La bataille des airs va-t-elle profiter aux acheteurs voyages ?

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Les dix doigts des deux mains ne suffisent plus aujourd'hui pour compter le nombre de compagnies aériennes qui, au départ de Paris depuis ce début d'année, proposent, toutes réunies, plus d'une centaine de destinations dans le monde.

La concurrence qui fait rage, renforcée par l'arrivée de la low cost du groupe IAG, Level, est sans aucun doute une bonne nouvelle pour les acheteurs et Travel manager… à condition d'être attentif aux différents marchés. Face à la diversité de l'offre, les acheteurs peuvent désormais optimiser leurs achats aériens en pariant aussi bien sur des compagnies régulières que sur des low cost et les voyageurs bénéficient d'horaires alternatifs pour leurs destinations. Il reste désormais à trouver les outils, et le temps, pour mettre en œuvre un process nouveau qui ne saurait laisser de côté le voyageur.

Si l'on regarde les promotions de la semaine, que ce soit en classe affaires ou en classe économique, le prix du transport aérien est en chute libre depuis quelques années. Toutes les études le montrent, si la hausse en volume est spectaculaire (7,6%) il n'en va pas de même en termes de valeur (2,1%). Et c'est là, toute la problématique que rencontrent les transporteurs aériens qui, à produit quasi identique, sont obligés de se battre sur les tarifs pour tirer leur épingle du jeu. Un exemple parmi tant d'autres : le choix des destinations proposées par ces nouvelles compagnies doit prendre en compte un mixte difficile entre le loisir et l'affaire. Autant le dire, les risques d'erreurs sont nombreux pour ce que Willie Walsh, le patron d'IAG qualifiait en 2015 de "nouveau marché des autobus des airs".

La dernière réponse en date apportée par les compagnies régulières se résume en quatre mots : low cost long-courrier. Et encore, certaines comme Joon vont débuter sur le court courrier avant de s'engager sur des voies plus lointaines. À la différence des autres, la compagnie que va lancer Air France début décembre se construit autour d'un schéma plutôt traditionnel : trois classes à bord et des pilotes loin d'être au rabais. L'économie se construit ailleurs, autour du service proposé aux voyageurs et du personnel non commercial, moins bien payé que sur Air France. Marc Rochet, fondateur en son temps de l'Avion (devenu OpenSkies), aujourd'hui patron d'Air Caraïbes et de French Blue, reconnaît que "la recherche de la rentabilité dans le transport aérien est essentielle au développement et à la survie des compagnies". Comme pour toute entreprise. Mais à condition, ajoute-t-il de "comparer le comparable". De fait, tout n'est pas idyllique dans le low cost long courrier.

"La maturité des achats aériens passera par une profonde analyse de son propre marché et une remise à plat des habitudes", expliquait Christophe Drezet d'EPSA lors du dernier Baromètre IFTM Top Resa, "Il y a tout un nouveau process à développer pour ne pas voir s'envoler son budget transport alors que les prix baissent et que les capacités proposées augmentent à nouveau. C'est un travail à mener de concert avec la TMC et les compagnies".

Comparer et acheter malin ? Un programme que connaissent bien les acheteurs qui passent une grande partie de leur temps à optimiser leurs coûts. Mais ne nous trompons pas, les outils que préparent les compagnies aériennes avec la mise en place de NDC vont rendre plus compliquer la recherche du meilleur prix et des services associés. Quid de la valise, du repas, du salon au sol… même s'ils apparaîtront clairement sur l'écran, pas certain que l'on pourra les gérer aussi facilement. L'acheteur le sait, la politique du prix d'appel n'est pas celle qu'il pratique. Il veut un service global.

A en croire certains spécialistes, des compagnies comme Joon, directement opposées à Transavia, Level, Norwegian et consort, n'auraient aucun intérêt pour le voyage d'affaires. On sait aujourd'hui, Ryanair ou easyJet l'ont démontré, que c'est faux. Certes, pour des déplacements de très courte durée, généralement sur une journée, le besoin en fréquences est essentiel pour l'entreprise. Toutes les compagnies le savent et les tarifs sont au plus hauts sur ce type de déplacement. Mais pour beaucoup d'autres structures, souvent de petite ou de taille moyenne, l'optimisation du déplacement professionnel passe aussi par la recherche du meilleur prix dans le transport aérien. On le voit bien avec des promotions comme celle engagées par Oman Air ou Qatar Airways ces derniers jours, qui proposent une classe affaires quasiment au tarif d'une classe éco sur certaines grandes compagnies internationales. Et ces subtilités-là, le voyageur commence à les maîtriser parfaitement souvent avec la bénédiction de l'acheteur.

Cette recherche du meilleur prix, associée à l'optimisation du parcours (durée, escale, services au sol…) est même pour le voyageur d'affaires l'un des éléments clés d'un déplacement professionnel. Devenu spécialiste de la meilleure recherche tarifaire mais aussi du meilleur rapport qualité prix, il veut désormais sortir de la politique voyages au bénéfice d'une politique voyageur, parfois plus économique que celles proposées par l'entreprise, mais dans tous les cas de meilleure qualité. Et contrairement à ce que l'on pense, bien des entreprises ne sont plus opposées à cette vision du voyage d'affaires. Comme le disait il y a peu un acheteur d'une entreprise du CAC 40 : "Les politique voyages sont mortes, les agences de voyages devraient suivre si elles ne se reconstruisent pas et la distribution directe maîtrisée par les moyens de paiement deviendra dans les 10 ans à venir une base de travail pour tous les acheteurs du business Travel". Prémonition ou erreur de jugement ?

Une récente étude interne chez IBM a démontré que la part de l'avion dans le coût total d'un déplacement professionnel baissait de 5 % tous les 5 ans, à tel point que sur les classes économiques sur des déplacements optimisés, l'écart de dépense entre l'hôtel et l'aérien était inférieur à 20 %.

Bien évidemment, il serait illusoire de penser que cette course folle aux tarifs les plus bas va continuer. D'autant que l'on assiste du côté des voyageurs à une recherche de confort qui revient par les classe Premium voire les business class. Dans certaines entreprises européennes, pour des vols long-courriers, toute autre option est rejetée par les voyageurs qui préfèrent ne pas se déplacer plutôt que de mal voyager. Le manque d'efficacité associée à la pénibilité du déplacement leur fait dire qu'il vaut mieux un bon conf-call qu'un déplacement chronophage. Autre constat, mieux voyager c'est mieux acheter. Mieux contrôler, c'est souvent plus de liberté pour le voyageur. Bref, ce qui était simple et maîtrisé devient aussi compliqué que l'hôtellerie il y a cinq ans !

Mais qui dit offre pléthorique dit aussi que "les pièges et les chausse-trappes sont nombreux", comme l'évoquait il y a peu Jean-Louis Baroux lors du congrès APG de Monaco. Et les exemples ne manquent pas. Des Paris New York affichées à moins de 150 € deviennent très vite, avec quelques suppléments ou besoin de flexibilité, bien plus chers que les offres des compagnies régulières. On comprend mieux pourquoi le besoin de bien acheter est devenu essentiel dans le voyage d'affaires.

Philippe Lantris