Le SNPL d’Easyjet interpelle le fondateur de la compagnie

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C’est une lettre très dure que vient d’envoyer le SNPL d’Easyjet à Stelios Haji-Ioannou, fondateur de la compagnie et chantre du low cost à ses débuts. En quelques lignes, les pilotes dénoncent le forcing commercial qui met en danger les opérations et entraine retards et annulations. Le texte que nous publions ci-dessous et qui évoque un "programme irréaliste pour cet été", n’exprime que les opinions du SNPL d’Easyjet. Nous souhaitons donner la parole à Easyjet dès que nous aurons un contact avec la direction France.

« …Vous qui avez veillé à ce que chaque employé se sente considéré et respecté afin qu’il offre le meilleur de lui-même à chaque passager,
Vous qui n’avez jamais transigé avec la sécurité des vols en expliquant aux actionnaires qui se plaignaient de son coût : « Vous pensez que la sécurité des vols coûte cher ? Essayez un accident !". Vous qui avez toujours eu une vision et un œil novateur,

Voyez ce que les dirigeants successifs ont fait de votre compagnie aérienne…Un outil de profitabilité dans lequel l’employé est réduit à une variable d'ajustement, un coût, et le passager, à un profit.

Les équipes commerciales vendent un planning que les opérations en vol n'ont pas les moyens de réaliser car les multiples plans de réductions de coûts « LEAN » se retournent contre nous aujourd'hui, avec des fournisseurs qui ne peuvent plus honorer des contrats, sans cesse revus à la baisse. C'est le client qui malheureusement se retrouve victime de cette spirale infernale avec des annulations de vols quotidiennes, des agents qui ne savent pas quoi leur répondre ni même leur trouver une chambre d’hôtel. Quand nos clients en viennent aux mains, comme à l’aéroport de Nice il y a quelques jours, c’est qu’un stade ultime d’exaspération a été atteint !

Les équipages sont aussi poussés quotidiennement à leurs limites, limites qui sont devenues des objectifs. On demande maintenant aux commandants de bord d'utiliser, au maximum et sans s’en cacher, leur pouvoir discrétionnaire pour dépasser les limites légales de temps de vol. Tout cela afin d'assurer ce programme de vol irréaliste, au mépris de la sécurité des passagers et des équipages. C’est que la pression s’est accrue à Londres depuis que les passagers, au travers des nouvelles règles européennes, ont compris qu’ils pouvaient réclamer beaucoup d’argent en cas d’annulation et de retard…

Certains commandants qui refusent, comme c’est leur droit, d’user de leur pouvoir discrétionnaire, de dépasser ces limites – car cette prérogative a vocation à n’être utilisée qu’en cas de circonstances exceptionnelles ou d’imprévus et si l’équipage en est capable physiquement et mentalement – sont même convoqués par la direction générale à Luton à des fins d’intimidation. Incroyables pratiques quand on sait que ce concept de « discrétion » du commandant de bord n’est pas conçu pour permettre aux compagnies de vendre plus de vols à moindre coût, mais pour permettre aux passagers d’arriver à destination malgré les aléas du jour. Quand une norme, élaborée pour être utilisée avec parcimonie et clairvoyance, en arrive à être systématisée, on atteint là un seuil ultime à ne pas franchir.

Parlons justement de ces aléas : l’énergie dépensée il y a un an par le service communication de la compagnie afin de convaincre la Bourse et le grand public que les 3000 annulations rencontrées étaient dues à la mauvaise météo ou aux grèves du contrôle aérien, voire même au Brexit, nous interpellait. Nous avons la confirmation cette année que ce sont bien de graves dysfonctionnements structurels qui minent nos opérations…
Parmi eux, l’organisation des journées de vol : dans un ciel plus chargé que jamais, où les fameux « créneaux » sont monnaie courante, il est irréaliste de maximiser les journées à la limite des heures légales. Nous avons dénoncé ces enchaînements de vols bien trop « gourmands » depuis longtemps, mais la compagnie refuse toujours l’expertise des navigants. Le résultat : vous avez huit fois plus de chance cet été de voir votre vol annulé le week-end, hors période estivale. Les rotations sont plus longues, subissent plus de restrictions – comprendre : « des retards » – du contrôle aérien, créent plus de situations où les équipages arrivent en butées légales, et sont l’occasion pour plus d’équipages de se déclarer, au vu des rythmes ultra soutenus, épuisés et inaptes à l’opération. Ce qui crée des retards pour trouver des remplaçants, du retard car le créneau est manqué… et un cercle vicieux qui se cumule sur plusieurs jours…

Tous les employés qui ont rejoint cette compagnie l'ont fait avec le fameux « orange spirit », ce fameux esprit pionnier, à la mode Start up. Nous ne négligeons pas le besoin de contrôle des coûts et les équipes en première ligne en ont fait leur cheval de bataille. Mais aujourd'hui, tous se retrouvent désarmés face à des passagers excédés par la baisse de la qualité du service, de la ponctualité, par l’état des avions et le manque d'informations dont ils sont victimes.

Et que dire du climat social ? Outre des niveaux de fatigue à long terme bien trop élevés, depuis novembre, les employés subissent chaque mois des erreurs de paie multiples. Le stade de l’irritation est dépassé dans les salles d’équipage et plus de 500 000 € d’impayés ont dû être récupérés avec l’aide des représentants syndicaux pour les seuls personnels basés en France. Pas étonnant quand on voit que la direction des ressources humaines a été centralisée à Londres et que ce sont des employés aux compétences et aux pouvoirs de décision insuffisants qui gèrent la situation sur place en ne servant, dans la plupart des cas, que de simples relais entre Luton et les personnels basés en France. Plus grave encore, dans ce « chaos orange », les équipes en charge des plannings n’hésitent pas à tordre de façon inadmissible les règles en vigueur, et des cadres affiliés aux ressources humaines, sans formation aéronautique, interfèrent avec les attributions des commandants de bord.

Cette compagnie était une pionnière dans l'aviation, mais aujourd'hui son rôle se cantonne à celui de « suiveuse » à la peine.

Cher Monsieur Haji-Ioannou, il est de notre devoir de vous informer de ces dérives qui ternissent l'image d'easyJet.
Comme vous, nous aimons cette entreprise que vous avez créé ; chaque jour nous mettons tout en œuvre pour la faire prospérer en toute quiétude.

Malheureusement, notre management actuel ne nous permet plus d’exercer nos métiers dans des conditions sereines et acceptables en termes de sécurité.

Aussi, nous en appelons désormais à votre intervention auprès de nos dirigeants afin de restaurer les valeurs qui ont bâti l’image de notre compagnie.

Le SNPL easyJet »