Edmond Richard, Air Caraïbes : « Nous sommes prêts à affronter Level »

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Les Caraïbes ne sont pas la destination la plus business du globe, mais entre les administrations et un tissu non négligeable de PME/PMI, les voyageurs d'affaires sont bien présents sur les dessertes des Dom-Tom. Air Caraïbes s'est adaptée pour répondre aux besoins de ces professionnels. Ses produits, son réseau et la relation nouée avec ses clients lui permettent de voir arriver Level sur les Antilles avec confiance.

2017 a été une bonne année pour Air Caraïbes. Elle est passée de 990 000 passagers long-courriers en 2016 à 1,130 million en 2017. Le cap de 1,5 million de voyageurs est atteint en comptabilisant son activité domestique. Ses parts de marché sur les Antilles ont aussi progressé d'un point pour parvenir à environ 35%.

Cette croissance a été entre autres portée par les 2 nouveaux A350 qui offrent 7% de sièges supplémentaires et une meilleure expérience de voyage.

Ces nouveaux appareils ont conduit le transporteur français à lancer la modernisation de sa flotte d'A330. Les deux derniers appareils vont être retrofités en mai et juin prochain. L'entreprise disposera ainsi d'une flotte moderne au moment de l'arrivée de son nouveau concurrent low-cost Level sur son principal marché, La Guadeloupe et la Martinique. C'est en tous cas ce que défend Edmond Richard, Directeur Commercial Europe d’Air Caraïbes.

DéplacementsPros : L'arrivée de Level sur la Guadeloupe et la Martinique ne vous inquiète donc pas ?

Edmond Richard : Nous avons une flotte performante de nouveaux avions ou entièrement retrofités, les fréquences qui vont bien - nous sommes en effet les seuls avec Air France à être quotidiens, même en période creuse – des coûts de production bons. Nous avons tous les atouts pour faire face à l'arrivée de Level entre Paris-Orly et les Antilles. Autre atout : nous avons une clientèle affinitaire importante. Nous sommes la compagnie des Antilles, notre siège est là-bas. Il y a un affect fort avec la population.

Sur la question tarifaire, Air Caraïbes a aussi du répondant. Lorsque Level a lancé son offre de voyage sans bagage à 99€, fin 2017, il est certain que nous n'étions pas alignés. Mais concernant son tarif bagage à main – à 449€ - nous étions tous - avec Air France et Corsair - à 378€. C'est finalement assez paradoxal. Le nouvel entrant a un prix d'appel agressif mais sur le tarif que 90% des gens utilisent, Air Caraïbes propose des prix moins élevés. Et encore aujourd'hui, nous sommes régulièrement inférieurs sur le tout-compris.

Par ailleurs, nous proposons, nous aussi, pour la clientèle intéressée une offre sans bagage (mais avec repas) depuis le mois d'octobre. Toutefois elle n'est disponible que sur notre site, les agences - surtout corporate - ne sont pas intéressées. Elles ne veulent pas gérer de litiges avec les clients qui achètent par inadvertance ce type de billet. En effet, le sans bagage n'est pas encore une norme sur le long-courrier.

Bien sûr, ce type d'offres va finir par arriver sur l'international. Cela se généralisera et entrera dans les mœurs... à mon avis, le jour où la compagnie nationale l'adoptera. Et nous serons, là aussi, prêts à répondre à la demande. Mais pour le moment, elle est encore faible.

DéplacementsPros : Quels sont les projets d'Air Caraïbes pour 2018 ?

Edmond Richard : 2018 sera une année de consolidation. On doit consolider les dessertes de Cuba lancées en décembre 2016 et Punta Cana qui était opérée auparavant par French Bee.

Il y a du travail sur Cuba. La partie corporate est très spécifique puisque les grosses TMC sont américaines et ne peuvent pas vendre cette destination. Pourtant, ça bouge sur l'île, beaucoup de corporate veulent y aller pour prospecter. Il y a par exemple Bouygues qui y est très présent avec la construction d'hôtels ou d'infrastructures. Il y a Pernod Ricard qui gère Havana Club mais également les compagnies maritimes ou les entreprises qui veulent se positionner sur ce marché de plus en plus ouvert.

En 2018, nous allons aussi augmenter nos fréquences sur Cayenne dont nous fêtons les 10 ans de la ligne cette année. Au mois de juin, nous proposerons 5 vols par semaine (lundi, mercredi, jeudi, vendredi, dimanche). Les voyageurs d'affaires ne pourront plus nous éviter ! Nous avons, en effet, un problème sur cette destination : nous sommes référencés par les acheteurs mais les voyageurs d'affaires semblent souvent vouloir voyager le jour où nous n'avons pas de vols.

En augmentant ainsi nos fréquences, nous visons presque la moitié du marché guyanais. Nous sommes aujourd'hui à environ 40%. En plus, avec notre produit A330 amélioré proposant un vrai siège Premium et une business modernisée, nous répondrons encore mieux aux attentes des voyageurs d'affaires.

Et pour mémoire, nous passons en quotidien l'été en jouant sur les contresens Antilles. A cette période, il y a un déséquilibre : les gens vont aux Antilles en juillet et peu en partent, et c'est l'inverse en août. La Guyane enregistre des flux contraires. Les jours où nous n'avons pas de vols directs sur la Guyane, nous avons la possibilité de faire voler un Paris - Pointe à Pitre jusqu'à Cayenne. Cette année, nous aurons 5 directs, dont 2 via sur la Guyane .

Avec le centre spatial et les administrations - notamment les militaires et le ministère de la Défense - il y a une forte demande Corporate sur cette destination – d'autant plus qu'il a été décidé l'année dernière d'augmenter les effectifs sur place. La compagnie enregistre une part de voyageurs d'affaires de 20% environ sans compter les PME/PMI. Les horaires du vols du dimanche ont d'ailleurs été pensés pour répondre aux besoins des corporates guyanais. L'avion arrive très tôt le lundi matin à Paris. Ils peuvent ainsi enchaîner sur leurs rendez-vous ou formations sans perdre de temps.

DéplacementsPros : Sur les Antilles et la Guyane, vous travaillez avec beaucoup d'administrations. Quelles sont leur différences par rapport aux entreprises ?

Edmond Richard : Les administrations ont des politiques voyage et les appliquent vraiment ! Dans les grands groupes de métropole, il y a une politique voyages, mais elle n'est pas toujours suivie par les voyageurs d'affaires.

Les administrations s'appuient principalement sur le best buy. Ce n'est pas très compliqué de travailler avec elles. Finalement, le plus dur est de les suivre. Elles changent souvent d'agences.

Aux Antilles, notre relation avec les entreprises est différente. Nous avons une vraie proximité avec elles. Nos offres ont du sens pour les corporates antillais puisque nous avons aussi bien des vols long-courriers que régionaux. Nous avons d'ailleurs mis au point pour les PME l'offre Flexi Pro. C'est similaire à une carte de parking prépayée avec des unités. Elle n'est pas nominative. Ainsi, l'entreprise peut utiliser les crédits - selon un barème prenant en compte la classe ou le type de vol - pour l'ensemble de ses collaborateurs. Les réservations sont modifiables et remboursables full flex et se font via notre site. Il faut juste prépayer cette carte. Sur le long-courrier, les crédits sont vite utilisés cela représente par exemple 3 aller-retour en classe Madras.

L'offre a été lancée il y a environ deux ans, elle marche très bien aux Antilles. Il y a une réseau de PME important qui ne travaillent pas forcément avec une agence. Nous œuvrons maintenant à faire connaître cette option carte aux PME/PMI et aux professions libérales de la métropole.

DéplacementsPros : Quelles sont vos lignes les plus corporate ?

Edmond Richard : En ce moment, c'est Saint-Martin. Ce n'est pas du tout traditionnel. Les professionnels s'y rendent dans le cadre de la reconstruction après le passage de l'Ouragan Irma en septembre dernier.

Nous avons été la première compagnie à retourner sur l’île. En tant que compagnie caribéenne, nous devions envoyer un signal fort aux habitants. Cela n'a pas été évident. Il y avait de nombreuses difficultés opérationnelles (catering, carburant, hébergement des équipages) mais commercialement, nous avons été agréablement surpris. Il n'y a pas assez de ressources sur place pour la reconstruction. Ainsi beaucoup d'entreprises françaises ou étrangères (portugaises, italiennes...) font venir de la main-d’œuvre française ou européenne. Nous enregistrons de bons taux de remplissage sur la ligne. Et à ce titre, Air Caraïbes repassera à deux fréquences hebdomadaires cet été contre une le samedi actuellement. Nous volons aussi quotidiennement vers Saint Martin au départ de Pointe à Pitre.

En dehors de cette activité ponctuelle sur Saint Martin, le titre de meilleure destination Business d'Air Caraïbes en terme de valeur absolue revient aux Antilles. En revanche, si on prend le trafic, Cayenne remporte le match.

DéplacementsPros : Les clients Corporates ont-ils accès à l'offre French Bee ?

Edmond Richard : Il y a un codeshare entre French Bee et Air Caraïbes. French Bee est bien au BSP mais elle y commercialise uniquement le tarif smart et premium. Celui sans bagage et sans repas est uniquement disponible sur son site.

Sinon, toute l'approche de tarif négocié est faite via le codeshare. French Bee n'a pas les équipes pour prendre en charge le corporate. Ce n'est pas son cœur de cible. L'animation commerciale se fait donc via Air Caraïbes. Quand Air Caraïbes va à la rencontre de ses clients comme le ministère de la Défense par exemple, elle présente aussi les offres French Blue comme Papeete. Ainsi les entreprises ont un seul contact.

DéplacementsPros : La liaison Paris – Tahiti de French Bee, qui décollera le 11 mai, pourrait attirer des voyageurs d'affaires avec son escale à San Francisco?

Edmond Richard : En effet. Sur Papeete, les clients corporates auront un profil similaire à ceux des Antilles : administrations, ministères, militaires... En revanche, San Francisco va être une découverte. Il y a un potentiel avec la French Tech, la silicon valley. Ce sont des marchés que l'on connaît moins bien. Nous allons devoir les identifier et aller à leur rencontre.

DéplacementsPros : Cette ligne est une nouveauté French Bee. Air Caraïbes va-t-elle, de son côté, étendre son réseau ?

Edmond Richard : Air Caraïbes est vraiment dans une logique de consolidation et de développement des dernières ouvertures. Nous n'avons pas de nouvelle destination en vue. En outre, à court terme, cela serait complexe. L'ensemble de notre flotte est utilisée. Il faudra attendre l'arrivée de notre A350-1000 prévu pour 2020.

Entretien réalisé par Sophie Raffin