Bye bye Best Buy

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Tous les marchés suivent une évolution de maturité. C’est d’autant plus vrai pour les déplacements d’affaires qui abordent une nouvelle phase de développement. Mais pour bien comprendre ces évolutions, un retour dans le passé s’impose.

Phase 1 : En 2008, nous sommes passés de la surveillance du marché au contrôle puis à l’hyper-contrôle. Nous nous sommes fédérés (acheteurs et travel managers) au travers d’associations professionnelles. Nous avons eu accès à des études, des livres blancs et mieux, nous avons commencé à toucher plus sérieusement aux outils de réservation, de paiement voire de notes de frais.
Le fait d’instaurer la mesure les dépenses sur un marché non contrôlé permet généralement de gagner environ 30%. Les Britanniques appellent ça les "Low hanging fruits" (Beaucoup de résultats pour peu d’efforts). C’est la fin du "passager" et la naissance du "client". Les Best Practices sont mises en avant car il faut éduquer le voyageur et diriger par l’exemple.

Phase 2 : Dès 2010, une foultitude d’applications et d’outils sont apparus, poussés par les solutions dites « en ligne » et par les terminaux informatiques devenus portables (Ipad, Android entre autres). Cet accès facilité à l’information crée une réelle zone de turbulences pour les acteurs historiques. Les opérateurs de second rang (n’ayant pas accès aux circuits de distribution classiques) dits « nouveaux entrants » ont soudainement accès au marché qui ne demandait qu’à en profiter. Le best buy est alors à son apogée et se marie avec les Best Practices, générant parfois un sentiment d’oppression par le voyageur. Le voyageur Y débarque dans les entreprises.

Phase 3 : A partir de 2012, les offres se sont structurées, les alliances se sont forgées et les images de marque ont évolué. Les opérateurs historiques réagissent et proposent des contre-offres. Les nouveaux entrants montent en maturité. On parle alors de e-TMC, de HBT, de low-fare et moins de low-cost… Ces offres crédibles savent séduire les entreprises clientes car elles apportent de réelles perspectives d’économies qui tiennent dans la durée grâce à une fidélisation et une prise en compte des voyageurs.

Phase 4 : 2014 voit la consolidation de certains nouveaux entrants mais aussi la diversification des grands groupes qui avaient pourtant juré, lors de la phase 2, qu’ils ne toucheraient jamais aux frais ancillaires et aux tarifs low-fare. Devant cette nouvelle multiplication des offres qui n’intègrent pas tous les outils dorénavant, l’Open booking fait son apparition. En clair, on donne au voyageur un budget et un périmètre dans lequel il peut "jouer", puis on "compte les points". Cet aveu d’échec de la part des responsables de marché n’aura pas une forte emprise en France, contrairement aux pays anglo-saxons plus habitués à manager par l’exemple que par la direction.

Phase 5 : En 2016, fatigués des dérives de coûts, les acheteurs appuyés par les travel managers se mettent en ordre de marche et imposent une régulation au marché. Les appels d’offres se font plus précis. Ils quittent progressivement l’obligation de moyens pour l’obligation de résultats. Mieux, le best buy est progressivement abandonné au profit de configurations technico-commerciales qui encadrent les déplacements des voyageurs. Ils réfléchissent en coût complet (TCO) délaissant ainsi les actions non rémunératrices mais chronophages (et donc structurellement trop onéreuses pour le peu de bénéfices retirés). Les voyageurs plébiscitent ce changement car ils ne supportent plus de passer 20 minutes pour réserver un Paris-Milan sur un outil archaïque ou mal configuré. Ils deviennent encore plus exigeants.

Phase 6 : En 2018, la glace craque sous le poids du marché qui devient alors une simple "commodité achat" gérée par les acheteurs souvent beaucoup plus engagés dans la gestion quotidienne et à la manœuvre dans la gestion budgétaire. Les start-ups continuent leur consolidation et sont, soit absorbées par des groupes qui s’achètent la conservation de leurs parts de marché, soit elles disparaissent par faute de capitaux ou d’actionnaires qui se retirent car ils ne comprennent pas qu’il faille attendre un certain temps pour avoir de la rentabilité.
Les nouvelles offres explosent (Level, Joon, Rouge…), les contenus sont enfin enrichis grâce au NDC, les plateformes de réservation évoluent bref, le pilotage devient possible pour qui sait s’associer avec le fournisseur qui saura proposer une véritable et complète place de marché. Le voyage s’achète de plus en plus par le client final sur des sites assurant la totalité de la chaîne du déplacement.

Phase 7 : En 2020, les avions vont changer la donne. L’A321 NEO LR, l’A350 et le 787 ouvre la voie à des niveaux de service parfaitement adaptés aux nouveaux besoins des clients. La Compagnie, Air Transat, Norwegian, French Bee et d’autres l’ont compris et proposent d’ores et déjà des classes spécifiques, des services nouveaux, des départs de province pour des destinations intercontinentales car la capacité moyenne de ces appareils rend ces trajets possibles. Les consommations de carburant sont inférieures à celles des appareils classiques et la rentabilité sur ces lignes transversales est meilleure.
De fait, le circuit de distribution va évoluer pour refléter ces différentes offres. La TMC n’a alors d’avenir que si elle est active. Dans cette phase, il y a fort à parier que la Blockchain fera son apparition sur le marché des déplacements, poussée par une TMC active. Active, car elle permettra un bien meilleur contrôle des échanges et une traçabilité nettement améliorée, tout en s’affranchissant des contraintes des opérateurs actuels et historiques souvent réticents à partager leurs outils ou leur savoir. La généralisation de la blockchain sera vraisemblablement le point principal de la phase 8 qui arrivera, vous l’aurez compris, en 2022…

Conclusion : Vous pouvez constater que tous les cycles mentionnés courent sur 2 ans, mais difficile de faire de la prospective tant les paramètres sont nombreux (Prix du pétrole, santé de l’économie, géopolitique…) et instables. S'il n’a ni la structure ni les compétences complètes pour piloter cette commodité, l’acheteur devra déléguer la veille et le pilotage aux TMC capables d’avoir une vue globale.
Dans les RFI/RFQ, il faudra donc questionner les TMC sur leur organisation achats et leur façon d’assurer cette veille afin de profiter des offres du marché dans leur totalité, que les opérateurs soient historiques ou nouveaux nonobstant leur champ d’activité (éditeurs, transporteurs, distributeurs, loueurs…). Il faudra alors réfléchir uniquement en TCO (coût total d’acquisition) et avoir une obligation de résultats avec son partenaire. C’est une nouvelle approche achat nécessaire car l’acheteur doit libérer du temps pour travailler sur des marchés naissants ou en pleine évolution générés par la reprise mondiale de l’économie.

Yann Le Goff,
Acheteur.