SNCF : réduire la validité d’un billet de 60 à 7 jours ne résout rien!

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Pat, notre chroniqueur ferroviaire, revient sur le projet de la SNCF de limiter la validité des billets régionaux à 7 jours . Un «Coup de Pat» clarificateur.

Alain Le Vern, le Directeur général Régions et Intercités de la SNCF, a présenté le 8 avril ses ambitions à la presse sous le titre : « TER 2020 : vers un nouvel équilibre » . La simple évocation dans cette intervention de réduire « par exemple » (sic) la durée de validité des billets sans réservation de 61 jours actuellement à 7 jours a d’ores et déjà provoqué son lot de réactions plutôt hostiles.

Selon la SNCF, un moyen de lutter contre la fraude serait de réduire de 61 jours à 7 jours la validité de ces billets dédiés à une utilisation à la demande par ailleurs on ne peut plus souple. Ces billets sont rares sur les Grandes Lignes du fait de la réservation le plus souvent obligatoire, mais encore la norme pour les trafics régionaux. Une mesure qui permettrait ainsi, sinon de déjouer complètement, au moins de réduire les réutilisations successives d’un titre de transport non composté, tant qu’un contrôleur n’a pas pointé le bout de son nez pour l’invalider une bonne fois pour toutes.

Pour mémoire et pour rectifier les erreurs des médias qui se sont un peu emmêlés les pinceaux (y compris Déplacements Pros !), la sanction est actuellement de 10 € pour un billet non composté acheté le jour même (pouvant donc difficilement avoir déjà été utilisé, ceci expliquant sans doute cette relative mansuétude) et 25 € au-delà du jour d’achat, sanction insuffisante selon le constat du Directeur Régions de la SNCF. Indemnités pour solde de tout compte car le prix du trajet n’est même pas refacturé en sus.

Même aujourd’hui considérées comme insuffisamment dissuasives, ce sont les règles prévues et codifiées dans les Conditions Générales de la SNCF. Un texte homologué par les pouvoirs publics, que tout Directeur Régions qu’il est, Alain Le Vern ne peut pas modifier tout seul sans l’aval de sa tutelle ministérielle qui va sans doute y regarder à deux fois. Car, pour techniquement simple qu’elle apparaisse, la mesure envisagée par la SNCF ne sera pas forcément aisée à intégrer dans les Conditions Générales homologuées.
Comme dans un jeu de Mikado, il s’agirait de retirer un élément sans faire bouger tous les autres.

Loin de nous l’idée d’encourager les comportements frauduleux, mais réduire le délai de validité et donc la réutilisation du billet non composté au premier voyage n’est pas suffisant pour régler le problème posé. Car, pendant sa validité, fusse t’elle réduite à 7 jours, le billet non composté, réputé non utilisé, reste remboursable en l’état des Conditions Générales. Première utilisation un jour A sans compostage, réutilisation un jour B et même le cas échéant C puis , etc. en tout cas avant l’expiration de cette limite de validité, puis présentation du billet au remboursement juste à temps avant qu’il ne soit périmé. Seule limite : qu’il y ait au moins 5 € à rembourser. Une retenue est aussi prévue mais le remboursement est quand même de 90 %. Des sous pour acheter un autre billet et poursuivre ainsi presque comme avant. Si on y regarde bien, 7 jours ou 61 jours de validité n’y changent donc fondamentalement rien.

Fort de ce constat, ne serait pas plus utile de reposer le problème sur de bonnes bases ?


Qu’est ce que le compostage, sinon un report du contrôle d’accès au train et donc d’utilisation du titre de transport sur le voyageur lui-même ? Un transfert de tâche remontant à l’année 1980. Avantage pour la SNCF, moins de nécessité de procéder à un contrôle exhaustif à bord du train sans risque - pensait-elle - de voir les recettes s’effondrer par une réutilisation du titre de transport ou sa présentation au remboursement après le voyage sous prétexte d’un fallacieux motif de non utilisation.
Mais comme toujours en matière de politique de «sauvegarde des recettes», c’était compter sans la prise de risque de voyageurs indélicats.

Cela dit, pourquoi tant qu’à voyager de fait sans payer avec un billet déjà utilisé, ces voyageurs ne prennent-ils pas place à bord du train sans titre de transport tout simplement ?

On touche là à un phénomène similaire à celui que la grande distribution connait bien. Aller se servir dans les rayons et sortir sans payer en caisse, c’est le point dur de la démarque inconnue. Pour le consommateur indélicat, ne le qualifions pas de client, il faut oser et assumer en cas de prise la main dans le sac ce qui relève alors d’un acte de délinquance. Mais déambuler dans les rayons, ouvrir pour consommation immédiate qui un paquet de gâteaux, de bonbons, qui une tablette de chocolat ou assouvir sa soif au goulot d’une bouteille, sans rien signaler au passage à la caisse, c’est beaucoup plus tentant. Et qui n’a pas déjà été tenté ou n’est pas passé à l’acte ? Ceux qui réutilisent des billets qu’ils n’ont délibérément pas compostés sont plutôt de cette dernière catégorie. En fraude mais à condition de pouvoir sauver les apparences ou de ne pas vraiment se sentir en faute. Effet d’aubaine, car après tout pensent-ils, la SNCF n’a qu’à contrôler à l’accès au quai ou à bord. Pas faux comme raisonnement !

Avant 1980, l’accès au quai de départ était contrôlé par un poinçonneur. Autant de billets qui n’étaient pas réutilisés ni remboursés, contrôle à bord ou pas. Et en outre, le contrôle à bord ne faisait en général pas défaut non plus. Tandis qu’aujourd’hui ? Encore que sans doute, comme la ponctualité, toutes les régions n’ont pas les mêmes résultats. Votre serviteur témoigne de ce qu’il est systématiquement contrôlé sur le TER Bretagne à chaque fois qu’il s’y rend.

Des contrôles systématiques qui conduisent peut-être pour l’opérateur public à dépenser deux euros pour n’en gagner qu’un ? Mais n’est-ce pas le prix à payer ? La surveillance des rayons d’un libre-service ne coûte t’elle pas plus cher que la démarque inconnue ? Et si on ne fait pas ce qu’il faut, qu’advient-il ? C’est sans doute bien ça le problème réel de la SNCF et d’Alain Le Vern !

Quant à l’augmentation de l’indemnité forfaitaire pour billet non composté afin de la rendre dissuasive, plus vite dit que fait. Les contrôleurs le savent : au-delà d’un certain seuil de devis de régularisation pour un paiement immédiat (considéré sur le plan pénal comme une transaction mettant un terme définitif au contentieux), il leur devient difficile d’encaisser. Le contrevenant préférant de loin prendre le risque de l’avis d’infraction dont il se dit qu’une infime proportion va jusqu’au bout. Et au terme de l’hypothétique recouvrement par le Trésor Public, il n’y a pas un centime pour la SNCF. A part y voir un moyen de dissuasion, cette attitude procédurière reste impécunieuse pour l’entreprise et peut-être même par effets collatéraux successifs pour les finances publiques.

Et puis, faire monter ces régularisations à plus de cent euros comme le voudrait le Directeur Régions de la SNCF, c’est aussi manquer de discernement pour l’usager de bonne foi, celui qui aura simplement oublié de composter sans penser à mal. A ce sujet, un voyageur qui se présente spontanément au contrôleur pour signaler cette omission n’est aujourd’hui redevable d’aucune indemnité. Et il est évident que les véritables fraudeurs calculateurs observent avec attention la présence ou non de contrôleurs pour aller au devant d’eux et échapper ainsi à la sanction promise. Mais ça aussi, ce serait donc appelé à disparaitre des Conditions Générales ? Qu’au Ministre de tutelle ne plaise ! Un Mikado, vraiment.

PAT