Brigitte Nisio, Carlson Wagonlit Travel: « Il ne faut pas se fier aux seules apparences, CWT va bien »

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Bousculée depuis quelques mois par son principal concurrent sur le marché français, la TMC Carlson Wagonlit Travel gère actuellement un PSE de 130 emplois et annonce un nouveau développement du 3.0. Un virage que doit gérer Brigitte Nisio, qui a succédé à Bertrand Mabille pour la direction générale France de l'agence. Une femme qui a la volonté de prendre le taureau par les cornes.

"La perte d’Orange, nous nous y attendions", explique d’emblée Brigitte Nisio qui refuse l’idée que Carlson Wagonlit Travel serait en perte de vitesse en France. Pour elle, la stratégie 3.0 qui se met en place est la réponse la plus évoluée aux besoins des entreprises. "On ne peut pas construire son quotidien et son avenir sur des offres tarifaires alléchantes mais éloignées de toute rentabilité", explique la directrice générale France de la Travel Management Company.

Au-delà du constat, elle reconnaît que l'agence n’a jamais été très communicante et que, vu de l’extérieur, on a parfois le sentiment que CWT n’avance pas vraiment. Mais "C’est faux", réplique t-elle, alignant toute une série de chiffres censés rassurer ses clients et rétablir la vérité des faits. Pour elle, l’avenir qui se joue est solide, placé autant sur la technologie que sur la notion de service que l’agence peut apporter à ses clients. La réflexion est engagée sur l’évolution du voyage d’affaires et la DG France veut rappeler l’essentiel: "Il ne faut jamais perdre de vue que notre mission est d’assurer, au meilleur prix dans les conditions optimales, les déplacements de dizaines de milliers de salariés dans le monde comme en France". Rencontre avec une femme qui ne cherche pas à se défiler face à la réalité des faits mais qui ne veut pas non plus accepter des affirmations qui ne seraient pas justes.

DéplacementsPros : On a le sentiment depuis quelques mois que Carlson Wagonlit Travel subit la concurrence sans réellement réagir. Votre réponse à ce constat ?

Brigitte Nisio : il faut toujours se méfier des sentiments et des ressentis que l’on peut avoir sur une entreprise qui a su en France conserver 94% de ses clients et dont la mission est d’en conquérir tous les jours de nouveaux. Notre développement ne se fait pas à l’aune de ce que dit ou fait la concurrence. Notre mission va bien au-delà.

Dans un premier temps, c’est le B.A. BA de ma mission, je dois offrir à mes clients le service qu’ils ont acheté. C’est essentiel et je crois qu’ils nous en tiendraient rigueur si nous ne le faisions pas. Là, nous perdrions des comptes. J’ai beaucoup entendu ces derniers mois cette idée un peu simpliste que le prix ou les avantages financiers faisaient la différence sur le terrain. Personnellement je ne le crois pas. Une TMC doit être capable d’implémenter rapidement et qualitativement les clients qui la rejoignent. Dit comme cela, on pourrait croire que c’est simple et évident. Mais la réalité sur le terrain est bien différente et c’est notre savoir-faire qui nous permet de répondre à cette mission.

En 2016, ce sont plus de 2 milliards de dollars de nouveau volume d’affaires qui ont été réalisés au niveau mondial. Il y a là des comptes locaux et globaux qui, tous, reconnaissent aujourd’hui à CWT, sa capacité à anticiper les problèmes et à les gérer.

DéplacementsPros : Pourtant, vous avez perdu de gros budgets et les nouveaux appels d’offres qui se profilent ne vous sont pas forcément favorables ?

Brigitte Nisio : moi, je ne suis pas dans la fiction mais dans la réalité. Ce que font ou feront nos clients actuels, ou ceux qui nous interrogent, personne ne le sait aujourd’hui avec précision. Je préfère donc m’en tenir au fait.

Que constatons-nous ? Premièrement que nous poursuivons notre développement en Europe comme en France, avec l’arrivée de nouveaux clients comme par exemple Servier qui a fait le choix de nous rejoindre parce que l’offre que nous avons formulée repose sur du concret. Il me semble normal qu’un client puisse changer de TMC et à l’inverse qu’un client déçu de sa TMC nous rejoigne. C’est la loi des affaires.

J’ai longtemps dirigé le pôle Corporate de CWT pour savoir que seule l’efficacité prime. Un exemple parmi d’autres, Total vient de resigner avec nous à la fois parce que nous connaissons particulièrement bien les métiers du pétrole mais aussi parce que le service que nous lui délivrons depuis quelques années correspondait à ce qu’il souhaitait.

DéplacementsPros : Vous avez annoncé dernièrement votre intérêt pour le monde des PME-PMI. C’est un marché jugé difficile par vos compétiteurs. Pourquoi vous y risquer ? ?

Brigitte Nisio : Difficile, ne veut pas dire inaccessible et impossible. Je pense que le regard que nous portons aujourd’hui sur les outils de voyage d’affaires et les différents développements que nous engageons, que ce soit dans l’aérien avec - dès la fin de cette année - la réservation en ligne, est suffisamment novateur pour attirer les entreprises de taille intermédiaire.

Aujourd’hui nous avons environ 45 % des clients globaux, présents dans plus de six pays. Là aussi, contrairement à ce que je lis, on voit bien que le développement international est l’une des priorités des entreprises françaises et qu’elles investissent pour conquérir de nouveaux marchés. Nous sommes donc tout naturellement à leurs côtés.

Pour les entreprises de taille moyenne, celle que l’on qualifie souvent de PME-PMI, je pense qu’il y a un marché important et que nous pouvons leur apporter la garantie d’obtenir les meilleurs tarifs mais aussi la simplicité qu’ils attendent dans l’organisation de leurs déplacements professionnels. C’est toujours le fameux « mix business » que j’évoquais tout à l’heure, qui fait que le prix n’est pas la seule référence pour l’acheteur ou le chef d’entreprise. L’environnement global, la technologie, le savoir-faire et la disponibilité sont également devenus des atouts.

DéplacementsPros : Récemment, un mouvement de grève a touché la TMC. On a beaucoup évoqué le plan social. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Brigitte Nisio : je ne souhaite pas commenter les négociations qui sont engagées avec les syndicats et qui, contrairement à ce que j’ai pu lire, se poursuivent dans le respect et l’écoute. L’évolution de notre stratégie vers un développement technologique poussé nous conduit tout naturellement à revoir notre organisation. Comme toutes les entreprises aujourd’hui, cette adaptation passe par une refonte de nos process voire même une centralisation de nos activités.

Nous avons développé des structures en dehors de la France qui, je le rappelle, est le lieu où se trouve le siège social de Carlson Wagonlit Travel. C’est ce que nous avons expliqué aux syndicats et ce que nous continuerons à faire ces prochaines semaines. Je ne doute pas que nous arrivions un accord.

DéplacementsPros : Allez-vous maintenir tous les plateaux d’affaires que vous avez en France ?

Brigitte Nisio : Nous avons annoncé la fermeture de Nantes et de Toulon, mais nous avons déjà confirmé à nos clients que tous nos autres plateaux resteraient actifs. Pour mémoire nous sommes à Lille, à Bordeaux, à Belfort, à Saint-Etienne, à Nanterre et à Clermont-Ferrand.

Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre il n’y a aucune volonté de notre part de fermer ces plateaux d’affaires, d’autant plus qu’ils ont un rôle important pour nos clients car ils sont proches d’eux avec un personnel qualifié et ultra compétent.

DéplacementsPros : La vision digitale exprimée depuis maintenant quelques années prend du temps à s’installer. Comment l’expliquez-vous ?

Brigitte Nisio : Il suffit de discuter avec un acheteur pour comprendre qu’il n’est pas seulement attiré par un chèque mais aussi par notre capacité à simplifier la relation entre son voyageur et lui. Avec un peu plus de 50 % d’utilisation des outils on line, nous connaissons bien les demandes formulées par les entreprises autour de la mobilité. Il y a donc tout un travail qui s’est engagé pour fournir les outils technologiques attendus mais également pour les associer au process ou à la politique voyage que veut appliquer le client.

On a vu également beaucoup de nouvelles technologies arriver sur le marché sans qu’aucune d’entre elles ne soit forcément aujourd’hui leader dans son domaine. Nous avons donc souhaité concevoir nos propres outils, avec des technologies ouvertes et évolutives, ce qui demande toujours un peu plus de temps. Mais ne nous trompons pas, nous sommes très loin d’être en retard et je dirais même plus, nous sommes plutôt en avance par rapport à nos concurrents.

Je crois aussi qu’il faut éviter une erreur que l’on commet trop souvent, c’est de croire que la technologie fera tout et remplacera tout. Je prends l’exemple de notre application, CWT To Go, qui est capable de répondre un grand nombre de requêtes du voyageur. Aujourd’hui, pour les voyages complexes ou les tarifications multiples, le rôle du conseil est essentiel et l’assistance qu’il apporte aux clients est indispensable. Je ne sais pas si demain un outil répondra automatiquement à ce type de questions. Mais je sais qu’aujourd’hui notre présence physique, dans la langue du pays, est très appréciée.

DéplacementsPros : Pourtant vous avez laissé partir KDS à votre principal concurrent alors que vous étiez actionnaires du SBT ?

Brigitte Nisio : C’est un choix parfaitement réfléchi. Et si nous l’avons fait, c’est que nous avions de bonnes raisons de penser qu’il fallait aller encore plus avant dans les outils à proposer à nos clients. Derrière ce que certains peuvent considérer comme une erreur, il y a véritablement une stratégie 3.0.

Vous savez, mesurer l’évolution des attentes technologiques ne se fait pas via une boule de cristal que l’on pose sur une table. Il faut à la fois de l’analyse, du retour d’expérience des clients et le sentiment fort que ce qui se développe chez vous est en adéquation avec ce qu’attendent les utilisateurs. Nous le voyons bien aujourd’hui avec les discussions autour des GDS, qui sont pour nous de véritables partenaires, et ce besoin d’accéder à des contenus sans cesse évolutifs que manifeste l’acheteur. Nous avons en permanence une structure interne qui étudie et analyse les besoins du marché pour le comparer au développement technologique en cours chez nous et le réadapter l’ensemble aux tendances fortes du marché. À terme, nous développerons notre propre HBT pour répondre à la nouvelle forme de consommation hôtelière de nos clients.

DéplacementsPros : Pensez-vous que les implants installés au sein des entreprises avec qui vous travaillez sont toujours nécessaires aujourd’hui ?

Brigitte Nisio : Ces implants ont été installés à la demande de nos clients. Ce n’est donc pas à nous de décider pour eux de leur maintien ou non. Je constate simplement que les neuf implants dont nous disposons répondent à un besoin clair et précis. Cela ne veut pas dire que nous n’allons pas redéfinir les configurations. Mais encore une fois, ce sera au client de nous donner la ligne à suivre et d’exprimer ses attentes. Nous ne prendrons pas seuls la décision de les fermer ou de les pérenniser.

Là aussi, il me semble prudent d’intégrer cette question au développement des outils technologiques mis à la disposition des voyageurs. Nous sommes entrés dans une ère de mobilité totale, à la fois demandée par nos clients mais également par celles et ceux qui se déplacent dans le monde. Tout cela veut dire qu’il faut veiller à la qualité des profils « voyageurs » qui sont intégrés au système de l’entreprise et à leur enrichissement.

DéplacementsPros : Réfléchissez-vous à une nouvelle forme de tarification de vos services ?

Brigitte Nisio : Oui bien sûr, nous y pensons et nous y travaillons. Mais il est encore bien trop tôt pour dire quelle voie, quelle piste nous allons privilégier. Là encore, la montée en puissance de la technologie laisse croire à certains qu’elle n’a pas de prix. Du moins qu’elle ne coûte rien. C’est faux car les investissements que nous faisons, les liens que nous avons avec les GDS, le développement autour du Big data et des analystes qui travaillent pour nous, tout cela un coût qu’il faut bien répercuter au client tout en restant compétitif.

J’entends bien sûr parler des offres que formulent certaines agences à leurs clients avec des coûts transactionnels extrêmement bas voire totalement supprimés mais je ne suis pas certain que ce soit la solution. Encore une fois, car c’est important, nous réfléchissons et nous travaillons à de nouvelles tarifications pour nos clients. Il est encore un peu trop tôt pour en parler.

DéplacementsPros : Quel regard portez-vous sur 2017 ?

Brigitte Nisio : Hormis la reprise sensible que nous constatons depuis le début de l’année, je crois, et vous l’aurez compris, à notre capacité de rester la TMC de référence dans le monde mais aussi en Europe. C’est en tout cas l’objectif fixé aux équipes et je pense que nous pouvons y arriver.

Entretien réalisé par Marcel Lévy