Air France, Benjamin Smith : quels enjeux pour le voyage d’affaires ?

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Avec une prise de fonction plus rapide que prévue et une annonce symbolique autour de son salaire dont la moitié sera réinvestie dans des actions du groupe, Ben Smith a désormais les mains dans le moteur. Mais l'ampleur de la tâche qu'il aura à réaliser est immense. Et tous les syndicats ne sont pas prêts à l'aider dans sa mission. Et pour cause, les élections professionnelles sont en vue. Pourtant, le premier contact avec les syndicats ce 17 septembre a été bon. Philippe Evain, le patron du SNPL s'est dit ce matin, sur RTL, "séduit" par sa passion de l'aérien et son envie d'avancer.

"Le management qui s'appuie sur les méthodes nord-américaines n'a jamais eu de prise sur les transporteurs européens" précise d'emblée un pilote membre du SNPL. Le ton est donné, même si le nouveau Directeur Général d'AF/KLM a cet accent chantant des anglophones qui s'expriment dans un très bon français, ses premières actions seront déterminantes pour la suite de sa mission.

D'autant que les chantiers ne manquent pas. Le premier ? Renouer la confiance entre les entreprises et la compagnie. Acheteurs et Travel Managers veulent être rassurés et comprendre les mécanismes qui seront proposés au personnel ces prochains mois. Qu'attendent aujourd'hui ceux qui pèsent près de 60 % des revenus de la compagnie ? Une fiabilité retrouvée, sans grève ni mouvements sociaux à répétition. Il faut faire oublier cette épée de Damoclès qui plane sur la tête du voyageur à chaque grogne interne.

Autre sujet, détailler et expliquer la politique d'alliances engagées par le groupe depuis quelques années. Le choix de la coentreprise engagée avec China Eastern en Asie ou Delta Air Lines aux USA porte désormais ses fruits. Les bases jetées avec le Brésil (GOL), l'Australie (Qantas) ou l'Inde (Jet Airways) sont autant de points rassurants pour les entreprises qui disposent désormais d'un réseau élargi et d'une qualité de service assez comparable d'une compagnie partenaires sur l'autre. Mais la bataille des prix fera la différence. Si les belles paroles autour de la qualité et de l'expérience voyageur amusent les acheteurs, le prix reste le Graal. Air France ne devra pas l'oublier.

C'est aussi la lisibilité du groupe que les acheteurs veulent comprendre. Une Low-cost long-courrier, Joon, qui s'attaque également au moyen-courrier pour remplacer les lignes déficitaires d'Air France… Pourquoi pas, à condition d'en comprendre la politique tarifaire. Transavia, un vrai succès dans l'univers du tourisme, n'a pas réussi sa percée dans le business travel. Faut-il alors poursuivre cette politique de marques multiples comme le font British ou Lufthansa ? Les Anglo-Saxons sont plus réservés sur le sujet même si Ben Smith a été la cheville ouvrière d'Air Canada Rouge.

Autre dossier chaud, la place de l'État au sein de la compagnie. Depuis des décennies, les presque 15 % du capital sont un poids difficile à porter. La présence du politique donne des ailes aux syndicats, persuadés que jamais l'État n'abandonnera jamais Air France. Nous l'avons écrit, Ben Smith ne vient pas les mains vides. Il aurait des garanties du gouvernement pour donner un coup de pouce aux salaires d'Air France. L'inflation qui est repartie joue pour lui. Les 4% de hausse salaires sont accessibles. Pourquoi pas les 5 ? Il faudra de la pédagogie de haut vol.

Et les hommes en place ? Là est l'inconnu. Faire du neuf avec du vieux, c'est souvent impossible. Les "baronnies en place" de la compagnie ne veulent pas être bousculées. D'autres au contraire souhaitent qu'il aille vite et qu'il change la gouvernance et l'organisation de la chaîne de décision. Tout un programme. La brutalité constatée du management nord américain pourrait lui donner l'audace de casser les murs. Il reste enfin à le voir sur le terrain. Dans quelques jours, personne ne serait surpris de le croiser sur le salon IFTM Top Resa, un geste fort pour aller à l'écoute des clients professionnels. Selon nos informations, une sortie serait prévue dès le 24 septembre. On n'en sait guère plus.

Enfin, les acheteurs veulent comprendre le développement de Hop! Air France sur le domestique et s'assurer de sa fiabilité dans le temps. La concentration de toutes les petites compagnies autour de Hop! se fait difficilement selon les salariés qui reprochent l'absence d'une stratégie à long terme.

Stratégie, le mot est lâché. La Ministre des transports veut en voir une et vite pour Air France. Les syndicats veulent comprendre où va la compagnie et les clients souhaitent être rassurés. Un triptyque complexe mais indispensable pour assurer le succès du nouveau patron du groupe. Seule certitude, ils sont nombreux à vouloir qu'il réussisse. Pour la compagnie et le transport aérien français.

Marcel Lévy