Aux USA, les acheteurs du voyage d’affaires se rebiffent face au networking appuyé des fournisseurs

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L’omniprésence des fournisseurs dans la vie associative du voyage d’affaires commence à agacer les acheteurs et les Travel Managers américains. À l’occasion de la dernière rencontre d’Acte, à New York, ils étaient nombreux à regretter que les choix qui leur étaient proposés pour anticiper ces prochains mois soient le plus fréquemment pilotés par l’approche marketing des grandes entreprises du business travel.

Comme le faisait très justement remarquer l’acheteur d’une grande compagnie agroalimentaire, "Nous sommes désormais conditionnés par les visions que veulent bien donner au marché les fournisseurs qui, en règle générale, les associent aux seuls produits qu’ils sont capables de nous proposer avec la cohorte d’erreurs qui les accompagnent". Ajoutant : "Nous sommes les victimes d’une vision marketing qui embellit la réalité technologique au détriment de celle que nous attendons pour nos process quotidiens". Victimes consentantes, il est vrai.

Ce n’est pas la première fois que les acheteurs américains se plaignent d’avoir à passer par les fourches caudines des fournisseurs pour arriver à démêler la réalité et les mensonges qui se cachent dans les affirmations marketing formulées à longueur d’année lors des réunions professionnelles. Récemment, à Las Vegas, à l’occasion de du congrès des responsables des relations humaines, pas moins d’une dizaine de contributions ont évoqué la difficulté à départager le vrai du faux autour d'outils informatiques réputés mais souvent inefficaces dès que l'on veut entrer dans le détail. "Nous avons bien compris que l'uniformisation des outils ne saurait se plier à la personnalisation à l'extrême, même si nos fournisseurs nous vendent pourtant cette adaptation à nos seuls besoins".

Mais le problème va au-delà de ce simple reproche. Pour beaucoup d’acheteurs, la multiplication des technologies aujourd’hui proposées sur le marché ne tient pas toujours compte de la réalité des besoins et des process que mettent en place les entreprises. À l’évidence, il y a une dichotomie entre le besoin manifesté et la réponse apportée. Aucune entreprise n’est épargnée par cette vision. Pour les acheteurs, au-delà de la simple démonstration, souvent optimisée et adaptée à ce que l’acheteur veut entendre, c’est l’ensemble du processus demandé qui n’est pas pris en compte. Chaque entreprise intervient sur son segment, affirme sa portabilité et sa capacité d’intégration. C’est sur le terrain, au fur et à mesure, que l’on se rend compte que toutes ces assertions étaient loin d’être justes. On en revient toujours à cette fameuse idée de personnalisation qui conduit inévitablement à la même réponse : "Développer ces fonctions vous coûterait deux à dix fois plus cher"!

D’où la tendance naissante, remarquée ces derniers mois à l’occasion des rencontres de la GBTA ou d’Acte, qui consiste à proposer des solutions de bout en bout, très souvent propriétaires, mais dont l’ouverture à l’ensemble des outils du marché reste encore complexe. "Les API jetées en pâture aux acheteurs ne sont souvent que des leurres" poursuit notre acheteur. Et tous s’interrogent sur la pérennité de ces outils. On a vu des SBT célèbres profondément modifier leur structure et proposer aux acheteurs de nouvelles versions très éloignées de celles qui étaient utilisées jusqu’à ce jour. Les TMC elle-même, se sont perdues dans des développements et des partenariats dont on voit aujourd’hui les limites, que ce soit aux USA ou en Europe.

Que demandent alors les acheteurs ? Si l’information des fournisseurs est jugée essentielle, ce que précise d’ailleurs régulièrement dans ses chroniques Yann Le Goff, c’est la maîtrise de cette information et sa véracité qui pose le plus souvent problème. Et c’est justement ce point que les fournisseurs, souvent malins, s’acharnent à cacher au bénéfice de fonctionnalités plus globales mais rarement adaptées, dans le temps, aux attentes de l’entreprise. "C'est d'ailleurs une problématique posée par notre hiérarchie", poursuit notre acheteur, "Elle nous demande logiquement d'investir dans le temps et de disposer d'outils évolutifs. Il est évident que nous nous devons de jouer pleinement notre rôle d’acheteurs en impliquant des services informatiques particulièrement réticents à l’intégration de nouveaux outils qui ne correspondraient pas à leurs canons actuels des technologies numériques.

Faut-il alors craindre ce networking associatif réalisé dans l'intérêt d’un sponsoring accru, seul capable de permettre à ces associations américaines de vivre au détriment des attentes réelles des adhérents qui recherchent vérité et efficacité avant tout. C’est ce dilemme que devront régler les structures ces prochains mois, faute de quoi une bonne partie de leurs adhérents risque de se désintéresser de ces livres blancs et autres études réalisées par des fournisseurs qui cachent mal la finalité de cette générosité : convaincre les acheteurs de venir à eux !

Et l’Europe dans cette bronca naissante ? Force est de constater que la structure est quasi identique à celle que nous connaissons aux États-Unis. Qu’il s’agisse d’associations locales ou nationales voir européennes pour certaines, il ne peut y avoir d’avenir sans la présence financière des fournisseurs. Tout le monde le sait, l’accepte, et les fournisseurs loin d’être naïfs ne font un chèque que dans ce but cohérent et logique : trouver de nouveaux clients. Il reste à déterminer la part de libre arbitre que chacun doit avoir face à ce monceau d’informations dont la justesse n’est pas toujours évidente.

À l’évidence, si chacun a le sentiment bien profond qu’il est capable de trier le bon grain de l'ivraie, la réalité démontre sur le terrain que les échecs sont bien plus nombreux que les réussites. C’est peut-être le prochain grand sujet associatif à développer autour de la technologie à condition, cette fois-ci, de ne pas y associer des fournisseurs.

A New-York,
Philippe Lantris.