SNCF, un accident plutôt vache!

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Ce pourrait être un simple fait divers. Au départ, pas une affaire de chien écrasé mais presque. Ce mardi 20 octobre, à 8h04, un train régional normand heurte deux vaches égarées sur la voie. Assez banal. Entre animaux d’élevage et grand gibier, SNCF comptabilise pas moins de 1 000 collisions de ce type par an : 3 par jour en moyenne ! Mais cette histoire joue un rôle de révélateur qui interroge notre Pat...

Ce n’est que le soir à 20h00 qu’un premier média local relata l’incident. Et seulement le jeudi matin, plus de 36 heures après, que SNCF a enfin communiqué.

C’est qu’entre-temps, à l’heure des réseaux et médias sociaux, l’affaire confidentielle au début, s’est diffusée. Les cheminots sont des gens qui bougent de gare en gare. Et radio ballast n’est pas un vain mot. D’abord sur un forum animé par les agents SNCF (mais ouvert à tous). Là les cheminots, volontiers compteurs de rivets et adeptes de schémas en tous genres, quand ils ne débattent pas de leur vision du service public, ne démentent pas de leur professionnalisme et de leur attachement viscéral à la sécurité des circulations ferroviaires.

A vrai dire, dans les premiers instants, la discussion fut fermée par les administrateurs du forum tant l’information initiale n’était semble t’il pas vérifiée mais surtout jugée improbable, impossible ! "Ce matin, après avoir heurté un animal (on parle d'une vache, mais c'est à vérifier), un AGC (train 848973) est parti en dérive sur 20 km environ avec son conducteur et ses passagers, sur la ligne Serqueux Montérolier Buchy (76)".

Oui, pour un cheminot, ce type d’incident que dans la phraséologie de l’entreprise on qualifie de "contraire à la sécurité"» est impossible. Sans entrer dans les détails de la technologie ferroviaire, un train est normalement freiné. Il peut lui arriver le pire des incidents techniques, engagé normalement en ligne il sera freiné. Toute la tuyauterie, les compresseurs d’air, les robinets, les valves, les cylindres, les trucs, les machins… ne sont là que pour qu’un train cesse d’être freiné et puisse donc rouler. Tout le contraire de nos véhicules automobiles !

Il n’y a que dans les films américains ou dans les Aventures de Tintin (« Le Temple du Soleil », pages 13 à 16) que ce type d’évènement laissant partir une rame à la dérive en défrayant toute logique de sécurité ferroviaire passive peut arriver.

Sinon, dans la vraie vie, une anomalie quelle qu’elle soit replace les essieux en position freinée, telle qu’elle est de conception Un souffle bruyant que les voyageurs entendent régulièrement dans les gares lors de la réalisation des essais de frein. Vérification de la présence d’air et de sa parfaite continuité dans une conduite cheminant d’essieu en essieu tout le long du convoi. Et, s’il n’y a pas d’air ou pas à une pression suffisante et constante de 5 bars, la rame est tout seulement freinée et ne risque pas de pouvoir être mise en mouvement.

Dans la situation qui préoccupe à juste titre les cheminots, le système de freinage du train a logiquement été endommagé par le choc (cassé, percé, ayant perdu de son étanchéité…). L’air sous pression aurait donc dû normalement s’échapper. Et même si le circuit était resté intact, l’action que le conducteur venait de lancer à la vue de l’obstacle en appuyant sur un bouton rouge d’arrêt d’urgence sur son pupitre aurait dû mettre le circuit à l’air libre. Et donc… freiner massivement et immédiatement puis finir par immobiliser la rame, sur 3 km grand maximum. Ici, ça a roulé près de 20 km avant une immobilisation dans des conditions rocambolesques.

Frayeur des cheminots car rien de tout ça n’est explicable ni normalement envisageable. Le train a continué sur sa lancée. C’est à la faveur d’une rampe que la rame a ralenti. Comme l’explique le communiqué SNCF précité, le conducteur est alors descendu et a placé des cales. Manœuvre risquée mais réussie, sinon le train repartait en dérive dans l’autre sens, reprenant à chaque fois un peu plus de vitesse du fait de sa masse (E = MC2 pour les amateurs d’équation). Jusqu’à potentiellement ne plus pouvoir passer une courbe, un aiguillage sans dérailler. Comme dans Tintin.

Effroi des cheminots. Pas du tout traduit par le communiqué officiel de SNCF même si, en conclusion, un "droit de retrait" de certains agents de conduite est évoqué sur ce type de matériel.

SNCF se félicite que ses personnels aient parfaitement agi de manière conforme aux règlements de sécurité (le conducteur mais aussi le contrôleur à bord, tiens encore heureux qu’il y en ait eu un,  qui a dirigé et encadré le placement des voyageurs pour les préserver en cas de choc). Les cheminots pourtant de relever que leur collègue, bien lui a pris, a pourtant enfreint plusieurs points du règlement. Et Dieu sait que SNCF aime bien ça, les règlements, les référentiels, les interdits… conditions de la sécurité, sur laquelle elle répète avec raison aussi que nul ne saurait transiger.

Utilisation du téléphone portable (la radio sol-train, seul système de communication autorisé étant tombée hors service au moment du choc). Conducteur descendu du train en marche. Pour y placer des cales sous les essieux d’une rame en mouvement. Des gestes, des décisions absolument prohibés.

Mais bien lui en a pris à ce conducteur. Et tout le monde ne peut que l’en féliciter.

Reste comme le souligne un cheminot sur le forum précité qu’il "faudra expliquer comment on peut ne serait-ce qu’imaginer qu’une rame avec les batteries coupées, sans aucune alimentation énergétique peut encore avancer, ou ne pas être à l’arrêt après un BP URG" (NDLR : bouton poussoir rouge d’arrêt d’urgence sur le pupitre du conducteur).

Il faudra expliquer. Car ce n’est pas à une banale histoire de vache écrasée qu’on à affaire. L’électronique en cause ? Qui n’a pas entendu parler de véhicules automobiles dont le régulateur de vitesse s’affole ? Dont les freins ne répondent plus ? De ces avions dont l’ordinateur de bord prend les commandes sans que les pilotes ne puissent reprendre le manche avec les décisions qui leur semblent à eux les plus appropriées ?

Comme en pareille circonstance, les autorités compétentes ont été saisies et une enquête interne a été diligentée. Mais il en est ainsi des évènements classés dans les faits divers : l’un chasse rapidement l’autre. Qu’à Guillaume Pepy ne plaise. Lui et quelques autres, notamment les constructeurs de matériel ferroviaire, risquent d’avoir du mal à s’endormir tant les questions posées par l’évènement sont inimaginables, techniquement impensables.

Pour autant, amis voyageurs, inutile d’avoir trop de craintes. Le chemin de fer reste un moyen de transport très sûr. Ce week-end de Toussaint, il y aura hélas sur les routes au bas mot plusieurs dizaines de morts.

Et, alors que la critique est souvent facile, légitime même parfois, on peut donner acte aux cheminots de leur attachement à la sécurité. Ils voudront savoir, pour nous tous, ce qui s’est passé même s’il n’y a finalement rien eu de grave pour personne. Et on ne manquera pas de les entendre pour que les mesures soient prises afin qu’un tel évènement ne puisse se reproduire, aussi improbable soit-il.

Les catastrophes ferroviaires qui ont lieu sont une infime proportion de celles qui auraient pu se produire aurait dit en son temps, il y a très longtemps, un Président de l’entreprise nationale.

PAT
Nota, cet article a été rédigé avant que l'on apprenne la catastrophe routière de ce 23 octobre en Gironde.