Quand les travel managers US s’interrogent sur les objectifs des compagnies aériennes américaines

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L’US Airlines « bashing » semble bien parti. Depuis un mois, pas une semaine, pas un jour sans que soient dénoncées sur le sol américain des atteintes aux droits des voyageurs. De Delta à United en passant par American Airlines, des incidents sérieux sont relevés par la presse qui s’étonne d’un tel laisser-aller dans un pays où les consommateurs sont rois.

Dans un récent papier publié par le New York Times, un grand voyageur expliquait qu’en 30 ans, il avait vu partir à la dérive ce qui faisait la gloire des compagnies aériennes du pays. Dans son témoignage, il en appelait aux grandes heures de la TWA et n’hésitait pas à qualifier les nouveaux entrants de "pièges à dollars". Si l’article se voulait critique sur l’offre actuelle, il oubliait cependant de préciser que le client est devenue depuis le début des années 80 une matière comme une autre et que son confort était loin d’être l’objectif premier des transporteurs US compagnies. La seule finalité exprimée après la fin de TWA se résumait en un mot : rentabilité !

Il serait illusoire de croire que le transport aérien américain reste très dépendant du voyageur. Contrairement à l’Europe, où le train joue un rôle important, l’avion est indispensable pour se déplacer dans un pays aussi vaste où trois fuseaux horaires viennent ponctuer le quotidien. Aller de New York à Los Angeles demande quelque cinq heures de vol. Autant que pour un Paris - le Caire. Dans un pays, où 50 lignes sont indispensables à l’activité économique, on aurait tendance à oublier les quelques 600 liaisons secondaires ainsi que les petites localités qui possèdent encore un aéroport. Comme en Europe, si le point à point se développe vite et bien, le réseau secondaire, transversal ou trans-Etat, souvent déficitaire, intéresse peu les compagnies. Ce n’est pas pour rien que Donald Trump évoque à nouveau le train à grande vitesse, trop vite abandonné selon lui.

Avec comme unique objectif de gagner de l’argent, le transport aérien domestique américain est sans doute devenu l’un des plus mauvais au monde. Il suffit de s’arrêter un instant dans ce que les compagnies locales appellent « salons » pour comprendre qu’à l’exception d’un biscuit ou d’une carotte, on n’aura pas grand-chose à se mettre sous la dent. A l’exception d’un soda liquoreux qui a oublié d’être gazéifié, tout est payant. Idem en vol pratiquement partout et quelle que soit la distance. Et pour atteindre la rentabilité, toutes les astuces du transport aérien sont mises en œuvre : surbooking, réservations annulées, annulations de vols, changement d’appareil avec baisse de capacité… Le tout sans la moindre prise en compte des attentes du consommateur qui n’a que très peu de moyens de se défendre. On comprend mieux pourquoi, dans ces conditions, ce sont les réseaux sociaux qui sont devenus aujourd’hui le vecteur et l’outil de communication des principales critiques à l’encontre des compagnies américaines.

Face à ce besoin de se déplacer, toutes les compagnies ont parfaitement compris que seule la masse avait un intérêt et que le voyageur isolé n’était somme toute qu’un « casse-pieds » qu’il fallait mater. On l’aura compris, l’expulsion d’un passager ou d’une famille, l’annulation d’un billet pour surbooking ou le report d’un client sur un autre vol sans qu’il le demande sont devenus des attitudes courantes. On sacrifie la relation client sur l’autel de la rentabilité.

Au sein des entreprises, le constat est le même. Que ce soit via des associations comme la Business Travel coalition (BTC) ou la GBTA, tous les acheteurs s’insurgent de la dérive commerciale et humaine que l’on constate dans des aéroports surchargés où le client est devenu du bétail à transférer d’un point à un autre. D’autant plus que, contrairement à ce qu’on imagine, le prix du billet domestique est très élevé comparativement à ce que proposent des low cost européennes. Et ne nous leurrons pas, les regrets exprimés par les patrons de ces compagnies ressemblent à ces larmes de crocodile que les enfants savent verser pour atteindre leur objectif. En chassant le naturel, on sait qu’il reviendra très vite au galop, avec son lot de critiques. Comme le faisait remarquer un Sénateur, "un arrangement à l’amiable coûte moins cher qu’une montée en gamme". Les compagnies l’ont bien compris. Le besoin de voyager leur donne un pouvoir qui n’existe nulle part ailleurs.

Et pour beaucoup d’acheteurs, le problème est ailleurs, il est dans la concurrence. Avec beaucoup d’intelligence, et sans l’évoquer ouvertement, les compagnies américaines ont réussi à se partager des liaisons secondaires dont elles assument seules la couverture commerciale. Ce quasi-monopole de fait ne profite pas aux voyageurs. On le retrouve avec les contrats corporate dont les prix, pourtant figés, sont toujours susceptibles d’augmenter en raison d’une sur-fréquentation temporaire. Les acheteurs le savent mais ne peuvent rien faire. On comprend mieux pourquoi la BTC prône le ciel ouvert en espérant que l’arrivée de nouvelles compagnies permettra de s’attaquer à cette situation.

Mais son président, Kevin Mitchell, est lucide : il y a peu de chance qu’un nouvel entrant type Ryanair ou Easyjet arrive aux USA. Sa survie serait impossible à garantir et il n’est pas certain que rapidement, lui aussi, ne se mette pas à considérer les bienfaits de cette situation pour sa compagnie.
Pas pour ses clients !

A Washington,
Philippe Lantris