Air France / KLM, vers le clash ?

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L’exaspération s’aiguise entre les deux transporteurs. Les récents mouvements sociaux des pilotes d’Air France ont fait monter la pression, et on ne sait pas jusqu’où cela peut mener.

Il faut tout de même bien se dire que l’alliance entre Air France et KLM n’a jamais été naturelle. Traditionnellement, le transporteur néerlandais a toujours été plus attiré vers le grand large plutôt que vers ses voisins européens. Les essais de rapprochement avec Alitalia se sont terminés en fiasco avant que KLM ne regarde du côté d’Air France. Pour que l’affaire se fasse il a fallu un concours de circonstances très particulier. D’abord le fait que KLM ait traversé une mauvaise passe en fin des années 1990. La situation financière de la compagnie la condamnait à se faire racheter et les clients potentiels ne manquaient pas, à commencer par British Airways. Et puis la rencontre entre deux fortes personnalités : Jean-Cyril Spinetta le PDG d’Air France et Leo Van Vijk, le CEO de KLM. Ces deux dirigeants se sont immédiatement entendus et cela a suffi pour construire, en dépit de toutes les difficultés qu’ils ont rencontré, ce qui sembalit alors impossible : un groupe binational appartenant à une société française : Air France-KLM.

Les premières années ont été euphoriques. Le rapprochement reposait sur un constat : les réseaux des compagnies étaient par essence complémentaires alors qu’en réalité, ils doublonnaient sur de nombreuses destinations. La reconstruction des programmes d’exploitation a donné des résultats spectaculaires. En enlevant les doublons, en rationalisant les horaires, en combinant les « hubs » d’Amsterdam et de Roissy, les compagnies ont pu, avec la même flotte, desservir de très nombreux nouveaux marchés, ce qui a amené une importante recette supplémentaire sans augmenter les coûts. C’était d’ailleurs l’époque bénie où les compagnies ont inventé la surcharge carburant qui a, à elle seule, assuré les résultats jusqu’en 2008.

Seulement, le vent a tourné. D’abord Leo Van Vijk est parti en retraite, puis cela a été le tour de Jean-Cyril Spinetta, et les successeurs n’avaient pas la même relation personnelle. Les tensions ont parfois été vives, d’autant plus qu’après la période, hélas un peu courte, des gains de productivité, est venue celle des charges, car il fallait bien intégrer les systèmes historiquement différents. La seule réunification des outils d’inventaire et de réservation a coûté plus de 800 millions d’€. Et puis le cours du pétrole s’est retourné et les achats à terme se sont avérés ruineux alors qu’ils avaient amené, à eux seuls, pendant des années le profit de l’entreprise.

Il a alors fallu se lancer dans une politique de réduction des coûts. Mais les compagnies - et d’abord Air France - n’y étaient pas prêtes. Pendant des années, les deux transporteurs ont fait supporter par leurs clients les baisses de charges qu’ils n’arrivaient pas à faire en interne. Ils n’étaient d’ailleurs pas seuls, toutes les compagnies traditionnelles (à l’exception de celles du Golfe) en ont fait autant. Quoiqu’il en soit, KLM a pris le dossier à bras le corps et a obtenu des résultats bien supérieurs à ceux de son homologue français. Et pendant quelques années, les résultats du groupe ont été portés par le transporteur néerlandais. Sauf que ceux d’Air France étaient tellement désastreux que cela n’a pas empêché le groupe de dévisser.

Alors, les Hollandais ont commencé à montrer quelque impatience, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils ont été très actifs pour pousser les différents plans d’économie, Transfrom 2015 d’abord et Perform 2020 ensuite. Ils estiment avoir fait leur part du travail et ils s’irritent de la lenteur des progrès français. La situation s’est brusquement dégradée dernièrement suite aux grèves tout à fait incompréhensibles d’ailleurs des pilotes d’Air France. La fronde est menée par les navigants de KLM et tout le monde ferait bien d’y prêter grande attention. En clair ils ne veulent pas être les seuls à faire des efforts qui sont annihilés par le comportement de leurs collègues français.

Leur voix va porter certainement et d’abord envers la population hollandaise qui n’a jamais vraiment accepté la domination de KLM par Air France, car la situation est bien celle-ci, en dépit des présentations habiles du groupe qui sont publiées. Dans ces conditions, il n’est pas sûr du tout que les dirigeants et le personnel de KLM acceptent sans broncher l’immobilisme des Français et qu’ils ne réagissent pas à la nouvelle grève des pilotes d’Air France prévue pour la fin du mois de juin. Le jour n’est pas éloigné où les Néerlandais réclameront leur indépendance, fusse en rachetant leur compagnie au groupe Air France-KLM.

Le temps du clash n’est pas loin. Alexandre de Juniac parti car excédé par l’attitude des syndicats, ce sera à Jean-Marc Janaillac à prendre les décisions, or il ne peut pas avoir la connaissance approfondie du dossier. Frédéric Gagey peut jouer les amortisseurs avec son homologue hollandais Pieter Elbers. Mais rien n’est gagné.

Jean-Louis BAROUX