Faut-il opposer l’IA à la BH ?

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Aux États-Unis comme dans la plupart des pays du monde, il y a incontestablement deux sujets qui sensibilisent les lecteurs : le bitcoin et l’intelligence artificielle. Le premier a peu de place dans le monde du voyage d’affaires si ce n’est quelques compagnies qui, pour faire un coup de pub, annoncent qu’elles l’acceptent en règlement du prix d’un billet. Le second sujet s’insinue partout. Il occupe l’espace médiatique et technologique à tel point qu’on lit tout et n’importe quoi sur son avenir.

Une étude menée par le centre du comportement de l’université de Floride démontre que la perception d’une nouvelle technologie est loin d’être la même selon la classe sociale, l’activité professionnelle et l’exposition aux médias. On s’en doutait un peu, même si le chercheur à l’origine de ce travail précise : "C’est toujours l’interprétation de la finalité qui diffère d’un individu à un autre, chacun donnant à la technologie la vision qu’il souhaite trouver dans son futur".

Ce n’est pas la première fois que l’innovation inquiète et rassure tout en offrant des promesses qui, pour certaines, tiennent plus du rêve que de la réalité. Mais cette évolution technologique que nous traversons depuis maintenant une vingtaine d’années, a le plus souvent apporté les grandes mutations attendues par les voyageurs d’affaires : la rapidité et la simplification. L’intelligence artificielle, telle qu’elle est développée aujourd’hui par les grands fournisseurs du business Travel ne vise rien d’autre. Bien sûr, en intégrant des outils de personnalisation qui permettent de mieux connaître le voyageur, on entre dans l’univers du privé, une sphère qui ne saurait être violée et que chacun veut préserver farouchement. Contrairement au tracking publicitaire sur internet et les réseaux sociaux, on sait dans les entreprises verrouiller ses datas… Ou presque !

Faut-il voir dans la connaissance des déplacements professionnels de tel ou tel salarié une information si confidentielle que la dévoiler mettrait en péril sa propre vie et celle de son environnement ? A priori, et dans certains cas, on pourrait répondre positivement à cette question. Sur des destinations sensibles ou l’intégrité physique peut être menacée, il est naturel de garder secrètes les informations basiques d’un déplacement. Mais ce cas de figure est assez rare, et ne concernerait dans l’absolu que le millier de voyageurs sensibles identifiés par le ministère des affaires étrangères en France. Pour les autres, cette confidentialité - tant qu’elle reste au sein d’une machine - n’a que peu de conséquences sur le quotidien.

Bien évidemment, on entend désormais tout et n’importe quoi sur l’intelligence artificielle. Des propos parfois extrêmes qui nous font plonger dans les peurs du futur. Les mêmes que celles que nous avons traversées il y a 50 ans avec l’arrivée de l’ordinateur et, plus tard, du téléphone portable. Rappelons-nous les écrans qui devaient nous rendre aveugle en quelques mois et les ondes émises par le téléphone qui allait irrémédiablement brûler notre cerveau dès le premier appel. Certes, il ne faut pas minimiser les dangers. Ne pas les reléguer au fin fond de ses préoccupations sous prétexte que l’apport technologique est plus important que le danger qu’il apporte.

Plus d’une dizaine d’études se penchent depuis l’année dernière sur l’utilisation raisonnée de l’intelligence artificielle. La plus avancée, menée par l’université de Californie (UCLA) se veut plus que rassurante. On comprend à la lecture du document de travail que l’homme reste maître des outils et qu’il y a dans le terme « intelligence artificiel » plus d’artificiel que d’intelligence. Pourquoi cette peur ? Pourquoi faut-il que ce soit les concepteurs des structures technologiques les plus complexes qui se fassent les robins des bois de cet avenir sombre promis par la machine ? Là aussi, la réponse est universitaire. La plupart des chercheurs en comportement évoquent, sur ce sujet, la fin des différences intergénérationnelles au bénéfice des seuls outils du quotidien. La compétition et le besoin de résultats n’ont pas d’âge au sein de l’entreprise !

En clair, un voyageur d’affaires de moins de 30 ans aura globalement les mêmes préoccupations qu’un cadre d’une cinquantaine d’années. Ce qui change, d’après les chercheurs, c’est le niveau de peur face aux profondes modifications qu’apporte la technologie. C’est une vision irrationnelle, difficilement maîtrisable mais qui pilote aujourd’hui la vision que nous avons, vous et moi, de ces lendemains très numériques.

Alors, comme dans tous les excès, les interprétations qui sont faites frôlent plus souvent la bêtise que l’intelligence. On imagine déjà ses robots autonomes qui prendront le pouvoir et renverront l’humanité à une quelconque servitude pilotée et dirigée par des machines. La science-fiction qui anime le cinéma nous a forgé une opinion qui, pour la majorité des chercheurs du domaine, n’existera jamais. Et c’est aussi ce que nous apprend l’étude californienne. La grande force de l’homme… c’est sa bêtise. On peut sourire à la lecture de ce constat mais les explications qui sont fournies sont d’une transparence sans égale. L’homme est suffisamment stupide pour s’effrayer lui-même et mettre un terme à des recherches qu’il pourrait considérer comme dangereuses.

J’avoue que la lecture de cette étude, publiée il y a quelques semaines dans un quotidien new-yorkais, me laisse perplexe. Ce sont les mêmes propos que nous avons entendu avec le développement de la bombe atomique et les fusées stratégiques, devenues aujourd’hui des armes de destruction massive effrayantes. Mais lorsque l’on évoque cet exemple, tous les spécialistes le disent : "L’homme est un destructeur de l’homme pas de l’humanité". On peut le croire car les exemples ne manquent pas. L’IA a sa façon est la lutte du bien contre le mal.

On peut donc désormais opposer l’intelligence artificielle à la bêtise humaine. L’IA contre la BH. Il faut bien avouer que nous avons des dizaines de cas concrets qui démontrent que l’homme est à la base de la plupart des catastrophes du quotidien. Prenons les accidents d’avions, 9 sur 10 sont le fait d’erreurs humaines même si personne ne saurait nier que le transport aérien est le moyen de se déplacer le plus sûr au monde. Et ce, malgré l’installation à bord des avions d’ordinateurs puissants, de pilote automatique et de systèmes de suivi par satellite. L’homme se trompe, sait se tromper et corriger ses erreurs. C’est a priori ce qu’il a commencé à faire avec l’intelligence artificielle en lui donnant des limites, des objectifs et des frontières suffisamment claires pour que les bénéfices dépassent très largement les risques.

Aucun scientifique n’a de doute sur le sujet. Leur seule crainte : que les journalistes continuent à maintenir la peur de la machine. Il paraît que c’est bon pour la vente des journaux.

A New York,
Philippe Lantris