L’AFTM propose une bible sur la prévention des risques en déplacement pro

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Officiellement, c’est un livre blanc. Dans la réalité, c’est un ouvrage plus que complet sur la prévention des risques en déplacement professionnel qui aborde la sûreté sous toutes ses formes. La première version, publiée en 2013, présentait quelques absences que l’édition 2018 comble et complète. Il devrait, sans aucun doute, devenir le livre de chevet des acheteurs voyage et des Travel manager.

D’emblée, les auteurs précisent que "le terme sûreté (sécurity en anglais) a été retenu dans ce guide plutôt que celui de sécurité (Safety en anglais) pour éviter toute confusion dans la compréhension et les détails évoqués dans le texte ». Une mise en garde utile tant la confusion est de mise au sein des entreprises. De fait, la sécurité consiste à prévenir tous les accidents, par définition non volontaires. La sûreté concerne tout ce qui est actes malveillants à l’encontre d’un matériel ou du personnel.

Cela pourrait sembler être un détail, mais il a toute son importance dans une chaîne qui doit faire la part belle à la prévention du risque et à sa gestion. Pour autant, l’ouvrage ne veut pas donner de modèle unique d’organisation. On y retrouve des pistes de travail et de développement qui parfois peuvent apparaître anxiogènes même si, a priori, c’est à chaque entreprise d’adapter sa vision aux solutions qui sont proposées.

Le plan retenu pour l’ouvrage, pardon le Livre blanc, a été construit autour de l’état géopolitique du monde, de la jurisprudence et des préconisations d’organisation que proposent aujourd’hui les responsables sûreté dans les entreprises. Cela ne veut pas dire pour autant que chacun des paragraphes corresponde à une situation qui se voudrait "universelle", vécue par les voyageurs d’affaires d’une entreprise. Le choix même des outils, chapitre développé en fin de l’ouvrage, démontre que la palette offerte aux acheteurs, Travel managers et référents voyage est vaste.

Preuve de l’implication des rédacteurs au sein des entreprises, des avis d’expert sont publiés pour replacer la problématique de la sûreté dans la réflexion de l’entreprise. Le premier d’entre eux, proposé par Denis Favier le directeur sûreté du groupe Total donne le ton : "Des crises peuvent naître très rapidement sous des formes variées. Aucun territoire n’est épargné". On comprend en une phrase qu’il n’est pas évident de cerner les possibles problèmes qui peuvent naître lors d’un déplacement professionnel. La notion même de « risque », évoqué dans chacun des chapitres cités ci-dessus reste complexe. On verra d’ailleurs que si l’impréparation peut conduire à des situations catastrophiques, trop de préparation noie le risque et rend difficile la compréhension des process engagés, que ce soit pour l’assurance et/ou l’assistance.

Une vision élargie de la sûreté

À l’évidence, ce nouveau document s’adresse en priorité aux grandes entreprises. C’est peut-être le seul défaut qu’on lui trouvera et encore, nous l’avons évoqué, chacun peut adapter l’information à ses besoins. D’autant, et les auteurs le précisent rapidement, que l’état du monde n’est pas le même en fonction des univers couverts par l’entreprise. Peu de chances qu’un salarié dans l’univers de l’agroalimentaire européen soit exposé à autant de risques qu’un salarié du pétrole en Afrique.

Pour le vice-président de l’AFTM, Claude Lelièvre, "Le risque est désormais partout, sous toutes les formes et à tous les niveaux". On vient d’ailleurs de le vivre dans la banlieue de Carcassonne. D’autres l’ont côtoyé au milieu du Sahara. Cela veut-il dire que la préparation doit être à l’identique dans les deux cas ? Là encore, et c’est le but du livre blanc, les auteurs restent prudents et préfèrent évoquer la notion de danger immédiat pour souligner toute situation extrême dans laquelle se trouverait un voyageur d’affaires. "Nous avons veillé à ne pas systématiser la peur du risque dans notre analyse", détaille Claude Lelièvre, "Il nous semblait essentiel de responsabiliser l’entreprise qui doit, seule s’imposer ses règles et ses process en fonction des besoins et de l’analyse du risque ».

On retrouve ainsi la notion de « responsabilité d’entreprise » qui s’applique dès qu’un salarié se déplace. Et le niveau de risque est multiple : de l’accident de transport aux risques sanitaires. Du désordre politique et social au terrorisme. Chacune de ces familles est détaillée. Le livre blanc évoque naturellement les formes du risque que l’on pourrait croiser, les formes multiples qu’il peut prendre sur le terrain et les réponses possibles à apporter.

Que dit la loi pour aller plus loin ?

Comme il ne saurait y avoir de constat sans législation et jurisprudence, le document aborde clairement ce sujet sans pour autant commenter les textes au regard de la vision juridique que pourrait apporter un tribunal en fonction d’une situation précise. C’est une neutralité appréciable à une époque où l’interprétation prime souvent sur les faits.
Bien évidemment, le fameux arrêté Karachi est évoqué, tant il sert aujourd’hui de base à la compréhension du besoin de sûreté au sein des entreprises. Mais au-delà, si le code du travail permet une définition de l’activité du salarié, l’union européenne s’est elle aussi attachée à donner sa vision des règles d’exercice professionnel au sein de la communauté. Il en découle naturellement des règles et des lois qui prennent en charge la protection du travailleur quel que soit le pays où il se trouve. Mais de la profusion nait la confusion.

Que dit le Livre blanc à ce sujet ? Il rappelle tout d’abord les obligations de l’employeur dans ce domaine. Il reprécise la nature même du besoin de rapatriement lorsqu’il existe. Enfin, il établit la responsabilité de l’employeur face au droit du travail et en rappelle les grandes lignes. Cela peut paraître une évidence, mais peu d’entreprises sont conscientes de la masse de textes et de lois qui s’appliquent autour des déplacements professionnels.

De cet ensemble de constats, les rédacteurs égrènent les grands principes clés qui sont devenus aujourd’hui des références. Ils rappellent d’ailleurs que la faute inexcusable à une définition assez claire et s’applique lorsque l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger, ou si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié. Une petite phrase qui fait le bonheur des avocats et qui se niche jusque dans le temps libre du salarié lors d’un déplacement professionnel. Le bleisure devient un risque social plus qu’un moment de détente pour le salarié !

On le comprend vite, cette jurisprudence est loin d’être anodine. Celle née de l’attentat de Karachi a permis de dresser la part de responsabilité de l’entreprise et les moyens de protection à mettre en place pour y répondre. Tout naturellement, ce chapitre lié à la jurisprudence évoque aussi le droit de retrait du salarié, son retour en France et la notion de responsabilité qui lui incombe. Cela peut apparaître un détail, mais il est essentiel de bien comprendre le lien de subordination et donc les obligations du salarié en matière de déplacement professionnel. Toute entreprise aujourd’hui l’aborde dans le cadre de son règlement intérieur ou détermine des règles précises lors des missions à l’étranger.

Le sujet est encore trop neuf pour être abordé mais certaines entreprises font également signer des déclaration de « prise de conscience » à leurs salariés qui sont ainsi informés des limites acceptables lors des espaces de bleisure. Difficile de savoir la valeur juridique d’un tel document.

À l’image de la politique voyages, on se dit aujourd’hui que la politique sûreté doit accompagner l’entreprise dans la mise en place de règles claires lors des déplacements professionnels. Peut-on pour autant conseiller à une société d’assurer elle-même l’écriture et la réflexion autour de ce sujet ? Tout cela nous semble difficile en raison de l’absence constatée de communication sur ces sujets auprès des voyageurs. Si le Travel manager fait appel à des entreprises spécialisées, la chaîne d’information n’est pas toujours au point et la localisation des voyageurs, pourtant devenue un sujet récurrent au sein des agences de voyages, reste encore défaillante.

Beaucoup d’experts, souvent guidés par l’expérience, conseillent aux entreprises de dresser dans un premier temps le tableau des risques potentiels en fonction de leur destination. Cela ne veut pas dire qu’ils en éliminent d’autres mais qu’ils se focalisent principalement sur la notion de danger réel, immédiat et perçu.
Au-delà, si la sûreté est un élément essentiel, la protection sanitaire n’est pas à négliger. Elle peut s’appliquer aussi bien au moment de choisir un hôtel, de se rendre dans un pays à risques, d’être soi-même en situation de faiblesse lors d’un voyage d’affaires. Tout cela ne saurait se faire dans l’urgence. D’où le plan proposé par le Livre blanc qui invite les sociétés à constituer leur programme d’intervention en cas de crise avec, à la clé, toutes les solutions envisagées face aux problèmes.

Arrêtons-nous un instant sur cette notion de « cellule de crise ». Le livre blanc lui donne des contours que peu de PME/PMI voire d’ETI pourraient développer. Mais il évoque ce que l’on pourrait appeler "l’anticipation de la sûreté". Une ébauche de toutes les solutions disponibles qui peut être activée lors d’un événement gravissime où se vivent les incidents. De fait, c’est bien en amont que l’ensemble des solutions potentielles doit être abordé, chiffré, détaillé et communiqué à l’ensemble des acteurs qui auront à intervenir… Y compris le salarié qui se doit d’être rassuré.

Peut-on envisager une solution technologique ?

Dans ce Livre blanc, l'avenir se concrétise par un chapitre qui aborde les outils virtuels ou non associés à la réflexion sûreté. Les modèles donnés sont nombreux, là encore un peu trop anxiogènes parfois, mais nécessaires à la bonne compréhension du process qui doit se mettre en place en matière de sûreté.
Enfin si l’assistance est évoquée, il n’en demeure pas moins qu’elle mériterait à elle seule des analyses de process plus détaillées permettant de faire le choix d’un fournisseur capable de répondre à toutes les situations, dans un grand nombre de pays et avec la rapidité attendue par l’entreprise.
On pourrait également regretter que la notion « d’assistance familiale », récente il est vrai, et dont la mission est de gérer les proches du salarié concerné par le risque, ne soit pas plus précisée. Cette cellule psychologique « globale » en cas de crise forte pourrait être évoquée plus largement au sein de ce document de travail, véritable référence à ce jour.

Bien évidemment, l'une des questions qui se posent à la lecture de l’ouvrage, c’est l’apport de la technologie en matière de sûreté. Si l’on peut imaginer que la géolocalisation acceptée par tous devienne une règle lors des déplacements à l’étranger, il est également indispensable de savoir comment les outils proposés aux voyageurs seront susceptibles de devenir des aides actives en cas de problème. On a vu que l’arrivée des boutons « panique » sur les applications dédiées offrait aux assisteurs un premier contact efficace avec le voyageur en difficulté.
Au-delà, quelles seront les solutions qui permettront d’activer très rapidement les moyens concrets à mettre en place en cas de problème ? Et cette interrogation est légitime au vu du développement des offres collaboratives dans le monde, que ce soit pour l’hébergement ou le transport, deux domaines qui restent encore un peu faibles en matière de sécurisation de leurs offres.

Tous ces défis sont abordés dans le Livre blanc de l’AFTM, fruit d’un travail collaboratif piloté à la fois par des acheteurs et des responsables sûreté dans les grandes entreprises. C’est là toute sa force. Il n’est pas le fruit d’une réflexion théorique mais bien celui de l’exercice quotidien d’une responsabilité dans le suivi des voyageurs d’affaires. Voilà qui lui donne toute sa valeur.

Le feuilleter et le conserver auprès de soi est rassurant pour l’acheteur, le TM et l’éventuel responsable « sûreté » quand il existe. Au-delà, il faut s’en imprégner pour revoir ses process et son organisation ou envisager ses propres réponses, même dans les TPE. C’est toute la mission d’un ouvrage qui fera date dans la relation entre l’entreprise et ses voyageurs d’affaires.

Marcel Lévy

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