Le numérique va supprimer un emploi sur deux dans le voyage d’affaires

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Très régulièrement, l’Organisation Mondiale du Travail OMT) publie des études sur l’emploi dans le monde. Sans grande surprise, depuis une décennie, la montée en puissance des métiers liés à l’informatique connaît une croissance à deux chiffres que rien ne semble arrêter. Avec des conséquences claires dans le voyage d'affaires!

C'est simple: le numérique va supprimer à terme un emploi sur deux dans le monde du voyage d’affaires.

Les chiffres récemment publiés montrent aussi que certains univers professionnels sont directement victimes du développement des machines que ce soit dans l’univers industriel ou tertiaire. Même sentiment, et même constat chiffré, pour certains métiers de services dont bon nombre touchent directement notre quotidien. Il faut bien distinguer dans ce travail, mené inlassablement depuis une trentaine d’années par les experts de l’emploi, deux univers très distincts. Le premier touche à ce qui fait notre environnement proche. Autant de petites tâches qui au fil des ans sont assumées par des machines sans que cela pénalise notre quotidien. Ce sont les distributeurs de billets dans les gares, les distributeurs bancaires, les caisses automatiques dans les supermarchés, les pompes à essence… la liste est longue et chacun pourra la compléter avec ce qui le concerne directement.

L’autre univers est plus diffus à cerner. Il concerne principalement les emplois qu’Internet menace de par sa seule existence. C’est l’exemple cité, il y a quelques jours, par le ministre des finances qui évoquait la gestion de l’impôt directement en ligne ce qui aurait pour conséquence de diminuer de 40 % le personnel de l’administration fiscale. Dans la liste des métiers qui sont touchés de plein fouet par le digital, le voyage, et par conséquence le voyage d’affaires, font partie d’un domaine qui devrait fortement souffrir ces prochaines années. On a communément l’habitude de dire qu’un point de hausse du On Line coûte entre 16 et 33 emplois pour une TMC, 5 fois moins pour une grande entreprise qui dispose d’un service intégré ou d’un SBT. Ces chiffres, souvent donnés par les organisations syndicales repose sur des constats souvent inégaux d’un pays à l’autre.

En Allemagne par exemple, les données sont différentes en raison de la taille même des entreprises. Idem en Angleterre où, malgré un coût du travail plus faible qu’en France, la numérisation se développe à grande vitesse. Pour les observateurs du monde du travail, c’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Une bonne car le numérique oblige les salariés à remettre en question leur formation de base, à s’adapter et donc tout naturellement à se former. La mauvaise: tout le monde n’est pas à même de progresser aussi vite que le souhaite l’entreprise et le passage par la case chômage est malheureusement une situation qui n’est pas toujours couronnée par une rapide reprise du travail.

Mais dans les analyses fournies par les organisations internationales, on trouve également des solutions à cette situation. L’anticipation de l’évolution permet aujourd’hui aux sociétés de programmer dans le temps l’évolution de leur personnel. Ce change management qui peut apparaître comme un casse-tête lorsqu’il est géré à chaud, devient un atout, une richesse lorsque l’on peut le mettre à la main du futur qui s’annonce. Au-delà de cette seule notion économique salariale, le numérique permet de dégager du temps qui est alors consacré à la prospection ou à l’amélioration des services et donc à l’augmentation du volume d’affaires. C’est la chaîne vertueuse prônée depuis des années par l’OMT mais qui, sur le terrain, ne se concrétise pas aisément.

L’un des problèmes les plus couramment rencontrés dans le change management salarial réside dans l’absence de vision à moyen et à long terme des entreprises. Le court terme étant dans notre pays géré à grands coups de CDD. Dans le monde du service, où l’adaptabilité est une qualité essentielle pour survivre, anticiper tient plus de la boule de Cristal que de la stratégie des marchés. Le transport n’échappe pas à ce constat. Des mastodontes européens de l’aérien se retrouvent aujourd’hui coincés entre le besoin de diminuer fortement leur masse salariale et celui de respecter des engagements sociaux qui pèsent sur les résultats sans pour autant améliorer la situation économique. C’est ce cercle dangereux que l’OMT soulignait dans ses derniers rapports.
Et la solution ? Personne ne la donne, pas même les économistes qui sont avant tout d’accord sur le fait qu’ils ne seront jamais d’accord entre eux. Les remèdes qu’ils proposent sont parfois diamétralement opposés. C’est bien la preuve qu’être un simple observateur ne donne pas une solution à tous les problèmes. Waren Buffet a toujours dit en souriant que « les voyeurs ne sont pas les payeurs ».

Mais le pire, et là tout se complique, c'est que notre bonheur numérique faitle malheur de l’emploi. L’exemple de la mobilité, que l’on met aujourd’hui à toutes les sauces dans le monde du voyage d’affaires, concrétise très clairement notre dépendance au digital et surtout notre attrait pour des solutions qui privilégient la rapidité. Aujourd’hui il n’y a guère que les fournisseurs pour affirmer que réserver sur un mobile, c’est utiliser une plate-forme humaine dont la mission est de valider et de vérifier la chaîne de réservation engagée. C’est vrai pour certains, mais ce sera pour demain. On connaît déjà aujourd’hui les solutions qui permettent de gérer totalement, et sans aucune intervention humaine, des réservations complexes que ce soit pour l’avion ou l’hôtel. Et contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas le voyageur qui est incapable de se débrouiller seul et qui a besoin d’être assisté en permanence, mais une simple formation de l’utilisateur qui va radicalement et profondément modifier ses habitudes de travail. C’est l’approche générationnelle que nous vivons depuis quelques années. Les quadras y arrivent, les quinquas le découvrent.

Quelles sont donc ces analyses négatives pour les métiers du voyage ? La première d’entre elles se base sur un constat engagé depuis la montée en puissance des SBT au sein des entreprises : automatiser c’est simplifier. Dans la sauce internet, cela veut dire gratuit ! Des fees qui baissent sont une menace directe sur l’emploi. Et contrairement à ce que l’on pense, il est plus facile de licencier que d’attendre que ces prix attractifs génèrent une hausse de volume d’affaires indispensable pour maintenir le niveau d’emploi. C’est le fameux « matelas salarial » évoqué pas les adeptes d’une économie ultra libérale. Et cette évolution démarrée avec les SBT, rares sont les acheteurs qui en avaient perçu la puissance. Des experts célèbres du marché, encore en activité, disaient des SBT ce que certains disent aujourd’hui de l’Open Booking : « ça ne marchera pas ». On connaît la suite.

La seconde menace arrive avec l’intelligence artificielle. La capacité de la machine à analyser les besoins de l’utilisateur, ou plus largement de l’entreprise, conduit là aussi à une automatisation dangereuse pour l’emploi. A priori, nous n’en sommes qu’aux balbutiements de ces technologies intégrées au voyage d’affaires. Mais ils ont les spécialistes du domaine, les fameux «data scientist», tout cela deviendra réalité dans moins de cinq ans. Pire, avec la très forte montée attendue du vocal, c’est-à-dire la gestion de l’ordinateur à la voix, l’agent de voyages d’affaires virtuel est désormais une réalité qui exploite, comme gadget pour l’instant, quelques aéroports dans le monde pour orienter et gérer les voyageurs. A elles seules ces deux évolutions vont « coûter » 30% des emplois dans le voyage d’affaires. Qui s’en rend compte ?

Enfin, et c’est là sans doute que se cache la menace la plus insidieuse : le voyageur est devenu à la fois sa propre agence, son gestionnaire de temps, et plus généralement le maître d’œuvre de son travail quotidien. L’illustration de cette situation s’est vu au début des années 80 avec la disparition des secrétaires devenus aujourd’hui des assistantes dotées d’un périmètre d’intervention et de responsabilités bien plus importantes. Mais ne nous, trompons pas de combat. Nous sommes à la fois les artisans de cette évolution numérique et les fossoyeurs de ces situations professionnelles.

Que peut-on dire aux salariés présents au sein des entreprises du voyage d’affaires et dont les missions évoluent ou se transforment avec la technologie ? À l’évidence qu’ils se forment, qu’ils évoluent et qu’ils anticipent ce que les marchés demandent pour s’adapter aux nouvelles attentes de leur employeur et indirectement des clients. les organisations spécialisées dans le travail sont formelles : ajouter une compétence digitale un savoir-faire de terrain est la meilleure équation du développement personnel.

Il est vrai que tout cela reste un vœu pieux. Nous n’avons pas l’habitude de bouleverser radicalement notre quotidien professionnel. Nous avons au moins le mérite d’avoir appris, contrairement à ce que faisaient nos parents, qu’on peut évoluer dans un univers professionnel en changeant d’employeur au moins trois ou quatre fois dans sa carrière. Fini le temps où l’on rentrait après ses études dans une société pour ressortir à l’âge de la retraite. C’est une force, et une faiblesse. A nous de savoir l’utiliser.

A New York,
Philippe Lantris