Alexandre de Juniac est-il le nouveau patron d’Air France ?

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C’est un communiqué de la compagnie diffusé vendredi 20 Mars qui a confirmé ce que nous savions déjà depuis quelques jours : Alexandre de Juniac a été renouvelé à son poste de président-directeur général d’Air France KLM.

Au-delà de cette nomination, deux phrases du communiqué ont retenu l’attention des spécialistes. La première semble confirmer les attentes de KLM en matière d’indépendance de sa gestion financière et le regard porté par les Néerlandais sur le patron du groupe : «Le conseil a décidé d'initier un processus afin d'améliorer la gouvernance du groupe et d'accroître l'interaction et la cohérence entre Air France-KLM, Air France et KLM. À cette fin, Hans Smits, en tant que président du conseil de surveillance de KLM, sera systématiquement invité à assister aux Conseils d'administration d'Air France-KLM ; Pierre-François Riolacci, en tant que directeur financier du groupe, sera systématiquement invité à assister aux Conseils de surveillance de KLM ; Alexandre de Juniac, en tant que Président-directeur général d'Air France-KLM, sera systématiquement invité à assister aux Conseils d'administration d'Air France».

C’est le systématisme que  l’on retiendra en premier. Ce «je te tiens, tu me tiens par la barbichette» risque vite de conduire à quelques oppositions voire à quelques prises de bec. Que faut-il comprendre ? Que tout le monde surveille tout le monde ? Pourquoi pas. La participation croisée aux conseils d’administration peut être un avantage liée à un souci de transparence mais risque de verrouiller les échanges et d’accroître la méfiance de tous les participants. Le patron d'Air France, Frédéric Gagey, n’est pas un communicant au sens flamboyant du mot. L’homme est discret et plutôt apprécié par ses équipes même si certains lui reprochent de ne pas savoir décider rapidement ce qui, aujourd’hui, est essentielle dans le monde de l’aérien. Le surveiller (ou l’aider) est un signe négatif envoyé aux salariés.

Autre remarque, la nouvelle stratégie de Hop/Air France sur le court et moyen courrier sera dévoilée à Lyon, principale base de Hop, le 2 avril prochain. Pour une telle démarche, qui accompagnera Lionel Guérin lorsqu’il viendra préciser l’agressivité tarifaire de la compagnie? Le choix de la personnalité sera un signe fort. Le patron du court et moyen courrier doit annoncer le processus de développement de ce créneau, qui sera totalement déléguée à Hop/Air France. On en connaît aujourd’hui les contours. Privilégier les tarifs sur les lignes à très forte concurrence (en France comme en Europe) et conserver des prix plus élevés pour les lignes où seul Hop ! intervient. La compagnie devra également assurer l’acheminement des passagers vers le hub de Roissy. Rien de nouveau. Au-delà, des modifications du niveau des abonnements, des optimisations horaires pour les déplacements professionnels et de quelques nouveaux services technologiques, cette énième refonte du court et moyen-courrier reposera sur Lionel Guérin. Il le sait mais demande que l’on laisse du temps au temps pour se développer. En clair, au moins trois ans devant soi pour bien travailler. A priori, il devrait s’assurer le soutien de la direction générale d’Air France pour imposer la nouvelle stratégie de la marque. Et si le patron de Hop! reste silencieux en ce moment, ce n’est certainement pas par hasard. Il préfère réserver ses commentaires et laisser monter au créneau les cassandres qui prédisent le pire à la compagnie. Seule certitude, il aura son mot à dire dans le plan social qui vise les escales. Une mission peu facile et sur laquelle il est attendu. Ni Frédéric Gagey, ni Alexandre de Juniac ne voudront trop s’impliquer.

Mais le travail le plus important, qui a déjà commencé, c’est la refonte totale du pricing de la compagnie. Les enjeux sont de taille face aux prix pratiqués aujourd’hui par les compagnies du Golfe voir même par certaines compagnies européennes comme British Airways ou Lufthansa. Casser cette idée qu’Air France est chère, trop chère, beaucoup plus chère que ses concurrents, est la mission qui a été confiée à Patrick Alexandre. C’est lui qui devra faire évoluer la tarification d’Air France en tenant compte de l’attente des entreprises en matière de tarifs négociés et des offres professionnelles offertes en permanence par le marché.
Au-delà, et pour satisfaire les clients Corporate, le travail de fond à mener sur l’optimisation des lignes et l’amélioration du Hub de Paris et d’Amsterdam devrait être terminé d’ici à la fin de cette année pour mettre l’entreprise en ordre de bataille pour les prochains mois.

Le soutien sans faille du Conseil d'administration aux dirigeants du groupe a quelque peu secoué la vision syndicale: «Le Conseil a exprimé son soutien total à Alexandre de Juniac et aux ambitions qu'il porte pour Air France-KLM, incluant le renforcement de la compétitivité du groupe dans le cadre du plan Perform 2020, l'amélioration de la qualité de service pour les clients, l'engagement de toutes les équipes dans ces projets, et la poursuite du développement d'Air France-KLM comme acteur majeur du transport aérien mondial». Certes, la fin fait un peu « trémolos et violons » mais le soutien total au Président sans avoir un mot pour le dialogue social, voilà qui étonne.

Tout cela se ferait sans douleur si les syndicats n’avaient leur mot à dire dans le plan Perform 2020. Malgré la claque électorale qu'elle a subie, la CGT veut occuper le terrain du social et se dit prête à mobiliser pour éviter qu’un plan massif de licenciement soit annoncé dans quelques mois, au-delà des 800 déjà engagées fin 2014. Même son de cloche pour les autres syndicats qui demandent aujourd’hui qu’une stratégie claire soit exprimée par le président du groupe Air France/KLM. D’autant que, selon nos sources, et avec toute la prudence nécessaire, le dégraissage envisagé pour les cinq prochaines années pourrait bien frôler les 2500 personnes auxquelles s’ajouteraient les départs à la retraite et les départs volontaires. Au final, le chiffre de 5000 postes possiblement supprimés, cités il y a quelques mois par le Figaro, apparaît réaliste même s’il est encore trop tôt pour dire si c’est le choix qui sera fait par Alexandre de Juniac.

À la tête du groupe pour 4 ans, Alexandre de Juniac connaît parfaitement les enjeux qui l’attendent. Aura-t-il le savoir-faire nécessaire pour associer tous les personnels à la refonte de la compagnie? Les pilotes le présentent comme cassant, distant parfois avec les équipes. Ressenti réel ou simple critique sans fondement? La diplomatie et la rondeur seront des qualités fortes.

Par ailleurs le patron renouvelé saura t-il convaincre les clients de l’évolution d’AF ? Sans doute, au vu des premières missions réussies avec la refonte des cabines et des services digitaux. Mais le plus dur sera de faire aimer AF aux voyageurs. Les Français, souvent critiques vis à vie de la compagnie (que certains imaginent encore nationale), sont les pivots de la réussite attendue. Le « fly frenchie » prendra alors tout son sens si la compagnie sait se faire aimer des voyageurs. Il y a encore du travail.

Hélène Retout