Le Ministère sans doute en manque d’expertise, est quant-là lui coincé entre sa majorité, son opposition à droite et à gauche, les règles européennes, l’opinion publique, les cheminots et la direction SNCF et accessoirement celle de RFF.

Ministère dépendant finalement d’un personnage essentiel comme Guillaume Pepy à côté duquel le Président de RFF (Jacques Rapoport) fait toujours pâle figure et reste inconnu du grand public.

Et les Présidents de région qui s’en mêlent aussi pour faire avancer quelques-uns de leurs pions.

Et puis certaines voix parmi les plus autorisées en matière de politique des transports (comme celle de Dominique Bussereau, un cheminot fils de cheminot) préviennent déjà que la réforme actuelle ne durera que le temps de la mandature jusqu’au retour de l’opposition actuelle aux affaires. Bon, en son temps le Ministre Jean Claude Gayssot (un autre cheminot) avait bien déclaré à la création de RFF : « ce que la droite a fait, nous le déferons ». Sans guère de suites ou en tout cas pas autant qu’initialement affirmé ! Ah, les politiques quand il s’agit de la SNCF !

Côté organisations syndicales représentant les intérêts des cheminots certes mais ayant toujours eu la prétention de savoir ce qui était bon en la matière pour le pays, la CGT est vent debout contre cette réforme là, contre les 3 établissements public de tête en tout cas.

SUD agit pour le retour à une SNCF une et indivisible administrée sur le seul critère du service public.

La CFDT, rejointe par l’UNSA, appuie une réforme moyennant la mise en place de garde-fous au risque que ce soit bien pire en cas de mise en demeure et d’intervention directe de la Commission Européenne.

Ne pas oublier et négliger deux autres syndicat à la SNCF, FO et FIRST (une émanation contestataire de la CFTC), qui ne sont pas en reste dans leurs velléités de va-t-en-guerre. Quoique légalement non représentatifs dans l’entreprise (moins de 10 % des suffrages aux élections professionnelles), leurs militants peuvent influer ici ou là. Pour émerger et espérer retrouver représentativité et légitimité, c’est d’ailleurs leur seul salut. Le charisme dont ils ne manquent pas, comme souvent pour des militants syndicaux free lance en rupture des grands courants, fera le reste. Ce fut, au moins dans le passé, la recette gagnante de SUD.

Et les voyageurs, l’opinion publique dans tout ça ? Oh, sous votre contrôle, Chers lecteurs, tout le monde est pour une SNCF proposant des services de qualité, pas chers, avec des trains rapides et à l’heure, partout, des correspondances en veux-tu, en voilà… Eh bien, ça tombe bien, c’est la position de la CGT !

Le grand soir ?

Le 10 juin est le véritable premier examen de passage et de contrôle et vérification des certitudes des uns et des autres sur la réforme ferroviaire.

De ce qui se passera ou pas autour de ce préavis de grève reconductible sera de nature à changer la donne ou au moins à éclairer les points de sortie des uns et des autres. Points de sortie auxquels ce serait faire injure à chaque acteur de penser qu’il n’y a pas réfléchi avant.

La législation sur le service garanti (et non pas minimum) permettra certes à l’entreprise de faire le dos rond pendant 24 heures en blindant son organisation. Mais une telle organisation en mode dégradé ne tient pas bien longtemps. La reconduction du mouvement même si ce n’est que localement et, le cas échéant, minoritairement ne manquerait pas de se faire sentir, pouvant redonner des envies d’en découdre aux plus timorés. 15 ou 20 % de grévistes en rythme de croisière suffisent à gripper peu à peu totalement le fonctionnement de la SNCF.

Et la loi dont la disposition essentielle est d’exiger que les grévistes se déclarent 48 heures à l’avance n’a jamais été mise au banc d’essai d’une grève reconductible.

Voilà, ça passe ou ça casse. On refait le point jeudi 12 ?

PAT.